PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur l’aggravation des inégalités sociales dans le système scolaire. Je rappelle que l’auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe politique. Ce débat est retransmis en direct sur la chaîne Public Sénat et sera rediffusé ce soir sur France 3, après l’émission Ce soir (ou jamais !) de M. Frédéric Taddéï.

Chacun des orateurs aura à cœur de respecter son temps de parole. À cet effet, des afficheurs de chronomètres ont été placés à la vue de tous. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour le groupe du Rassemblement démocratique et social européen.

 

Mme Françoise Laborde. Ma question portera sur les projets de réussite éducative, les PRE.

Je rappelle que les PRE sont la déclinaison concrète et opérationnelle à l’échelon local du programme de réussite éducative issu de la loi de janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale. Ils s’adressent aux enfants et aux adolescents qui présentent des signes de fragilité ou ne bénéficient pas d’un environnement social, familial et culturel favorable à leur développement. Ce programme, trop méconnu, me semble constituer un élément fondamental de la lutte contre les inégalités sociales dans le système scolaire. Il témoigne d’une nouvelle approche dans la prise en compte des jeunes élèves les plus en difficulté et vient compléter les autres dispositifs éducatifs. Les PRE favorisent l’épanouissement de l’enfant, sa socialisation, son autonomisation et participent ainsi à sa réussite scolaire. De nombreuses collectivités territoriales se sont engagées dans ce processus, car elles ont indéniablement un rôle essentiel à jouer dans la mise en place d’une véritable politique locale d’éducation.

Il faut se réjouir que, depuis cinq ans, de nombreux projets se soient développés, aient fait leurs preuves et aient obtenu la reconnaissance des acteurs de la vie éducative : les conseils généraux, le ministère de l’éducation nationale, les collectivités locales, les écoles, les parents. Cependant, alors même que les effets de la crise se font de plus en plus sentir sur une population qui se paupérise littéralement, il semble que, depuis plusieurs mois, les moyens alloués à ces projets se réduisent comme peau de chagrin. Certains PRE ont vu leur financement diminuer de plus de 35 % en 2010, et la baisse atteindra peut-être 20 % en 2011. À ce rythme, que restera-t-il de cette dynamique si positive ? Aborder les problématiques des enfants et de leurs parents de manière individuelle a prouvé son efficacité dans la lutte contre les inégalités sociales et l’échec scolaire. C’est pourquoi je vous demande de renforcer ce dispositif en lui donnant les moyens de l’ambition qui le sous-tend. Monsieur le ministre, pouvez-vous vous engager sur le devenir et la pérennisation des projets de réussite éducative ?

 

M. le président. La parole est à M. le ministre.

 

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative. Madame le sénateur, vous avez raison de rappeler l’importance des programmes de réussite éducative, qui visent à prendre en charge des enfants ou des adolescents de manière globale, c’est-à-dire, au-delà du seul volet éducatif, en termes d’ouverture culturelle ou sportive, de santé, d’accompagnement social ou d’aide à la parentalité. Tel est l’intérêt majeur de ce dispositif.

Depuis ma prise de fonctions, j’ai veillé à ce que ce programme s’articule bien avec d’autres dispositifs dont l’éducation nationale a directement la charge – les PRE étant placés sous la responsabilité de l’ACSÉ, l’Agence nationale pour la cohésion nationale et l’égalité des chances, dans le cadre de la politique de la ville –, notamment l’accompagnement éducatif, que nous avons instauré au collège en 2008 et qui vise à accueillir, après seize heures, des jeunes jusqu’alors laissés livrés à eux-mêmes. Les moyens alloués à l’accompagnement éducatif s’élèvent à 283 millions d’euros et sont consacrés à hauteur de 62 % à l’aide aux devoirs, de 22 % à l’initiation aux arts et à la culture, de 11 % au sport et de 5 % à l’enseignement des langues vivantes.

Nous avons défini clairement le rôle de chacun : l’éducation nationale transmet les savoirs et assure l’accompagnement personnalisé des parcours scolaires, dimension très importante de la politique de personnalisation que nous menons ; la politique de la ville, au travers des PRE, complète l’action de l’école hors temps scolaire, notamment en orientant les jeunes en difficulté vers les dispositifs existants ; enfin, les collectivités territoriales doivent mettre à disposition les ressources locales existantes de nature à faciliter le bon déroulement de l’ensemble des actions. Mon collègue Maurice Leroy, ministre de la ville, a récemment rappelé que les programmes de réussite éducative méritent d’être étoffés. Nous voulons donc fixer de nouvelles priorités dans les domaines de la santé, de la lutte contre l’absentéisme et le décrochage scolaire, de l’accompagnement individuel, de la prise en charge des élèves temporairement exclus de l’école ou du soutien à la parentalité, pour améliorer les relations entre les parents et l’école. C’est là tout l’enjeu de la renégociation des contrats urbains de cohésion sociale, dans laquelle l’éducation nationale prendra toute sa part. J’y veillerai particulièrement.

 

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour la réplique.

 

Mme Françoise Laborde. Monsieur le ministre, ma question était un peu plus basique : je pensais moins à la culture, au sport et à l’accompagnement aux devoirs qu’à la santé et au quotidien des enfants et de leurs parents. Cela peut aller de l’achat de lunettes à l’aide aux enfants qui dorment dans une voiture ou vivent dans un logement de dix mètres carrés ou moins… (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.) C’est à cela que doivent servir les PRE.

 

M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre, pour le groupe Union pour un mouvement populaire.

 

M. Jacques Legendre. La dernière enquête PISA –programme international pour le suivi des acquis des élèves – pilotée par l’OCDE évalue et compare les connaissances des élèves de 15 ans dans trois domaines : la lecture, les mathématiques et la culture scientifique. Cette enquête montre le poids de l’origine sociale dans les inégalités scolaires en France, alors que notre pays était dans la moyenne en 2000 selon ce critère. En dix ans, il y a eu chez nous un creusement des inégalités scolaires d’origine sociale. Je citerai deux exemples frappants à cet égard : en France, un lycéen issu d’un milieu défavorisé a deux fois moins de chances d’accéder à l’enseignement supérieur que s’il avait grandi en Espagne ou en Irlande ; dans notre pays, un lycéen a 4,3 fois plus de risques d’être en échec à 15 ans s’il est issu d’un milieu social défavorisé, alors que ce facteur est en moyenne de 3 au sein de l’OCDE. Un autre enseignement fort de cette enquête est que l’efficacité ne se mesure pas seulement au travers de la dépense publique. L’étude montre que certains pays de l’OCDE qui dépensent moins que la France sont mieux classés qu’elle, par exemple la Pologne, Singapour ou la Corée du Sud. L’enjeu est donc de dépenser mieux, de redéployer les moyens en fonction des priorités et des besoins. Nous avons déjà beaucoup avancé dans cette voie, comme en témoignent deux types de mesures : la mise en place de programmes du primaire recentrés sur les fondamentaux que sont la lecture et l’écriture ; l’instauration d’un véritable dispositif d’accompagnement éducatif comprenant l’aide personnalisée, l’accompagnement personnalisé, le tutorat, l’internat d’excellence. Ces mesures, que nous soutenons, mettent en lumière l’objectif visé par le Gouvernement ces dernières années : limiter le plus possible le nombre d’élèves en difficulté. Mais cela ne saurait suffire et notre système éducatif doit encore évoluer. Pouvez-vous nous préciser, monsieur le ministre, les mesures que le Gouvernement envisage, notamment en matière d’autonomie de décision des établissements scolaires, pour renforcer notre efficacité dans le domaine de l’éducation ? (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

 

M. le président. La parole est à M. le ministre.

 

M. Luc Chatel, ministre. Monsieur Legendre, les résultats de l’enquête PISA sont très intéressants, car ils nous permettent de comparer notre système éducatif à ceux de soixante-quatre autres pays. Ils montrent que la France se situe à la fin du premier tiers du classement. Nous sommes dans la moyenne des pays de l’OCDE s’agissant des acquis, aussi bien en lecture qu’en mathématiques. Surtout, cette enquête nous renseigne sur deux faiblesses de notre système éducatif. D’abord, la France reste le pays du grand écart : le nombre d’élèves qui accèdent à l’excellence est trop réduit, alors que le nombre d’élèves en grande difficulté a plutôt tendance à augmenter. Ensuite, notre système éducatif, plus que ceux des autres grands pays développés, a du mal à lutter contre les déterminismes sociaux. Dès lors, que faire ? La politique que nous menons va dans la bonne direction, non parce que c’est la nôtre, mais parce que c’est celle qui a été mise en place par tous les pays obtenant de meilleurs résultats que nous dans les enquêtes PISA. Cette politique est fondée sur la personnalisation de l’enseignement. Si l’on veut, après le défi de la massification et de la quantité auquel notre système éducatif a su répondre entre 1970 et 1990, relever le défi de la qualité, en faisant en sorte qu’il y ait une solution pour chacun à la sortie de l’école, nous devons, tout au long de la scolarité, organiser des temps de différenciation, c’est-à-dire faire davantage pour les élèves ayant plus de difficultés, être capables d’accompagner individuellement les élèves, notamment avec les plateformes de suivi et d’appui aux décrocheurs, l’aide personnalisée dès le primaire pour détecter les difficultés de lecture avant qu’il ne soit trop tard ou l’action que nous menons en faveur des enfants handicapés, ceux-ci étant accueillis en beaucoup plus grand nombre aujourd’hui qu’il y a cinq ans. En outre, comme vous l’avez indiqué, nous devons faire davantage confiance aux acteurs locaux, déléguer, transférer des compétences aux établissements scolaires, aux chefs d’établissement, aux professeurs.

 

M. le président. Monsieur le ministre, je vous prie de conclure.

 

M. Luc Chatel, ministre. L’autonomie et la personnalisation se renforcent progressivement dans notre système éducatif : tel est l’esprit de la politique que nous menons.

 

M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre, pour la réplique.

 

M. Jacques Legendre. J’avais mis l’accent sur les élèves décrocheurs, car ce problème nous préoccupe. La commission s’est rendue récemment au Canada et a vu ce qui se faisait en Ontario : il vaut mieux rattraper les élèves menacés de décrochage quand ils sont encore à l’école plutôt que de mettre en place des systèmes de rattrapage, plus coûteux et moins efficaces. Priorité à l’école ! (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.)

 

M. le président. La parole est à M. Yannick Bodin, pour le groupe socialiste.

 

M. Yannick Bodin. Monsieur le ministre, les conclusions de l’étude PISA de 2009 sont alarmantes et révélatrices de l’échec des politiques éducatives de la France. Selon cette étude, la proportion des élèves les moins performants en compréhension de l’écrit est passée de 15 % à 20 %. Loin d’avoir tiré les leçons du classement moyen de 2003, le Gouvernement a laissé se dégrader la qualité de notre enseignement. Les quelques mesures annoncées, d’ailleurs limitées à quelques expérimentations, n’y ont rien changé. Les conclusions de l’enquête PISA jettent un éclairage peu flatteur sur le système éducatif français. En prenant en compte divers indicateurs, comme la profession des parents, leur formation, le nombre de livres à la maison ou encore la langue parlée, ce rapport démontre qu’en France, plus que dans n’importe quel autre pays de l’OCDE, il est beaucoup plus difficile pour les jeunes issus de milieux défavorisés de réussir à l’école, les jeunes de la première génération immigrée étant particulièrement vulnérables. Autrement dit, en France, l’origine sociale et familiale est un facteur déterminant pour réussir à l’école : nous sommes le champion des inégalités en matière d’éducation, et c’est inacceptable ! Dans le même temps, le groupe des meilleurs élèves en lecture est passé, lui, de 8,5 % à 9,6 % de l’effectif total. Alors que cette progression devrait nous réjouir, ces chiffres constituent une autre source d’inquiétude, car ils montrent que les écarts se creusent entre les élèves au sein de notre système éducatif. Celui-ci est, à l’heure actuelle, conçu pour les élites. Les mesures les plus récentes, la suppression de la carte scolaire ou la création de lycées d’excellence, par exemple, sont censées permettre l’émergence et l’élargissement de ces élites. Certes, l’intention est bonne, mais encore faudrait-il que, dans le même temps, la grande masse des élèves ne soit pas abandonnée à son sort !

 

M. Roland Courteau. Très bien !

 

M. Yannick Bodin. Pourtant, l’un des enseignements fondamentaux de l’enquête PISA est qu’œuvrer au développement de l’excellence…

 

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

 

M. Yannick Bodin. … n’est nullement contradictoire avec faire progresser le niveau de compétence des élèves peu performants.

Au vu de ces constats, quelles mesures allez-vous prendre, monsieur le ministre, pour inverser la tendance à l’aggravation des inégalités dans les écoles de notre pays et éviter que la prochaine enquête PISA, en 2012, ne fasse apparaître un nouveau recul de la France dans le classement international ?

 

M. le président. La parole est à M. le ministre.

 

M. Luc Chatel, ministre. Monsieur le sénateur, puisque vous n’avez pas adopté un ton polémique (Sourires), je vous répondrai sur le même registre… Vous avez fait référence à l’action du Gouvernement en matière de politique éducative. À cet égard, je formulerai une simple remarque : les élèves qui ont été évalués en 2009 au titre de l’enquête PISA étaient alors âgés de 15 ans, ce qui signifie qu’ils sont entrés dans le système éducatif en 1997. Il s’agit donc des enfants des réformes qui ont été menées à la fin des années quatre-vingt et au début des années quatre-vingt-dix ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

 

Mme Christiane Demontès. Ce n’est pas vrai !

 

M. Luc Chatel, ministre. Ne voyez aucune malice dans cette remarque !

 

M. Roland Courteau. Et là, votre propos n’est pas polémique ?

 

M. Luc Chatel, ministre. Il convient simplement de bien appréhender les effets et les résultats des politiques éducatives.

 

M. Guy Fischer. C’est de la provocation !

 

M. Luc Chatel, ministre. Je note comme vous les carences de notre système éducatif. Nous cherchons à y remédier, par exemple en mettant en place des internats d’excellence, afin de permettre à des élèves issus de milieux défavorisés de réussir. On sait très bien que ce ne sera pas le cas s’ils ne sont pas davantage accompagnés sur les plans éducatif et culturel. Actuellement, 4 000 élèves bénéficient de ce nouveau dispositif. En matière d’égalité des chances, c’est un vrai progrès ! Par ailleurs, vous opposez l’élite et les élèves en grande difficulté. Pour ma part, monsieur le sénateur, j’estime que nous devons relever le niveau de l’ensemble de nos élèves. Notre pays a besoin d’une élite. Or j’observe que, en Finlande, 15 % environ des élèves d’une classe d’âge font partie de l’élite, contre moins de 10 % en France. Nous avons besoin de jeunes très qualifiés, qui tendent vers l’excellence. L’école de la République doit aussi être capable d’emmener les élèves méritants le plus loin possible.

 

Mme Josiane Mathon-Poinat. Ce n’est pas une question de mérite !

 

M. Luc Chatel, ministre. Dans le même temps, nous devons également faire en sorte que moins d’élèves quittent le système éducatif sans qualification, en renforçant l’accompagnement personnalisé. Tel est l’objectif de la politique de personnalisation tout au long de la scolarité que nous menons, pour inverser une tendance structurelle, dont l’origine remonte à plusieurs années.

 

M. le président. La parole est à M. Yannick Bodin, pour la réplique.

 

M. Yannick Bodin. Monsieur le ministre, j’ai cru un instant que vous alliez reprocher à Charlemagne de n’avoir pas pensé plus tôt à inventer l’école ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Faisons le rêve que les internats d’excellence constituent effectivement une solution pour les élèves en grande difficulté, y compris sur le plan social. Pour autant, êtes-vous aujourd’hui en mesure de nous assurer qu’il y aura une place en internat d’excellence pour chacun d’eux ?

 

M. Guy Fischer. Non !

 

M. Luc Chatel, ministre. Cela concerne les élèves méritants à potentiel !

 

M. Yannick Bodin. Ce n’est pas en créant une dizaine d’établissements que vous réglerez le problème ! Il en faut quelques centaines ! Or, compte tenu des contraintes budgétaires que vous nous exposez régulièrement, pourrez-vous assurer une place à chaque élève concerné ?

Pour l’heure, la création de ces internats d’excellence n’est qu’une mesure d’affichage ! Des centaines de milliers d’élèves attendent à leurs portes, et ce n’est pas tolérable ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

 

M. Guy Fischer. C’est l’arbre qui cache la forêt !

 

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour le groupe CRC-SPG.

 

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger sur le dispositif CLAIR – collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite – et sur le démantèlement de l’éducation prioritaire que sa mise en œuvre induit de fait.

Permettez-moi tout d’abord de citer les propos que vous avez tenus à Marseille le 25 juin 2010 : « Le dispositif CLAIR, s’il réussit, si l’expérimentation fonctionne, a pour objectif d’être étendu et de remplacer les dispositifs d’éducation prioritaire qui existent aujourd’hui. »

Puis, au Sénat, le 26 octobre dernier, vous vous êtes exprimé en ces termes : « Ce programme, qui, je le répète, est une expérimentation, n’a pas a priori vocation à se substituer à toute l’éducation prioritaire. Nous en dresserons le bilan, nous l’évaluerons et nous réfléchirons à la façon de coordonner les différents dispositifs. »

Depuis, votre ministère a annoncé l’extension, en septembre, du dispositif CLAIR, qui absorberait ainsi la quasi-totalité des réseaux ambition réussite, les RAR. Sur quels bilans et quelles évaluations vous fondez-vous pour prendre une telle décision après seulement quatre mois d’expérimentation ? En quoi le programme CLAIR est-il plus probant que les dispositifs existants, dont la nature est très différente, CLAIR étant un programme de lutte contre la violence scolaire ? C’est une différence de taille avec l’éducation prioritaire, qui est, avant tout, un dispositif de lutte contre les inégalités sociales et territoriales en matière éducative. Avec le programme CLAIR, plus de notion de zones ni de réseau, c’est la logique d’établissement qui l’emporte. Ce n’est pas étonnant dans la mesure où vous prônez l’autonomie des établissements !

Selon vous, le programme CLAIR se caractériserait par sa dimension innovante. Mais l’innovation pédagogique a toujours été le maître mot de l’éducation prioritaire. Dans ce domaine, la circulaire du 7 juillet 2010 relative à la mise en place du dispositif CLAIR ne prévoit d’ailleurs rien de nouveau. Non, la véritable innovation apportée par celui-ci réside dans l’amorce – prudente, il est vrai, le sujet étant sensible – de la généralisation des postes à profil pour, à terme, imposer la libéralisation du recrutement des enseignants.

Alors que les acteurs de l’éducation prioritaire s’accordent pour en réclamer la relance, vous l’atomisez ! Monsieur le ministre, que deviendront les réseaux ambition réussite et les milliers d’élèves qu’ils accueillent ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)

 

M. le président. La parole est à M. le ministre.

 

M. Luc Chatel, ministre. Madame le sénateur, je tiens tout d’abord à vous rappeler que l’éducation nationale investit chaque année plus d’un milliard d’euros dans l’éducation prioritaire ; il s’agit donc d’un engagement significatif. Toutefois, cette politique a besoin d’un toilettage, d’une harmonisation, d’une coordination. En effet, à l’heure actuelle, plus de treize dispositifs se superposent : c’est un véritable millefeuille, qui résulte de l’empilement des politiques depuis le début des années quatre-vingt ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

C’est un constat, pas une critique ! On a le droit d’avoir des idées et de faire des propositions, mais mettez-vous à la place des enseignants, qui voient des politiques se superposer sans véritable cohérence, alors qu’ils ont besoin de mobiliser leurs moyens et leur énergie pour faire réussir leurs élèves.

Nous avons la conviction, madame le sénateur, qu’en donnant plus de moyens aux acteurs locaux, aux établissements, aux professeurs, aux chefs d’établissement, et en leur faisant davantage confiance, nous obtiendrons de meilleurs résultats dans les établissements qui accueillent un grand nombre d’élèves issus de milieux défavorisés et où peuvent se poser des problèmes de violence. Cette conviction, née des états généraux de la sécurité à l’école que nous avons organisés au mois d’avril 2010, est d’ailleurs corroborée par un certain nombre d’études internationales.

Pour l’heure, nous avons expérimenté le dispositif CLAIR dans 105 collèges. Il offre au chef d’établissement une autonomie sur le plan pédagogique et en matière de recrutement. Un chef d’établissement pourra élaborer avec son équipe un projet pédagogique et recruter en conséquence des enseignants qui partagent celui-ci et s’engagent pour cinq années. Les établissements concernés ont besoin de stabilité, et il convient de mieux rémunérer, de revaloriser les enseignants qui font le choix de travailler dans la durée au sein d’établissements plus difficiles que d’autres. Tel est l’esprit du programme CLAIR : il s’agit là d’une véritable innovation. Les collèges appartenant aux réseaux ambition réussite ont vocation à rejoindre progressivement le programme CLAIR, dans un objectif de clarification et de simplification.

 

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour la réplique.

 

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le ministre, on sait ce que signifie le mot « toilettage » en langage RGPP ! Dans les Hauts-de-Seine, sur les vingt-quatre collèges constitués en réseau de réussite scolaire, trois seulement seraient préservés. Est-ce cela, votre politique ?

 

M. Guy Fischer. Voilà la réalité !

 

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Quid, en outre, de la cohérence avec la politique de la ville ? La révision de la carte des ZEP, les zones d’éducation prioritaires, devait se faire, on s’en souvient, en lien avec celle de la carte des ZUS, les zones urbaines sensibles, laquelle pourrait n’intervenir qu’en 2014, date de la prolongation des contrats urbains de cohésion sociale. D’ici là, la réforme des collectivités territoriales sera entrée en vigueur.

Cette politique éducative n’est pas la bonne, car elle abandonne un objectif fondamental, celui de la mixité sociale, au profit d’une « mixité des élites », en consacrant des moyens à quelques bons élèves issus des milieux défavorisés. Je vous le dis très sincèrement, ces choix ne permettront pas d’inverser la tendance au creusement des inégalités scolaires en France, où l’influence de l’environnement socioéconomique sur la réussite des élèves est particulièrement forte, comme l’indique l’enquête PISA ; pis encore, ils l’accentueront. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)

 

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault, pour le groupe de l’Union centriste.

 

Mme Jacqueline Gourault. Monsieur le ministre, je ne doute pas que vous estimiez que, dans notre démocratie, la reconnaissance des talents et des mérites ne devrait pas dépendre de l’hérédité sociale et des hasards de la naissance. Et pourtant, depuis le début de la massification scolaire, qui a ouvert au plus grand nombre l’accès aux études longues, jamais notre école n’a été aussi inégalitaire.

Ainsi, les statistiques des services de votre ministère indiquent que 79 % des élèves provenant de catégories sociales favorisées obtiennent un bac général, contre seulement 18 % des élèves issus de milieux défavorisés.

 

M. Roland Courteau. Voilà ! Les chiffres parlent !

 

Mme Jacqueline Gourault. Par ailleurs, 55 % des bacheliers qui entrent dans les classes préparatoires aux grandes écoles ont un père cadre, chef d’entreprise, professeur ou membre d’une profession libérale, et 5 % seulement un père ouvrier.

L’inégalité sociale réside aussi dans le fait que des milliers d’enfants ne possèdent pas les éléments fondamentaux du savoir : la lecture, l’écriture et le calcul. Vous le savez, monsieur le ministre, le nombre d’élèves faibles dans ces matières de base a augmenté de façon spectaculaire d’une étude PISA à l’autre, notamment au sein des milieux les plus défavorisés socialement. Nous courons vers une école à deux vitesses !

 

M. Roland Courteau. On y est déjà !

 

Mme Jacqueline Gourault. Monsieur le ministre, je suis de ceux qui pensent que les paramètres fondamentaux sont le nombre d’enseignants et leur formation. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Il ne s’agit pas de vous accuser de quoi que ce soit, monsieur le ministre : chaque gouvernement a sa responsabilité, mais je m’interroge sur la suppression de postes d’enseignant à la rentrée et sur celle de la formation des maîtres, même si le Président de la République a dit qu’il allait rouvrir ce dernier chantier. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

 

M. Jean-Luc Fichet. Il en dit, des choses !

 

Mme Jacqueline Gourault. Ce chantier, il aurait mieux fait de ne pas le fermer ! (Nouvelles marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

 

M. Roland Courteau. Très bien !

 

Mme Jacqueline Gourault. Monsieur le ministre, quand allez-vous nous présenter des objectifs précis et simples, fixés en concertation avec les acteurs de l’éducation nationale, pour préparer l’école de demain ? (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste, du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

 

M. le président. La parole est à M. le ministre.

 

M. Luc Chatel, ministre. Madame le sénateur, vous avez raison de vous indigner contre l’importance du nombre des élèves qui quittent le système éducatif sans qualification, qui maîtrisent mal les savoirs fondamentaux. Je me permets toutefois d’attirer l’attention de la Haute Assemblée sur le fait que ce nombre n’a jamais été aussi peu élevé dans notre pays. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

 

M. Yannick Bodin. Depuis Charlemagne ?

 

M. Luc Chatel, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, quelle était la situation de notre système éducatif avant le collège unique, avant la création par Jean-Pierre Chevènement des bacs professionnels, cette grande avancée qui a permis de favoriser l’insertion professionnelle des jeunes grâce à l’éducation nationale ? Il faut aussi considérer les résultats sur la longue durée !

Madame Gourault, vous avez certes raison de vous élever contre le fait que 20 % d’élèves maîtrisent insuffisamment les fondamentaux en sortant du primaire. Ce pourcentage est trop important, et nous devons nous mobiliser pour remédier à cette situation. Or c’est précisément ce que nous avons fait : j’ai décidé de mettre en place un plan de lutte contre l’illettrisme s’appuyant sur l’étude du vocabulaire et l’apprentissage par cœur, dès la classe de maternelle.

En effet, la véritable inégalité sociale tient au fait qu’un élève issu d’un milieu favorisé maîtrise entre 600 et 700 mots en entrant au cours préparatoire, contre 150 ou 200 seulement pour un élève venant d’un milieu défavorisé. On sait bien que ce second élève a beaucoup moins de chances d’apprendre à lire correctement que le premier.

Le rôle de l’école est d’inverser cette tendance en se mobilisant, dès la classe de maternelle, pour lutter contre l’illettrisme. C’est cette mobilisation que nous avons engagée.

Enfin, madame le sénateur, je tiens à vous rassurer à propos du nombre des professeurs : à la rentrée de 2011, notre système éducatif comptera plus d’enseignants qu’au début des années quatre-vingt-dix, alors que les élèves sont moins nombreux ! (Applaudissements sur certaines travées de lUMP.)

 

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault, pour la réplique.

 

Mme Jacqueline Gourault. Monsieur le ministre, nous ne disposons manifestement pas des mêmes statistiques, mais ce n’est pas grave…

Monsieur le ministre, ne prenez pas en mauvaise part ce que je vais vous dire et ne considérez pas qu’il s’agit d’une attaque personnelle.

 

M. Ivan Renar. Si !

 

Mme Jacqueline Gourault. Voilà quelques semaines, vous avez évoqué l’apprentissage de l’anglais dès l’âge de 3 ans et l’enseignement des sciences physiques, de la chimie, des sciences de la vie et de la technologie par un enseignant unique. Pourquoi pas, mais il s’agit presque de niches ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Or, ce que les Français attendent, c’est que leurs enfants réussissent à l’école de la République, comme c’était le cas sous les iii e et ive Républiques.

 

M. Luc Chatel, ministre. Mais avec combien d’élèves ?

 

Mme Jacqueline Gourault. Pourquoi ne serions-nous pas capables d’atteindre un tel résultat aujourd’hui, afin que la France puisse être, dans l’avenir, un pays en pointe en matière de recherche, grâce à des têtes bien faites et bien pleines ? (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste, du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

 

M. le président. La parole est à M. Alain Dufaut, pour le groupe Union pour un mouvement populaire.

 

M. Alain Dufaut. Depuis la rentrée scolaire de 2007, l’assouplissement – pour ne pas dire la suppression ! – de la carte scolaire a entraîné un effet pervers dans les établissements réputés difficiles, en particulier en zones d’éducation prioritaires et dans les collèges des réseaux ambition réussite.

 

M. Yannick Bodin. Bravo !

 

M. Alain Dufaut. On y assiste en effet à un « écrémage » des meilleurs élèves, qui partent dans d’autres établissements, quand ce n’est pas dans l’enseignement privé, et à une accentuation de la « ghettoïsation » des collèges et des lycées des quartiers défavorisés. La chambre régionale des comptes a d’ailleurs dénoncé, dans un rapport de mai 2010, le risque de création de « ghettos scolaires ».

J’ai le triste privilège d’être le conseiller général d’un canton où le premier des 254 collèges que compte le réseau ambition réussite, le collège Paul-Giéra, situé dans le quartier Monclar, à Avignon, a été fermé. Même si les vraies motivations de cette fermeture sont liées à des considérations politico-financières, il n’en reste pas moins que c’est en raison de l’assouplissement de la carte scolaire que le conseil général de Vaucluse a pris une telle décision.

Après une année d’expérience de redéploiement des élèves concernés dans deux collèges du centre-ville, le bilan éducatif et social marque un véritable fiasco.

 

M. Guy Fischer. Très bien !

 

M. Alain Dufaut. L’hétérogénéité des classes rend insurmontable la tâche des équipes éducatives, tandis que l’absentéisme ne cesse de croître, du fait de l’éloignement du quartier en question. Enfin, la diminution des moyens ajoute encore aux difficultés, avec des enseignants non préparés à exercer devant ce public, un nombre d’élèves par classe plus élevé – vingt-six au lieu de vingt en zones d’éducation prioritaires –, moins de conseillers principaux d’éducation, aucune passerelle vers les sections d’enseignement général et professionnel adapté, plus d’école ouverte, etc.

À maintes reprises, j’ai attiré l’attention des responsables de l’éducation nationale sur ce sujet, y compris la vôtre, monsieur le ministre. J’ai même déposé une proposition de loi, le 1er septembre 2009, pour tenter d’instaurer une sorte de mixité à l’envers dans ce type d’établissements. Mais toutes ces démarches sont restées sans suite…

Monsieur le ministre, pourriez-vous m’indiquer quelles pistes sont explorées par l’éducation nationale afin d’optimiser l’« aire d’attraction » de ces établissements, qu’il s’agisse de la différenciation de l’offre de formation ou des modalités d’affectation des élèves ?

 

M. le président. La parole est à M. le ministre.

 

M. Luc Chatel, ministre. Monsieur le sénateur, si le Président de la République a voulu assouplir la carte scolaire, c’est parce que le système antérieurement en vigueur était absolument désastreux. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.) Il a conduit à la « ghettoïsation » que vous dénoncez aujourd’hui.

Nous avons donc assoupli – et non supprimé – le système, ce qui a permis à un certain nombre d’élèves boursiers, issus de milieux défavorisés ou handicapés de bénéficier de dérogations, alors que ce n’était pas possible précédemment.

S’agissant de l’exemple que vous avez évoqué, monsieur le sénateur, je ferai d’abord observer que l’éducation nationale ne ferme aucun collège sans l’avis de l’autorité organisatrice départementale, à savoir le conseil général, dont vous êtes membre. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Un travail de concertation entre l’inspection académique et le conseil général de votre département a été mené en vue de réorganiser la carte scolaire.

 

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Des sanctions !

 

M. Luc Chatel, ministre. Le nombre d’élèves moyen par division des collèges Frédéric-Mistral et Joseph-Vernet, qui ont accueilli les élèves de l’ex-collège Paul-Giéra, est aujourd’hui analogue à celui des établissements situés en zones d’éducation prioritaires.

Par ailleurs, les moyens qui étaient accordés au collège Paul-Giéra au titre du réseau ambition réussite ont été intégralement redistribués aux collèges d’accueil, et même majorés, monsieur le sénateur, puisqu’un poste supplémentaire de conseiller principal d’éducation a été attribué au collège Frédéric-Mistral. Les neuf assistants d’éducation du collège Paul-Giéra ont été transférés aux deux collèges d’accueil. Ce sont donc autant de moyens supplémentaires.

Monsieur le sénateur, avec le recul, il faut reconnaître que le transfert des élèves du collège Paul-Giéra a été bénéfique, sans que l’attractivité des établissements d’accueil en pâtisse, puisque, à l’échelle du département de Vaucluse, le collège Joseph-Vernet occupe la quatrième place à ce titre et le collège Frédéric-Mistral la seizième. J’ajoute que l’absentéisme a reculé dans ces établissements.

 

M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre !

 

M. Luc Chatel, ministre. Monsieur le sénateur, je sais qu’il s’agit de décisions difficiles à prendre pour des élus, mais il est important d’étudier comment mieux répartir les moyens sur l’ensemble du territoire,…

 

M. Guy Fischer. Répartir la misère !

 

M. Luc Chatel, ministre. … afin que le système éducatif public puisse devenir plus performant. C’est ce que nous faisons au quotidien avec les élus locaux.

 

M. le président. La parole est à M. Alain Dufaut, pour la réplique.

 

M. Alain Dufaut. Monsieur le ministre, il se trouve que les trois établissements en question, y compris les deux de centre-ville, sont situés dans mon canton, et que je participe à tous leurs conseils d’administration. Par conséquent, je suis bien placé pour savoir que la situation n’est pas aussi idyllique que n’a bien voulu vous le dire l’inspection académique ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

L’objectif n’est pas de remettre en cause l’assouplissement de la carte scolaire ; il est d’essayer de trouver des solutions efficaces pour éviter que ne s’aggrave la « ghettoïsation » des collèges et des lycées des quartiers difficiles, des zones d’éducation prioritaires ou des réseaux ambition réussite.

Instaurer une mixité à l’envers, comme je l’ai suggéré au travers de ma proposition de loi, serait à mon sens une bonne solution. La mixité ne se décrète pas ; il faut la favoriser par des moyens adaptés. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

 

M. Ivan Renar. Les moyens, c’est tout le problème !

 

M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron, pour le groupe socialiste.

 

Mme Françoise Cartron. Monsieur le ministre, je souhaiterais tout d’abord attirer votre attention sur les résultats de la sixième enquête quadriennale réalisée par l’Observatoire national de la vie étudiante, qui ont été publiés au début de l’année. Ils sont alarmants ! Ainsi, le pourcentage d’étudiants issus des classes populaires est moins élevé qu’il y a quatre ans : il a baissé de 35 % en 2006 à 31 % en 2010.

 

M. Roland Courteau. La gauche n’y est pour rien !

 

Mme Françoise Cartron. Malgré ces données inquiétantes, rien n’est fait pour conforter notre système éducatif, bien au contraire ! En effet, ni le rapport de la Cour des comptes publié en 2010, ni les résultats de l’enquête PISA n’auront eu d’influence sur votre politique.

Vous vous bornez à constater la croissance du nombre des élèves en échec scolaire, le plus souvent issus de milieux défavorisés. A contrario, vous usez et abusez de la rhétorique de l’excellence.

Il est très bien de fixer un objectif de 30 % de boursiers en classes préparatoires, mais un enfant d’ouvrier sur deux ne décroche pas le bac. Instaurer une évaluation en cours moyen deuxième année pour lutter contre l’échec scolaire n’est pas forcément une mauvaise idée, mais, dans le même temps, les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté, les RASED, sont supprimés et les maîtres absents ne sont pas remplacés. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

 

M. Roland Courteau. C’est cela qui est grave !

 

Mme Françoise Cartron. Votre politique agit comme un tamis éducatif sélectionnant les meilleurs, sans jamais chercher à intervenir en amont. Ainsi, le recul de 35 % à 12 % du taux de scolarisation des enfants âgés de 2 à 3 ans, tout particulièrement dans les zones d’éducation prioritaires, et la suppression de la carte scolaire, qui aggrave la « ghettoïsation » de certains établissements, s’opèrent au détriment des plus fragiles.

Au-delà de l’étranglement budgétaire qui étouffe les équipes sur le terrain, vous vous êtes également attaqué à la formation des enseignants, alors que tous les pays arrivant en tête des classements internationaux ont investi massivement dans celle-ci. La « mastérisation » mise en place à la rentrée dernière aboutit à un véritable gâchis.

 

M. le président. Veuillez poser votre question, ma chère collègue !

 

Mme Françoise Cartron. Le Président de la République a parlé d’« éléments de la formation à revoir ». Que faut-il entendre par là, monsieur le ministre ? Derrière ces euphémismes se trouve la réalité du terrain. Ne vous perdez pas dans un style amphigourique et donnez-nous une réponse claire et précise sur ce sujet, qui puisse tous nous éclairer ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

 

M. le président. La parole est à M. le ministre.

 

M. Luc Chatel, ministre. Madame le sénateur, le temps de parole qui m’est imparti pour répondre à votre question risque d’être un peu trop court ! Je vais néanmoins tâcher de vous apporter quelques éclaircissements.

Ma collègue Valérie Pécresse et moi-même avons décidé de nous attaquer aux inégalités sociales. Le Président de la République avait fixé un objectif de 30 % de boursiers en classes préparatoires, que nous avons dépassé avant l’échéance assignée. C’est donc un signal très fort que nous envoyons à des élèves issus de milieux modestes qui doivent réussir grâce à l’école de la République.

Dans le cadre de la réforme du lycée que nous avons engagée depuis la dernière rentrée, nous avons décidé d’accompagner davantage les élèves dans leurs choix d’orientation, domaine dans lequel les inégalités sociales s’expriment de la manière la plus criante. En effet, un élève issu d’un milieu où l’on connaît le fonctionnement du système éducatif ne fera pas les mêmes choix d’orientation qu’un jeune dont le milieu familial est peut-être déstructuré, en tout cas éloigné de l’école. Là est la véritable inégalité ! Le premier pourra décrypter la complexité du système et éviter certains pièges, tandis que le second sera incapable de s’orienter de manière personnelle.

Par conséquent, nous avons décidé d’accompagner davantage les élèves en matière d’orientation, afin qu’ils puissent élaborer progressivement leurs choix tout au long de la scolarité au lycée, en ayant la possibilité de changer de trajectoire, d’emprunter des passerelles, de suivre des stages de remise à niveau et de bénéficier d’un tutorat assuré par les professeurs. Ces derniers, qui connaissent bien leurs élèves, peuvent ainsi désormais les accompagner en matière d’orientation, au côté des conseillers d’orientation. Il faut détecter le plus tôt possible les talents des élèves, afin d’emmener ceux-ci vers la réussite. C’est dans cet esprit que nous avons décidé de mobiliser notre système éducatif.

 

M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron, pour la réplique.

 

Mme Françoise Cartron. Pardonnez-moi, monsieur le ministre, mais vous n’avez pas répondu à ma question, qui portait sur la formation des maîtres ! Les enquêtes PISA montrent que les systèmes éducatifs qui réussissent sont ceux qui investissent massivement dans ce domaine. Or, malheureusement, vous avez agi à rebours, et nous constatons aujourd’hui que la « mastérisation » est un échec.

Monsieur le ministre, quelles mesures comptez-vous prendre pour éviter que, à la prochaine rentrée, de jeunes étudiants sortis tout frais émoulus des universités ne découvrent sans préparation toutes les difficultés du métier d’enseignant ?

 

M. le président. La parole est à M. Philippe Darniche, pour la Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

 

M. Philippe Darniche. Monsieur le ministre, combattre les inégalités sociales est la vocation même de l’école de la République. Pourtant, malgré les différentes réformes menées depuis quarante ans – je pense notamment à la mise en place, en 1975, du collège unique ou à la loi d’orientation sur l’éducation de 1989 –, ces inégalités s’accroissent.

La massification de l’enseignement n’a pas tenu ses promesses et la prétention à vouloir faire de l’enfant l’acteur de son propre apprentissage s’est révélée vaine.

Certes, les statistiques entretiennent la confusion et le doute sur la nature des problèmes. La massification de l’accès au baccalauréat et à l’enseignement supérieur ne serait-elle pas la preuve que l’égalité des chances est désormais mieux garantie ? En réalité, il n’en est rien, et ce sont avant tout les enfants des milieux les plus favorisés qui accèdent aux filières les plus prestigieuses.

Les rapports de l’éducation nationale font apparaître les conséquences d’une telle politique : 160 000 jeunes quittent chaque année le système scolaire sans qualification ; 25 % des écoliers ont des « acquis fragiles » en français et en mathématiques ; 15 % « connaissent des difficultés sévères ou très sévères » à l’issue du primaire. La France a beau abriter certains des meilleurs mathématiciens du monde, ses élèves montrent toujours un niveau très décevant en algèbre ou en géométrie.

Cette crise est également révélée par les comparaisons internationales, que je ne citerai pas, nombre de mes collègues venant d’y faire allusion. Toutes témoignent d’une baisse régulière du niveau de nos élèves.

Les enfants des milieux modestes qui, dépourvus d’informations ou de préparation adéquates, se sont égarés dans des filières non sélectives et n’offrant aucun débouché sont les premières victimes de cette situation. Leurs familles étaient pourtant fières de compter en leur sein un premier bachelier, puis un licencié ! Mais l’ascenseur social n’est pas pour autant au rendez-vous…

Monsieur le ministre, comment lutter contre les inégalités sociales dans le système scolaire sans restaurer la transmission des savoirs fondamentaux par des méthodes qui ont fait leur preuve ?

La volonté d’apporter à des écoliers très jeunes des connaissances élargies est certes louable, mais n’a-t-elle pas nui à l’acquisition des fondamentaux, à savoir la maîtrise de la lecture, de l’écriture et du calcul, qui prépare nos enfants aux études secondaires puis supérieures ?

 

M. le président. La parole est à M. le ministre.

 

M. Luc Chatel, ministre. Monsieur le sénateur, pendant de nombreuses années, en conséquence sans doute de mai 68 (Protestations sur les travées du groupe socialiste), notre système éducatif a en effet oublié qu’enseigner, c’est d’abord transmettre des savoirs. La loi Jospin de 1989, qui plaçait l’enfant au cœur du système, au détriment du maître, a marqué l’apogée de cette période.

 

Mme Christiane Demontès. Qui a supprimé les IUFM ?

 

M. Roland Courteau. La faute aux autres !

 

M. Luc Chatel, ministre. Monsieur le sénateur, je crois comme vous à un système éducatif fondé sur la transmission des savoirs et d’un certain nombre de valeurs, pour former les futurs citoyens.

Nous avons donc décidé de redonner la priorité à l’apprentissage d’un certain nombre de fondamentaux. Tel était l’objectif de la réforme du primaire mise en place par mon prédécesseur Xavier Darcos. Pour ma part, j’ai décidé de réinstaurer systématiquement le calcul mental afin de développer, dès le plus jeune âge, la mémoire et l’agilité d’esprit. En ce qui concerne la lecture, nous avons choisi de revenir à des méthodes permettant un meilleur apprentissage.

Par conséquent, comme vous pouvez le constater, monsieur le sénateur, nous avons décidé de recourir à des méthodes qui ont fait leurs preuves, car éduquer, c’est d’abord transmettre le savoir. (Applaudissements sur certaines travées de lUMP.)

 

M. le président. La parole est à M. Philippe Darniche, pour la réplique.

 

M. Philippe Darniche. Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre réponse.

Je voudrais souligner qu’il nous faut très souvent faire appel à des bénévoles pour aider, après la classe, les enfants qui ne trouvent pas chez eux le soutien nécessaire pour compléter le travail effectué avec les maîtres. Cela n’est pas sans poser un certain nombre de problèmes d’organisation. C’est à mon sens à l’école de la République qu’il revient de mettre en place un dispositif aussi utile.

 

M. Roland Courteau. Il ne fallait pas voter le budget, mon cher collègue !

 

M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques sur l’aggravation des inégalités sociales dans le système scolaire.

 

Avant de reprendre la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

 

La séance est suspendue.

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