PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Toute action visant à transformer les rapports des familles populaires à l’orientation doit être articulée et s’inscrire dans des actions plus larges. Celles-ci visent l’organisation scolaire globale, le soutien réel aux familles, la lutte contre les discriminations et l’organisation du monde du travail.
THESE Résumé :Par Martine FOURIER Le 9 décembre 2005
LA VIOLENCE DE L’ORIENTATION OU LA DOUBLE PEINE DES FAMILLES POPULAIRES

UNIVERSITE PARIS 8 – VINCENNES – SAINT – DENIS UFR sciences de l’éducation
Discipline : sciences de l’éducation
Présentée et soutenue publiquement
Directeur de thèse : Mme G. VERMES
JURY : Mme G. FRANCEQUIN, M. J.L.LEGRAND, M A.KOKOSOWKI.

PRESENTATION

Cette recherche sur les familles populaires, entre l’école et le travail, était portée par une volonté politique partagée par plusieurs ministères, de renforcer la place des familles dans la réussite scolaire et l’insertion professionnelle, en particulier pour les milieux en difficultés sociales.

Elle s’est appuyée sur la production d’outils, film et documents écrits, ayant pour objectif de favoriser l’implication des familles de milieux populaires à la scolarité de leurs enfants, à partir de leurs préoccupations et motivations.

Nous nous situons dans une recherche – action car, si le travail relève d’une démarche à visée scientifique, il tend essentiellement à modifier les conditions de participation des familles populaires dans les décisions scolaires concernant leurs enfants, leur permettre de moins subir la «double peine de l’orientation».

Cette thèse relève des sciences de l’éducation, par les références théoriques, la forme pratique de recueil et d’analyse, et relève du champ Information/Communication par la production technique du film et la démarche pédagogique qui l’accompagne.

Dans les propos des parents que nous avons recueillis, nous retrouvons les éléments sociologiques repérés par les chercheurs, sur la socialisation des jeunes et l’orientation. Ces familles, issues des mondes populaires ouvriers et paysans, français ou immigrés, connaissent le poids central des verdicts scolaires pour la future insertion sociale de leurs enfants, mais n’en maîtrisent ni les implicites, ni les ajustements aux modifications du monde du travail et de l’éducation nationale. Le désir d’ascension sociale signifie, particulièrement pour eux, la protection, dans l’avenir, des conditions de travail difficiles. Ces parents y associent le besoin de compréhension de l’environnement, de maîtriser des outils de transformation sociale.

L’orientation scolaire et professionnelle est donc liée à l’insertion des jeunes, toute contrainte dans ce domaine renvoie aux craintes d’exclusion scolaire, aux ruptures et prises de risques sociaux et sanitaires. Les jeunes de milieux populaires, en difficultés scolaires, se sentent «expulsés» vers les voies de relégation, puis déscolarisés. Ils se trouvent de fait, précocement et durablement, hors du monde du travail et des protections sociales, sans participation publique, proches des personnes subissant une « double peine » pratiquée dans le champ pénal.

Examinons maintenant la contradiction inhérente au concept de recherche – action, dont les fondements théoriques s’inscrivent dans une volonté d’ordre politique de transformation sociale, à partir de la construction pratique d’outils de participation des personnes à leurs conditions de vie concrètes.

Toute la recherche – action marque un engagement en sciences sociales, manifesté par la volonté de donner les moyens de comprendre les déterminants économiques multiples – monde du travail, sociologie de la famille, urbanisme, politiques publiques éducatives et sociales- à ceux qui les subissent. Ces déterminants, rendus accessibles pour eux, avec des formes pédagogiques adaptées, peuvent éclairer, à court et long terme, les conséquences des choix imposés d’orientation. La recherche s’est actualisée dans l’engagement pratique et financier des institutions partenaires du projet et dans une démarche professionnelle ininterrompue sur la question éducative.

La démarche concrète renvoie, de fait, à un foisonnement théorique, qui peut paraître paradoxalement trop ambitieuse : de Weber à Foucault, d’Enriquez à l’école de Palo Alto. Pourtant tous ces courants de pensée ont interrogé, sous des formes variées, les situations de pouvoir contradictoires, affichées ou implicites, et leurs interactions sociales complexes.

Ces auteurs, porteurs d’une autorité culturelle forte, ont été ici « utilisés » pour légitimer les propos de familles et jeunes en entretiens, montrant combien les réflexions de certains s’inscrivent dans la complexité des courants de pensée théoriques, méconnus d’eux, mais pressentis dans leur analyse du quotidien.

Le choix d’un film, comme moyen de mobilisation s’appuie sur les hypothèses du rapport des milieux populaires à l’image et la parole. Ceux – ci sont des outils plus familiers que l’écrit comme sources d’informations fréquemment sollicitées.

Les outils ont été construits en partant de l’analyse critique des précédents produits de l’ONISEP, dont « l’école au cœur de la vie », visant les familles étrangères. Les préconisations du comité du pilotage ont été le fil rouge de la démarche participative d es institutions et des groupes de jeunes et familles, que nous avons instaurée.

Le choix d’un premier produit sur le collège a été celui des membres du comité de pilotage, des productions ultérieures étaient prévues sur le lycée et les études supérieures.

Le produit vidéo, construit à partir des propos recueillis en entretiens, crée une proximité qui permet aux parents et aux jeunes de s’identifier et de questionner activement le fonctionnement scolaire. Le film est construit comme un outil non d’informations, mais de questionnement pour susciter une recherche d’informations sur la question de l’orientation scolaire, en amont des temps spécifiques dédiés par l’école à celle – ci. Les acteurs du film, jeunes et familles, posent leurs incertitudes, interrogations, déceptions, dans une position active à laquelle les spectateurs peuvent s’identifier.

Le film est soutenu par un document, directement écrit avec les parents et à leur usage, permettant un retour sur soi et des temps de réflexions avec l’enfant ou le jeune concerné. Un guide d’accompagnement des réunions a été proposé aux animateurs, contenant des séquences pédagogiques sur chaque thème, des expériences, des références bibliographiques et des données officielles. Ces deux compléments documentaires avaient été jugés insuffisants dans les précédentes productions de l’ONISEP.

L’utilisation des outils s’inscrit dans la durée, car ils informent en «creux » pour susciter les questions. Les parents sont mis dans une posture dialectique puisque chaque thème est traité avec des positions opposées. La confrontation entre des personnes et les points de vue réinterroge leurs certitudes, lève leurs inquiétudes, offre de nouvelles hypothèses et analyses de la situation.

La production s’est déroulée en phases interactives entre le groupe de pilotage institutionnel et les parents et jeunes. Ces derniers ont été acteurs dans les différentes étapes de production des outils : entretiens et leurs analyses, choix des thèmes prioritaires et analyses critiques des maquettes de produits écrits et vidéo.

Passage d’un extrait du film sur l’orientation

La réalisation des entretiens a accompagné, en parallèle, un état de l’évolution historique des relations entre les familles et l’école. Elle s’est élargie à la question de l’insertion professionnelle des jeunes de milieux populaires, par l’analyse d’expériences, de travaux scientifiques, de rapports publics, de colloques professionnels. Ce recensement a confronté représentations et pratiques dans une exploration pluridisciplinaire : sciences de l’éducation, psychologie, sociologie, économie, histoire, anthropologie, droit…. autour de la thématique «école / travail / familles».

Cette partie théorique peut être questionnée sur le lien non toujours explicité entre les théories de l’orientation et celle de la famille et de la socialisation des adolescents, qui auraient pu être plus développée. Cependant, la sociologie des inégalités de l’éducation est inscrite tout au long du texte, mais n’apparait pas structurée dans un chapitre de référence.

Certaines références théoriques, utilisées pour étayer les jugements et opinions des parents ne sont pas suffisamment argumentées. Des références sont parfois imprécises, dues, pour partie, à la durée du travail (6 ans), et son imbrication dans notre activité professionnelle personnelle ininterrompue.

Le processus même de recherche – action brouille les différences entre recherche (définition et construction d’un objet, hypothèses, recueil de données, analyse des résultats) et action (objectif opérationnel avec un projet social).

Le constat de l’orientation scolaire, vécue comme une situation difficile et incompréhensible pour les familles populaires, a été étayée par l’examen de rapports publics. Ils donnent une vision et une analyse de l’état du problème de l’orientation pour les familles populaires. Sur cette question, si au début de notre recherche, en 1998, les rapports étaient peu nombreux, ils se sont multipliés, attestant de l’actualité à notre questionnement et de son enjeu.

La prise en compte de leurs constats nous conduit à défendre la position de lutte contre l’exclusion des familles populaire du processus d’orientation, et partant de la nécessité de trouver un moyen de mieux les impliquer. Nous n’avons pas fait, dans notre projet, d’analyse scientifique de ce qu’est l’orientation, ni cherché à démontrer d’autres hypothèses que celles de la capacité d’appropriation des familles populaires des informations sur l’orientation, si les formes leur sont adaptées.

Les entretiens ont été conduits auprès de parents, de jeunes, de professionnels, en Ile de France et dans plusieurs régions, en groupe et individuellement, dans des lieux multiples : centres sociaux, maisons de quartiers et associations. L’analyse a permis de faire un état des besoins non satisfaits, des attentes d’informations, des priorités des familles et jeunes.

Dans cette partie du travail, nous pouvons interroger la représentativité de l’échantillon, rapporté à 55 personnes rencontrées en réunions et en entretiens. Elles nous avaient été indiquées par les professionnels, les considérant comme représentatifs des préoccupations des publics cibles, les familles populaires. Certaines ont été vues plusieurs fois, conformément à la démarche de construction participative du produit. Il aurait été difficile d’articuler, sur plusieurs villes de France, avec un nombre plus grand de sujets une démarche « chemin faisant ».

Nous avons travaillé avec des parents d’enfants de tous âges (de jeunes adultes et d’enfants d’école élémentaire). Tous avaient été confrontés à l’orientation dans l’accompagnement scolaire de leurs enfants. Nous avons rencontré des jeunes adultes, souvent en situation d’échec scolaire, pour repérer avec eux, a posteriori, la façon dont ils avaient vécu leur trajectoire scolaire et sociale, l’incidence de l’orientation sur elles. Bien que le projet s’attache à la question du collège, il nous avait, en effet, semblé essentiel d’élargir le champ des publics pour mieux saisir les conséquences de l’orientation dans les trajectoires scolaires d’échec. Nous avons fait là, l’hypothèse que l’incompréhension des processus d’orientation était liée à la distance culturelle à l’école, elle-même en relation fréquente avec les trajectoires d’échec scolaire et les orientations négatives subies.

Nous nous sommes attachés à extraire une analyse des besoins, étayée sur les déclarations recueillies. Nous avons été vigilants à un respect total, quasi clinique de l’expression des personnes, ne voulant pas mettre en cause leurs propos, sans déroger au principe même de participation des sujets, qui tient l’hypothèse que ce qu’ils disent d’eux et ce qu’ils mettent en scène, est fécond. Toute autre attitude aurait signifié, pour eux, la suspicion de leurs dires, trop souvent subie dans leurs démarches administratives. Nous avons relié un certain nombre de leurs propos à des éléments théoriques, pour montrer la qualité leurs réflexions sur ces thématiques.

Nous avons étendu le relevé et l’analyse des propos à des champs non traités dans le produit, car nous ne pouvions déterminer à l’avance les priorités qui surgiraient des entretiens et réunions avec les parents, de celles qui seraient retenues par le comité de pilotage des partenaires institutionnels. Les contraintes de faisabilité et de durée du film ont restreint les thématiques traitées.

Nous avons constaté dans les entretiens que l’accompagnement de la scolarité par les familles populaires prépare les processus d’orientation et l’insertion professionnelle future. Leurs entretiens ont montré que la question de l’orientation s’inscrit dans un processus large de compréhension du fonctionnement du système scolaire et d’accompagnement quotidien des enfants, par des échanges familiaux sur la vie scolaire, le monde du travail, les pratiques de loisirs et la place de parents à l’école.

La recherche-action est articulée à mon histoire professionnelle, inscrite dans un engagement permanent auprès des populations les plus dominées. Il s’agit d’élaborer une hypothèse et de la mettre à l’épreuve des faits mais plus de solliciter les familles marginalisées sur ces questions et leur demander quelles étaient leurs hypothèses de compréhension du mécanisme qui les exclue. Nous avons souhaité recueillir leurs paroles, faisant l’hypothèse, cette fois par nous- mêmes, que leur prise de parole dans le film était déjà une action de prise en main de leur histoire. Les parents pourront discuter les propositions faites par les enseignants, faire appel aux décisions des conseils de classe.

Ces constats de la recherche-action ont permis de voir que le processus d’orientation ne peut être isolé en lui-même mais s’inscrit dans une construction familiale du rapport au monde, à l’école, au travail, à l’enfant, au rôle de parent.

Dans un troisième temps, à partir des données recueillies, des maquettes d’outils (film et documents écrits) ont été construites puis soumises à des groupes de parents et aux membres du groupe de pilotage. La finalisation des produits, leur lancement institutionnel, leur diffusion visaient à les inscrire dans des dynamiques politiques locales. L’accompagnem ent méthodique, durant l’année 2001- 2002, s’est traduit par des formations de formateurs des différentes institutions partenaires, des participations à des colloques, évènements nationaux (Salon de l’Education) et réunions avec des partenaires nationaux et locaux.

Une première évaluation de l’utilisation des produits a été réalisée en 2002, avec une grille d’utilisation envoyée à tous les destinataires, pour une première analyse de son mode d’appropriation. Malgré la précocité de l’évaluation par rapport au début de la diffusion, elle a donné des résultats satisfaisants sur le plan qualitatif et quantitatif, mais elle a pointé la faible utilisation du produit, qui nécessite une mise en réseau des partenaires dans la durée.

L’évaluation écrite a été doublée de la collecte de réactions de parents en réunions, après le passage du film. Nous les avons classés dans une approche thématique qui dépasse ceux contenus dans le film. Leur étendue confirme que la compréhension du processus d’orientation que subisse les familles populaire, s’inscrit dans un processus large porté par une meilleure qualité de leur présence dans leurs relations à la vie familiale et à la connaissance de l’environnement social et professionnel.

En conclusion d’un questionnement et d’une pratique créatrice visant à la participation des parents de milieux populaires dans l’orientation de leurs enfants, nous avons constaté l’efficacité de ces outils, dans la qualité des débats, mais mesuré les blocages institutionnels sur le thème.

Nous déplorons l’arrêt de la diffusion du produit et de la production des autres niveaux scolaires, programmée par les partenaires dès la conception.

En effet, dans les institutions partenaires, le bouleversement des acteurs et des priorités après le changement gouvernemental de 2002, a modifié les formes de travail entre institutions et avec les publics concernés.

Il nous a semblé nécessaire d’analyser, a posteriori, les raisons qui ont interrompu à la fois le processus engagé par et avec les partenaires institutionnels, et la diffusion du produit par l’ONISEP, car au – delà de l’évènement politique conjoncturel, l’esprit novateur de ce produit, salué lors de la production, est devenu un obstacle, emblématique d’une rigidification latente, peut être même pré – existante des positions politiques sur la question de l’orientation.

L’outil tranchait sur les publications et approches habituelles sur la scolarité dans les documents de l’ONISEP. Les résistances internes dans l’Education Nationale renvoient aux stratégies d’initiés des professionnels, qui acceptent mal que soient portées en image, des parents mettant en cause leurs décisions d’orientation, ce qui risquait d’inciter les spectateurs au refus de leurs conseils, au questionnement de leurs compétences.

Nous avons vu combien le produit désarçonne les professionnels par la complexité des propos des parents touchant aux valeurs du service public d’éducation, mettant à jour les rapports sociaux conflictuels entre les enseignants et les parents. Ces derniers mesurent combien les enjeux de l’école actuelle font de l’orientation un outil de reproduction sociale, y compris de plus en plus, pour les bons élèves de milieux populaires. L’orientation devient une focale où s’actualisent les contradictions de l’école, entre promotion et relégation, et lieu de l’alliance des classes moyennes et aisées avec le corps enseignant, visant à leur éviter des risques de déclassement.

Nos entretiens avec les parents, base de la réalisation du film, montre que les familles populaires vivent l’orientation…

Malgré des faiblesses certaines, le film, pour ces familles, est rassurant, car les propos et positions n’y sont pas camouflés, comme d’ordinaire, leurs interrogations y sont reconnues comme valides. Ils se sentent moins isolés, solidaires entre eux et plus forts face à l’école, sans être dans une opposition systématique. Ils peuvent alors penser l’orientation en amont, tout au long du collège, faisant la liaison entre les disciplines et de futurs métiers. Ils peuvent discuter les propositions faites par les conseils de classe, faire appel aux décisions.

Malgré l’échec relatif de la diffusion, nous avons conclu par des propositions, recouvrant des champs plus larges que celui de l’orientation, par la base de synthèses de rapports publics récents, regroupées en champs thématiques : soutien aux familles, organisation scolaire, formations, lutte contre les discriminations, et un guide de bonnes pratiques des relations familles – école. Nous maintenons le choix d˜une position optimiste, car ces thèmes sont en liaison avec la question de l’orientation dans son étendue sociale et temporelle.

Il nous semble, à partir des entretiens et analyses des rapports historiques entre école, familles et travail que toute action visant à transformer les rapports des familles populaires à l’orientation doit être articulée et s’inscrire dans des actions plus larges. Celles-ci visent l’organisation scolaire globale, le soutien réel aux familles, la lutte contre les discriminations et l’organisation du monde du travail.

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