PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Libération – le 25 mars 2013 :

Accéder au site source de notre article.


tchat Le Conseil de Paris a voté la semaine des quatre jours et demi dès la rentrée de 2013, ce malgré la réserve des syndicats enseignants. Claire Leconte, qui a contribué aux ateliers «rythmes éducatifs adaptés» a répondu à vos questions.

Roberta. La mise en place de cette réforme à la rentrée prochaine n’est-elle pas une hérésie ? Ne faudrait-il pas plus de temps de réflexion pour une cohérence dans l’organisation ? Qu’en pensez-vous ?

Claire Leconte. Je pense qu’effectivement il est important de prendre le temps de la réflexion et de la concertation de manière à ce que ce soit véritablement un projet partagé entre l’Education nationale, la collectivité, et les associations qui vont participer au projet.

Cyril. Ne craignez-vous pas que faute de réels moyens, la seule activité périscolaire proposée aux enfants soit le sport ? 

C. L. Effectivement, c’est un des gros risques si on ne se donne pas le temps de la construction du projet qui permettrait d’avoir une réflexion de fond sur les contenus des activités qui vont être proposées. Le risque est d’autant plus grand que le décret rend compliqué la construction du projet, puisqu’il s’agit d’émietter le temps à raison de trois quarts d’heure par jour. Alors qu’il serait indispensable de pouvoir donner des temps suffisamment longs à ces activités pour qu’elles prennent du sens.

Marie. Avez-vous pris en compte seulement le temps scolaire ou bien le temps passé quotidiennement hors de la maison ? Les enfants sont dix heures en collectivité et c’est cela qui les fatigue…

Nina. Comment peut-on parler de rythme commun sachant que certains enfants ont 1 heure à 1h30 de garderie avant la classe, certains (parfois les mêmes) 2 heures ou plus de garderie le soir ?

Armag. A votre avis, cette réforme est-elle un échec ? Si on ne change pas le rythme des adultes, peut-on changer véritablement le rythme de l’enfant, de l’élève ?

C. L. Pour que cette réforme ait l’effet attendu du point de vue d’un mieux-être des enfants à l’école, il est justement indispensable d’organiser l’ensemble de ces temps de manière qu’il y ait une continuité éducative, et non pas un morcellement des activités, qui est un des points d’explication de la fatigue des enfants.

Ce qui signifie qu’effectivement on ne démarre pas trop tard l’école le matin, de manière que les enfants qui doivent arriver tôt pour la garderie ne passent pas trop de temps avant de démarrer la classe. Ce qui est un des gros problèmes.

L’autre point également serait que l’on fasse bénéficier les matinées de classe de plus de temps consacré, non seulement aux maths et au français, mais également à l’EPS, à la piscine, à la musique, aux arts graphiques. Parce que c’est l’alternance d’activités qui leur permet de souffler et de ne pas accumuler la fatigue. Et le deuxième point serait d’alléger au maximum les après-midi, et, surtout, proposer des temps de repos, de relaxation, de décontraction, de manière à faire respirer les enfants. C’est une erreur de croire que les lâcher le midi en cours de récréation va leur permettre cette respiration.

Sylombard. Les chronobiologistes, lorsqu’ils ont estimé que l’école le mercredi et des journées d’école raccourcies les quatre autres jours de la semaine seraient bénéfiques aux élèves, ont-ils tenu compte que, de nos jours, les deux parents travaillent et que les élèves restent à l’étude après l’école, pour ne sortir souvent qu’à 18 heures ? Et que ceci ne pourra pas changer, car les journées de travail des parents et leur temps de transport ne seront pas réduits avec cette réforme ?

C. L.  La chronobiologiste que je suis n’a pas réclamé l’allègement des journées, et n’a pas, non plus, réclamé le mercredi de classe. Je réclame plutôt une réorganisation de l’ensemble des temps, impliquant une réflexion pédagogique de la part des enseignants sur leur propre organisation des temps scolaires. Je réclame également, parce que je l’ai expérimenté, que l’on puisse libérer des après-midi pour permettre de cumuler les activités périéducatives qui prendraient sens pour les enfants.

Une après-midi de ce type leur permettrait de faire de l’astronomie, ou de l’initiation à la philosophie, ou de l’éducation à la citoyenneté, ou bien l’apprentissage de la langue des signes, qui sont des activités qui seraient menées par des personnes formées pour ces encadrements, et surtout les enfants découvriraient de nouvelles compétences qui pourraient leur être utiles à l’école.

C’est alors que l’on est dans la continuité éducative, qui ne consiste pas qu’à juxtaposer des temps, et qui ne consiste pas non plus qu’à boucher les temps de classe par des temps de garderie, comme c’est le gros risque.

Parents. Je propose quatre jours à cinq heures de classe, plus une heure de périscolaire tous les soirs. Le mercredi reste libéré, on ajoute deux semaines de classe prises sur les vacances d’été. Cela donne 760 heures de classe par an. Qu’en pensez-vous ?

 C. L. Le quatre jours dans la semaine est unique au monde. Ce n’est pas satisfaisant dans la mesure où cette organisation crée en permanence des ruptures au cours de la semaine. Des ruptures aussi bien dans le rythme veille-sommeil, que dans la continuité pédagogique au niveau des apprentissages. Donc, la semaine des quatre jours est à proscrire.

Revoir le temps sur l’année ? Pourquoi pas, effectivement. Réduire les vacances d’été de deux semaines ? Ce qui me semble beaucoup plus important pour le bien-être des enfants c’est, d’une part, de tenir compte des saisons dans l’année, sachant que la saison d’hiver est connue pour créer une fatigabilité. C’est une saison où le système immunitaire est plus fragile et déficitaire, et c’est enfin une saison où la dépression saisonnière se développe, étant donnée le manque de luminosité au cours de la journée. Il serait alors important d’allonger les vacances d’hiver, en particulier celles de Noël-nouvel an connues pour être plus fatigantes que reposantes. Une troisième semaine, à ce moment-là serait bienvenue.

Une deuxième chose dans l’année serait de supprimer au cours du troisième trimestre, en avril-mai, les ruptures permanentes liées au fait qu’on cumule deux semaines de vacances de printemps, avec une succession de ponts, ou de longs week-ends, ou de jours fériés dans la semaine. Il serait donc important que sur le calendrier triennal, on place des semaines de vacances qui intégreraient ces temps. Exemple concret, en 2014, on pourrait faire une semaine entre le 1er et le 8 mai, et une autre semaine entre le jeudi de l’Ascension et le lundi de Pentecôte. Cela éviterait le cumul. C’est une solution qui ne consisterait pas uniquement à retirer deux semaines l’été.

Boubou. Trouvez-vous normal que la réforme s’applique aussi bien en maternelle qu’en élémentaire ? Les enfants ont des âges et des rythmes différents à ces deux niveaux…

C. L. C’est vrai et faux. Pour l’avoir expérimenté, la proposition qui consiste à privilégier les matinées de travail est valable aussi bien pour les maternelles que pour les élémentaires. Proposer cinq matinées de quatre heures, entrecoupées de deux poses, permet de proposer aux enfants de tous âges du temps pour mener à bien leurs apprentissages. Chez les enfants de maternelle, l’après-midi n’est absolument pas propice à ce type d’activité. Libérer les après-midi pour proposer le plus de repos possible aux enfants de maternelle, et pas uniquement aux tout-petits, serait un vrai bénéfice, sachant que grâce à ces matinées, vingt heures sur les vingt-quatre obligatoires seraient déjà réalisées. C’est un vrai plus pour les enfants de maternelle, c’est une organisation qui est mise en place depuis dix-sept ans, pour le plus grand bonheur des enfants comme des enseignants.

Gavroche. La question qui me semble primordiale est la cohérence avec les contenus du temps scolaire. Et à ce propos que pensez-vous du «non allègement des programmes», ils restent équivalent à ce qu’il fallait faire en vingt-sept heures ?

C. L. Vous avez raison de vous intéressez au contenu des temps, c’est ce que je ne cesse de réclamer également. Mais se préoccuper des contenus des temps signifie aussi de revoir ses propres pratiques pédagogiques, les méthodes d’apprentissage et de concevoir autrement les évaluations des élèves. Cela nécessite qu’il y ait une réflexion sur la gestion des temps de classe, que l’on mette en place des transferts d’apprentissage entre chacune des activités, ce qui permet aux élèves de mieux comprendre chaque partie du programme que l’on veut leur proposer.

Dans l’école expérimentale – l’une à Lille et l’autre Lomme – nous avons réaménagé la journée des enfants en augmentant les matinées jusqu’à quatre heures, ce qui permet de mettre en place ces transferts entre disciplines. La maîtresse de CP de l’école de Lomme disait qu’en décembre elle avait quinze jours d’avance sur le programme de maths avec ses élèves par rapport aux autres années. Ce n’est donc pas qu’une question de lourdeur de programmes, c’est aussi fondamentalement une question de gestion pédagogique des temps.

Print Friendly

Répondre