PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Alors que Najat Vallaud-Belkacem a lancé une grande mobilisation de l’École pour porter les valeurs de la République, à la suite des attentats contre « Charlie Hebdo » et porte de Vincennes, les futurs enseignants ne sont pas toujours au clair sur la question de la laïcité. Un défi d’ampleur pour les Espé.

Il y a d’abord eu l’urgence. Quels outils et dispositifs mettre en place pour répondre aux besoins des professeurs stagiaires, souvent démunis pour parler des attentats contre « Charlie Hebdo » et porte de Vincennes à leur classe ?

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À l’Espé (école supérieure du professorat et de l’éducation) de Clermont-Auvergne, l’information est d’abord passée par les formateurs. « Je leur ai demandé d’en parler avec leurs étudiants en insistant bien sur le fait qu’ils ne devaient pas rester isolés », explique Didier Jourdan, directeur de l’Espé. Aix-Marseille a également réagi très vite. Dès le lendemain de l’attentat contre « Charlie Hebdo », tous les enseignants-chercheurs, formateurs et étudiants de M1 et de M2 de l’Espé ont reçu un courrier. « Ma volonté était d’attirer leur attention sur la gravité des événements qui venaient de se produire et sur l’importance de leur prise de position », détaille Jacques Ginestié, directeur de l’école et président du réseau national des Espé.

Des enseignants désarmés

À certains endroits cependant, les étudiants se sont sentis bien seuls. Ainsi Léa (son prénom a été changé à sa demande), professeur stagiaire d’espagnol dans l’académie de Créteil, déplore n’avoir eu aucune communication avec l’Espé : « Comme n’importe quel enseignant, nous avons reçu une lettre de la ministre qui insiste sur le rôle de l’école dans la transmission des valeurs de la République et qui nous renvoyait vers des ressources en ligne, mais rien de nos formateurs. J’ai eu l’impression d’être abandonnée à un moment où, justement, j’avais  besoin d’être soutenue, ne serait-ce que moralement. »

Conséquence : des professeurs ne se sentant pas assez armés et craignant d’être débordés ont préféré ne pas aborder la question. Encouragés parfois par les enseignants de l’Espé eux-mêmes. « Les formateurs nous ont conseillé d’évoquer les attentats uniquement si les élèves eux-mêmes en faisaient la demande », témoigne Sébastien, professeur stagiaire d’anglais dans le Val-de-Marne.

INtérioriser les valeurs républicaines

Si des enseignants ont été démunis pour répondre aux questions de leurs élèves relatives à la laïcité, c’est parce que, pour eux aussi, les fondamentaux de l’école républicaine ne vont pas de soi. « Les jeunes professeurs connaissent les valeurs de la République, mais ils ne les ont pas nécessairement intégrées », reconnaît Didier Jourdan. Patrick Ghrenassia, formateur à l’Espé de Paris, en témoigne : « Des futurs profs éprouvent des difficultés à enseigner « La Marseillaise » car ils ont du mal à la chanter eux-mêmes. »

La faute à la formation ? Pour Patrick Ghrenassia, la réponse ne fait aucun doute : « L’enseignement de la laïcité et des valeurs républicaines reste très conceptuel. Pour certains étudiants, c’est une matière comme une autre qu’on ‘apprend’ pour réussir les concours, rien de plus. » Alors que, justement, « il faut faire vivre ces valeurs, leur donner de la chair pour pouvoir les transmettre », martèle Philippe Watrelot, formateur à l’Espé de Paris et président du Crap-« Cahiers pédagogiques ».

À chaque génération, l’éducation à la citoyenneté doit être réinventée. (D. Jourdan)

Ce qui implique de ne pas concentrer les modules censés aborder ces notions (modules qui font partie du tronc commun) sur la seule année de M1, celle du concours, et de substituer les cours magistraux, les « grand-messes », aux TD. « La question de la laïcité suscite des débats au sein des formations, c’est normal. À chaque génération, l’éducation à la citoyenneté doit être réinventée », analyse Didier Jourdan.

En attendant de revoir le contenu des formations, des Espé ont d’ores et déjà pris un certain nombre d’initiatives pour permettre aux futurs enseignants de mieux s’approprier ces questions de laïcité et plus largement les valeurs républicaines. Des ateliers « pour apprendre à mieux vivre ensemble » sont programmés dans les prochains jours à Clermont. À Lyon, les étudiants de l’Espé participeront à une journée « laïcité-liberté » le 31 janvier 2015. Suivra une université d’été sur l’enseignement de la laïcité avec Abdennour Bidar, philosophe et co-auteur de la ‘Charte de la laïcité' », précise Alain Mougniotte, directeur de l’Espé lyonnaise.

Mieux connaÎtre les  élèves

Au-delà d’un manque de formation, les événements récents ont également mis en évidence le fossé qui sépare les jeunes professeurs, issus pour une grande partie d’entre eux des classes moyennes, de leurs élèves. En atteste le désarroi de certains face à la réaction de jeunes qui ont refusé de faire la minute de silence. « C’est comme s’ils avaient soudainement pris conscience que les élèves n’avaient pas nécessairement les mêmes références qu’eux », analyse Philippe Watrelot, qui suggère que « tous les stagiaires aient une formation en sociologie« .

Un avis que partage Anne Sabatini, responsable du secteur école des Ceméa (Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active), une association membre du Cape (Collectif des associations partenaires de l’école) avec laquelle le réseau des Espé a signé une convention. L’objectif d’une telle formation serait d' »aider les enseignants à aborder les élèves dans leur globalité, en tenant compte de leur culture et de leurs valeurs, souvent très éloignées de celles des enseignants. Dont la plupart n’ont jamais quitté l’école », explique Anne Sabatini.

Si de nombreuses Espé ont déjà sollicité le Cape pour qu’il intervienne dans les formations, ce n’est pas le cas de toutes les écoles. « L’idée que la formation des enseignants doit être surtout disciplinaire est encore largement répandue », regrette Anne Sabatini. Les événements tragiques de la semaine dernière viennent démontrer l’inverse. Jacques Ginestié en est convaincu : « On voit bien là que le métier d’enseignant s’apprend. La culture commune est un outil indispensable de la professionnalisation et donc de la formation. »

Isabelle Dautresme

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