PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

On peut identifier en France quatre grands moments de laïcisation : la Révolution française avec une légitimité refondée sur la souveraineté du peuple et non sur une loi divine ; la création d’un enseignement public laïque, gratuit et obligatoire de 1881 à 1886 ; la séparation des Eglises et de l’Etat en 1905 et, on l’oublie trop souvent, la série de lois libératrices en matière de mœurs votées de 1967 à 1991.

En matière de laïcité le mot est bien antérieur à la chose. Le substantif « laïcité » est apparu en 1871 dans le journal La Patrie . Le fondateur en France (en 1866, soit deux ans après la Belgique) de la Ligue de l’enseignement, Jean Macé, lui préférait le terme « non-sectaire ». En 1883 Ferdinand Buisson notait dans l’article « Laïcité » de son Dictionnaire pédagogique « Ce mot est nouveau et, quoique correctement formé, il n’est pas encore d’un usage général ». Mais il a été vite adopté. Les Républicains, qui l’ont popularisé, se référaient avant tout à la Révolution Française.

La laïcisation du principe de souveraineté

S’il n’est pas question ici de retracer l’histoire et les réalisations de la grande Révolution, il faut pourtant s’attarder sur un document fondateur. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 est souvent mentionnée pour son Article 10 « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ». Cette disposition reste marquée par les conceptions anciennes, expression de la notion de « tolérance » qui fut en elle-même une étape positive. Elle est dépassée par l’Article 3 « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément ». Le Peuple souverain : il est difficile d’imaginer aujourd’hui la révolution culturelle ainsi opérée. La monarchie sanctifiée par le corps clérical sous l’Ancien régime est contestée dans son fondement même. Nul corps (fut-ce le clergé), nul individu (fut-ce le roi) n’exerce le pouvoir. La légitimité réside dans le Peuple, dans la volonté générale. Ce fut une laïcisation fondamentale, irréversible. Goethe y verra plus tard une « splendide aurore ».

En pratique, le 3 ventôse de l’An III du calendrier révolutionnaire (21 février 1795 du calendrier grégorien) un décret pose la séparation des Eglises et de l’Etat, sur proposition de Boissy d’Anglas. Plus tard, Napoléon Bonaparte, devenu Premier Consul, lance une série de tractations avec le pape Pie VII. Le résultat final sera la Loi du 18 germinal An X (8 avril 1802) relative à l’organisation des cultes (incluant un concordat et des articles organiques régentant les cultes catholiques et protestants). Le culte israélite sera organisé par un décret du 17 mars 1808. C’est cet ensemble législatif complexe qu’on appelle familièrement, mais à tort, le « concordat ». Il est plus juste de parler de régime des cultes reconnus, puisque le concordat ne concernait que les catholiques.

Un Ministère des cultes est créé en 1804. Supprimé en 1814, il sera remplacé par des instances rattachées à divers ministères. Les cultes relèvent du droit public. Il existe donc un budget des cultes. Les débats parlementaires annuels dont il est l’objet sont révélateurs des tensions croissantes entre le catholicisme conservateur et la bourgeoisie républicaine. Le Rapport de Paul Bert en 1883 est significatif : le « concordat » est encore considéré comme un moyen de contrôle d’une Eglise qui se pose en ennemi politique. Ce fut longtemps la position d’Emile Combes alors qu’il menait tambour battant l’expulsion des congrégations. Toute l’action républicaine en faveur de la laïcisation de l’école , de 1880 à 1886, sera menée alors que le « concordat » est toujours en vigueur.

La laïcisation de l’école

Pour les républicains, la question de l’Ecole est décisive. Elle ne se réduit pas à la « question scolaire » comprise comme le refus du financement public de l’enseignement privé. La question de l’Ecole est plus large et plus profonde. Pour que le peuple soit souverain, il faut qu’il soit éduqué. Il faut former des citoyens et pas seulement instruire de futurs salariés dotés de compétences purement techniques. Tout enfant, devenu élève, doit disposer d’un temps et d’un espace réservés, en retrait de la vie sociale, pour mieux avoir le loisir de comprendre cette vie sociale. Régis Debray n’hésitera pas à qualifier ce temps et cet espace de « sacrés ». Proudhon liait le règne du peuple, la démocratie au vrai sens du terme, à son éducation, qu’il appelait « démopédie ». Ce thème est une constante majeure. On peut au moins remonter à L’Esprit des Lois de Tocqueville « C’est dans le gouvernement républicain que l’on a besoin de toute la puissance de l’éducation » et au Contrat social de Jean-Jacques Rousseau « C’est l’éducation qui doit donner aux âmes la forme nationale », c’est-à-dire former des citoyens.

Condorcet offrira la grande synthèse théorique sur l’Ecole républicaine dont le but est « de rendre la raison populaire ». Il la développe dans plusieurs Mémoires et dans son Rapport et projet de décret sur l’organisation générale de l’instruction publique devant l’Assemblée nationale les 20 et 21 avril 1792. La « régénération » du peuple grâce à l’Ecole, ambitionnée par les hommes de la Révolution, ne fut pas un vain mot. Ce combat est le fondement même, le cœur, de l’action constante menée par la Ligue de l’Enseignement en Belgique et en France. Il s’agit de politique au sens noble du terme. Pour Jean Macé « L’instituteur ne fait pas des élections, il fait des électeurs ».

Edgar Quinet reprend ces thèmes dans un tonique essai « L’enseignement du peuple», appelé avec humour « mon bréviaire » par Jules Ferry. Celui-ci y trouvera l’inspiration profonde des grandes lois fondant l’Ecole républicaine de 1879 à 1886. A la même époque Ferdinand Buisson coordonne le monumental « Dictionnaire de pédagogie ». Au tournant du siècle, le philosophe Jules Barni trouvera les mots justes pour désigner la « République enseignante », la République « institutrice du peuple ». A la Libération, le fameux Plan Langevin-Wallon tentera de lui donner une nouvelle vigueur. Les Constitutions françaises de 1946 et 1958 affirmeront « L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat ».

La séparation des Eglises et de l’Etat

La séparation des Eglises et de l’Etat était un des points les plus important du programme républicain adopté à Belleville en 1869. La Commune de Paris la décrète en 1871. La terrible répression qui s’abat sur elle ne parviendra pas à supprimer les idées dont elle est porteuse. Depuis 1880 les convents (assemblées générales) des obédiences maçonniques votent des vœux favorables à la séparation. Dès que la République est assurée, en 1876, par une forte proportion de députés acquis à sa cause, les propositions de loi visant à supprimer le budget des cultes, et de manière générale à réaliser la séparation, se multiplient. Le 11 janvier 1903, la Chambre des députés crée une commission de 33 membres chargée d’examiner les huit propositions déposées en 1902. Le président est Ferdinand Buisson. Le rapporteur Aristide Briand. Le 4 mars 1905 Aristide Briand présente son rapport à l’Assemblée Nationale. C’est un texte remarquable. Les débats à la Chambre des députés dureront du 21 mars au 22 avril. Au Sénat du 9 novembre au 6 décembre. Elle est promulguée par le président de la République Emile Loubet le 9 décembre 1905. Elle paraît au Journal Officiel le 11 décembre. Ses deux premiers articles énoncent des principes fondamentaux.

«Art 1 La République assure la liberté de conscience ; elle garanti le libre exercice des cultes, sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.
Art 2 La république ne reconnaît , ne salarie, ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1° janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimé des budgets de l’Etat, des départements et des communes toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes.».
La notion de liberté de conscience est parfois mal comprise. Elle est alors réduite au simple fait de penser ce qu’on veut sans l’exprimer publiquement. Ce que les juristes appellent le for interne. C’est évidemment insuffisant. La liberté de conscience comporte, au contraire, un caractère public. C’est le droit fondamental d’exprimer ce que l’on est, de vivre ouvertement son identité. Et cette liberté n’est pas seulement individuelle. Elle a un caractère collectif. Car un être humain ne peut se construire que dans sa relation à d’autres êtres humains. D’abord par l’éducation, puis par l’échange.

La notion de liberté de conscience reprend et fonde en dernière analyse toutes les autres libertés. Elle se déploie dans la liberté de pensée et dans la liberté d’expression. Elles sont étroitement liées. Une des conséquences directes de l’affirmation du principe de liberté de conscience est la garantie du libre exercice des cultes. Cette garantie n’est pas une exception ou un privilège. C’est une applications. Le mot « culte » ne désigne pas seulement les cérémonies cultuelles. Il s’agit de toutes les manifestations religieuses publiques et privées, collectives et individuelles. En ce sens le libre exercice du culte est une forme de « liberté religieuse » bien que ces termes ne figurent pas dans la loi. Impliquée par la liberté de conscience, elle est sensiblement différente de la « liberté religieuse » assurée dans d’autres pays par un statut public des cultes, un « droit des religions » et un financement direct. Ces avantages étant refusés aux religions minoritaires et aux incroyants.

Les lois de l’amour

Les interdits d’origine religieuse qui réglementaient les relations entre femmes et hommes semblent aujourd’hui relever d’une époque archaïque. Et pourtant … La contraception fut illégale jusqu’au vote d’une loi en 1967 (interdisant toujours la publicité sur les moyens). L’éducation sexuelle était inexistante jusqu’à la création d’un Conseil supérieur de l’information sexuelle en 1973. L’avortement fut réprimé comme un crime jusqu’en 1975. Le viol était fort peu dénoncé et ce n’est qu’en 1980 qu’il sera caractérisé comme tel. L’homosexualité aussi bien féminine que masculine était condamnée. L’âge de la majorité homosexuelle sera aligné sur l’âge de la majorité hétérosexuelle (15 ans) en 1982. La violence entre époux ou concubins n’était pas dénoncée jusqu’à sa répression affirmée en 1990. La publicité pour les préservatifs n’est autorisée que depuis 1991. La politologue Janine Mossuz-Lavau donne à ces lois le joli nom de « lois de l’amour ».

L’esprit qui a animé les militantes et militants qui ont combattu pour ces lois était laïque, sans parfois utiliser le mot. Ce combat n’est pas terminé. En 1999, le principe de la parité politique et le pacte civil de solidarité relancent les débats. Des lois de libéralisation des années soixante à quatre-vingt-dix aux polémiques actuelles sur les signes religieux, la relation entre femmes et laïcité a beaucoup évolué. Le débat sur le port de signes religieux à l’école publique est lié au statut des femmes. La société française s’est divisée. Cette division a traversé aussi toutes les associations féministes, voire féminines. Le refus de la subordination des femmes et le souhait d’intégration des musulmans à la société française se sont croisés. C’est l’accent mis sur l’un ou l’autre de ces deux combats qui a déterminé la fracture. Dans les deux, la dimension laïque est nette. Ne pourrait-elle pas servir à une synthèse active ? Il nous appartient d’en faire un combat global pour la liberté et la responsabilité.

Actualité de la laïcité en France

Le militantisme laïque s’était concentré depuis la Libération sur la question scolaire, en particulier sur le refus du financement de l’enseignement privé. Parallèlement à l’échec, en 1984, du projet d’un Service public unique et laïque d’enseignement, de nouveaux débats apparaissent. La liberté d’expression et le droit au « blasphème » , l’enseignement des faits religieux , le port de signes religieux …L’année charnière est 1989. Ces nouveaux débats tournent autour d’une nouvelle question, celle de la société multiculturelle. Du point de vue laïque, au cycle centré sur la question scolaire se superpose puis succède le cycle centré sur la question multiculturelle. Au cours de cette même période les colloques, rencontres, commissions, se multiplient, indicateur fiable d’une recherche générale liée à une crise d’identité du mouvement laïque, à une interrogation sur les sources et le sens de l’action laïque. En 2005 la célébration de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat suscite une certaine effervescence. Le développement du processus d’intégration dans l’Union Européenne suscite également des interrogations. Enfin l’actualité internationale révèle au cours de ces vingt dernières années un phénomène qualifié par Gilles Kepel de « revanche de Dieu ». Comment mieux démontrer l’actualité de la laïcité en France ?

Principales sources :
www.laicite-laligue.org
La Révolution contre l’Eglise. Michel Vovelle. Editions Complexe
La République et l’Ecole Charles Coutel, Presse Pocket
La loi de 1905 – Quand l’état se séparait des Eglises Jean-Michel Ducomte, éditions Milan,
Les lois de l’amour Les politiques de la sexualité en France, de 1950 à nos jours Janine Mossuz-Lavau Petite Bibl.payot, numéro 448
Laïcité, nous écrivons ton nom…Pierre Tournemire. La Ligue de l’enseignement

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