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LE PLUS. Faut-il repenser la laïcité ? Oui, répond Jean Bauberot, professeur émérite à l’École pratique des hautes études. Pour ce spécialiste du sujet, il faut revenir à l’esprit de tolérance de la loi de séparation des Églises et de l’État pour contrer une nouvelle forme de laïcité actuelle, qu’il juge discriminatoire et contre-productive.

 

Depuis quelques années, la droite dure et l’extrême-droite se veulent les champions de la laïcité, or il s’agit d’une laïcité falsifiée. Nous avons eu le "débat sur la laïcité" de l’UMP, les propos de Marine Le Pen sur l’interdiction de la kippa et du foulard dans la rue et ceux de Jean-François Copé sur le "pain au chocolat". 

Aujourd’hui, le projet de la Droite forte, principale tendance de l’UMP, vise à interdire les minarets comme signes de "prosélytisme dans l’espace public", à conditionner la construction de mosquées à la signature d’une "Charte républicaine", à ajouter le mot "Laïcité" à la devise "Liberté, Égalité, Fraternité" et, ce qui explique cette inflation, à préciser dans la Constitution : "La France est une République laïque de tradition chrétienne" !

La loi de 1905 bafouée
Nul n’avait prévu une dérive d’une telle ampleur. Pourtant, elle s’avérait possible dès lors que l’on tournait le dos à la laïcité que la loi de 1905 avait établie. La tromperie initiale a consisté à prétendre reléguer la religion dans la "sphère privée", entendue au sens de "sphère intime". Or, en 1905, si la séparation a fait de la religion une "affaire privée", c’est-à-dire un choix personnel et libre, si elle a supprimé toute officialité de la religion, toute dimension religieuse de l’identité nationale, elle a en revanche augmenté la liberté de manifester ses convictions, religieuses ou non, dans l’espace public dès lors qu’il s’agit de manifestations volontaires, qui n’engagent pas l’État et ne troublent pas l’ordre public démocratique.

C’est la puissance publique qui doit être neutre, pour garantir la liberté de conscience de tous. L’espace public est un lieu de libre expression. En 1905, tous les amendements qui restreignaient cette liberté, y compris celui sur le port de vêtements religieux, ont été refusés.

Une "nouvelle laïcité" contre-productive
Quel obscurantisme que de se réclamer de la loi de 1905 en prônant ce qu’elle a désavoué ! Ceux qui veulent une "nouvelle laïcité" doivent l’assumer. Ils peuvent le faire en affirmant que la situation a changé. Mais ils doivent alors démontrer que leur nouvelle laïcité est juste et efficace. Or elle se montre profondément discriminatoire et contre-productive.

Elle est discriminatoire car elle apparaît à géométrie extrêmement variable. Même ceux qui, à gauche, prétendent se situer dans une logique égalitaire savent que leurs propositions intransigeantes n’auront pas d’application identique suivant les religions. Tout le problème est là. Dans leur immense majorité, les musulmans de France ne sont pas contre la laïcité, ils sont contre le fait que celle-ci, falsifiée, les vise en particulier, donc les stigmatise.

C’est en quoi cette nouvelle laïcité est contre-productive. Il faut isoler les extrémistes et les rendre peu attractifs. Or, par calcul électoral ou par manque d’intelligence, on s’acharne depuis des années à produire un ressenti victimaire chez les musulmans qui pratiquent tranquillement leur religion. On déconsidère la laïcité à un point tel que, quand il entend ce mot, un musulman peut penser : "Qu’est-ce qui va encore me tomber dessus !" On voudrait favoriser l’extrémisme que l’on n’agirait pas autrement.

Comment remettre la laïcité sur ses rails
Chaque époque comporte ses sources de confit, ses menaces, donc ses peurs. Il est naïf de croire que la situation de 1905 était plus calme que la nôtre : ce n’est pas pour rien que l’auteur de la loi de séparation, Aristide Briand, a prôné une "laïcité de sang-froid". Que la laïcité se concrétise aujourd’hui face à de nouveaux problèmes, certes. Mais selon des principes inchangés : séparation du pouvoir politique et des autorités religieuses, neutralité arbitrale de l’État, liberté de conscience et non-discrimination. Cela signifie l’égalité de toutes les convictions et le fait que leur expression relève du droit commun.

De multiples propositions peuvent être faites. Les miennes visent à remettre la laïcité sur ses rails. D’abord, recréer la Halde (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations), afin que l’on ne se serve plus de la laïcité comme leurre pour justifier des discriminations. Ensuite, rattacher le Bureau des Cultes au ministère de la Justice. Le ministère de l’Intérieur doit lutter contre tout terrorisme éventuel. Qu’il apparaisse comme gérant les religions est source de confusion. Enfin, il faut soutenir activement le projet de renouveau de la morale laïque. Morale du lien social et des principes qui fondent le pacte républicain, la morale laïque peut représenter la dynamique d’une laïcité qui rime avec égalité, fraternité et liberté.

Article publié dans le "Nouvel Observateur" du 20 décembre 2012.

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