PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Quatrième université d’été de PRISME :
jeudi 5 juillet 2007, La Ferté sous Jouarre

L’accès à l’éducation, à la formation et à l’orientation pour tous dans une logique inscrite tout au long de la vie.
Table ronde : Approche territoriale de l’orientation : une fonction sociale partagée ? Avec Jacques Guyard, ancien ministre, secrétaire de Prisme, Martine Fourier, Service éducation de Trappes, Jean-Marie Quiesse, association « apprendre et s’orienter ».
Intervention de Jean-Marie Quiesse :

L’approche orientante, la nécessité d’un contrat
en phase avec l’époque

C’est en tant que membre de l’association « apprendre et s’orienter » que je m’exprime devant vous ce matin. Actuellement présidée par madame Danielle Ferré, l’association a été créée en 1999, suite à une recherche-action de trois années menée au lycée René Gosse dans l’académie de Montpellier. Compte tenu de leur forte mobilisation et du sens apporté à leur travail à travers une nouvelle approche de l’orientation, les enseignants ont décidé de continuer à coopérer en créant avec la pilote du projet, Danielle Ferré, l’association « apprendre et s’orienter » que j’ai personnellement présidée durant quatre années. Elle s’est enrichie de nombreux acteurs de l’orientation, de la formation et de l’entreprise. Une de nos idées maîtresse est que l’on construit son parcours en même temps que l’on construit ses apprentissages.

En ce qui concerne l’approche orientante, les contacts avec les enseignants et les conseillers d’orientation québecois, les liens qui nous unissent à l’Association québecoise d’information (AQISEP), les rencontres avec le professeur Denis Pelletier du Québec, initiateur du concept, nous incitent à porter cette démarche nouvelle, en France et en Europe, comme une alternative possible à la conception actuelle de l’orientation. Généralisée au Québec, expérimentée en France, au niveau de collèges et de lycée, elle apporte une nette amélioration par rapport aux situations antérieures. Les travaux ont été largement publiés et fait l’objet de plusieurs ouvrages. Deux nouveaux tomes d’un même ouvrage sortent en France sur ce sujet en septembre prochain.

L’approche orientante, une nécessité : pourquoi oser l’approche orientante et comment ? L’approche orientante nous apparaît en effet comme une nécessité parce qu’il convient d’établir un nouveau contrat entre l’institution scolaire, les jeunes et leurs familles. Je tiens à remercier chaleureusement l’association Prisme et son Président, Jean Roucou, pour son invitation et vous faire part du plaisir que j’ai à m’entretenir avec vous.

L’école aujourd’hui est-t’elle orientante ?

Nous voici à la Ferté sous Jouarre. Je ne puis voyager dans cette région où l’identité principale de la France s’est forgée sans une pensée pour Fernand Braudel. C’est dans les territoires et à travers ce que nous y entre-prenons que se construit notre identité personnelle, à travers des modèles spécifiques inspirants qui orientent le sens des aspirations et des intentions. Dans ces modèles, celui que nous partageons tous, c’est le passage à l’école de la République. Ce qui nous valorise ce sont les résultats que nous y avons obtenus mais aussi les rencontres que nous y avons faites. Ce qui nous différencie, ce sont les trajectoires parcourues dans ce cadre. Car l’école à laquelle est donnée la mission d’orienter doit être orientante.

Ce qui par la suite définit notre espace identitaire, ce sont les milieux de travail.
Ce qui nous valorise alors, ce sont nos réseaux, les créations et les innovations auxquelles nous avons participé.
Ce qui nous pose ce sont les carrières que nous y accomplissons : elles nourrissent les besoins de distinction.

Car entreprendre est orientant. La question, aujourd’hui, est bien de savoir si ces deux piliers de la cohérence sociale et du développement sont toujours « orientants » ?
Car la finalité du contrat scolaire consensuel, qui mobilise une très grande partie des élèves et de leurs parents, repose sur une demande d’autonomisation mais aussi de socialisation. La prise en compte de la liberté personnelle de choix avec toutefois la garantie d’une réussite en vue d’une insertion professionnelle y sont incluses. Dans un contexte de pénurie d’emploi le problème devient très sensible. Si chacun se sent aujourd’hui responsable de sa réussite ou de son échec, l’école devient alors comptable des échecs et des inégalités qu’elle génère.

Ceci amène chacun à se poser la question suivante : ce que je vis ici est-il porteur de devenir ?
Si je prends le risque de vous suivre, d’apprendre, de travailler, que me garantissez-vous de votre côté ?
Si le modèle actuel d’orientation n’apporte plus de réponses à cette problématique, alors sans doute convient-il de repenser le contrat.

Territoire et orientation : une nécessité d’accompagner pour mieux intégrer

Développement économique, adaptation, aménagement, nous partageons ici le souci d’une nécessaire mobilité des populations et des choix personnels, tout en maintenant les activités économiques et les emplois essentiels à la vie de nos territoires. Encore faut-il avoir les personnes motivées pour occuper les emplois laissés vacants par les anciens, envisager la création de nouvelles entreprises, tout ceci avec les compétences techniques et humaines adaptées à l’époque.

Car les changements sont grands et rapides. Cette situation laisse envisager la détermination d’une politique de valorisation de la proximité tout en intégrant les données apportées par l’Europe sans oublier les nouvelles donnes de communication et de besoins sociaux. Là encore il s’agit d’un contrat qui nous lie avec les populations dont nous avons la charge. Plus de liberté de choix valorisant, mais une garantie d’emploi durable. C’est pourquoi faciliter la construction de parcours personnels évolutifs, tant sur le plan des connaissances que de la mobilité géographique, apparaît adaptée aux nouvelles problématiques.

Les organisations sont amenées à créer les conditions des évolutions. Et parmi ces organisations structurantes, l’école et les entreprises doivent revoir leurs conceptions en la matière. Développer de l’employabilité, c’est développer l’orientabilité. Professionnaliser, c’est s’appuyer sur des choix personnels volontaires réfléchis et les accompagner jusqu’à l’intégration dans le tissus économique.

Et la modification des images culturelles véhiculées sur un territoire et la création des moyens concrets d’adaptation à de nouvelles réalités implique la coopération de tous les acteurs conscients des enjeux.

Développer l’orientabilité : une réponse aux problèmes de l’époque

Depuis sa création dans un environnement de forte expansion industrielle, sa modernisation dans les années 1970, l’orientation a été considérée et organisée comme un tri social de main d’œuvre. En complément des diplômes académiques, cette époque nous a apporté la « qualification » valeur solide dans un environnement néo-taylorien.

Aujourd’hui, sortis du contexte scolaire et universitaire, le diplôme et la qualification professionnelle, dans le cadre des organisations de régulation sociales mises en place après la dernière guerre mondiale, assurent encore une forme de classification sociale égalitaire basée sur le mérite. Mais, par rapport aux attentes, il ne font plus guère l’orientation, sauf chez les plus chanceux, et les mieux informés. Et, même, ces élites sont loin d’être adaptées quantitativement et qualitativement aux besoins du XIXème siècle car il ne s’agit plus de former exclusivement des cadres de l’industrie ou de l’administration.

Si le diplôme reste un repère essentiel, il faut le considérer aujourd’hui comme un simple jalon, qui ne saurait rester unique et ponctuel . Dans un parcours évolutif, c’est la capacité personnelle à transformer les connaissances et les expériences en éléments orientants qui devient essentielle. Or cette construction d’une « orientabilité » relève sur le plan institutionnel du rôle de la Nation. La pédagogie qui en découle ne peut plus rester le passager clandestin de l’école, pire, l’apanage de seuls initiés. A une époque ou l’habileté à s’orienter complète ou même se substitue à la valeur du diplôme, l’absence d’une approche orientante pour tous et toutes est vécue comme une nouvelle source d’inégalités.

L’approche orientante est une démarche adaptée à l’époque

Rêve, intention, projet : ce sont trois étapes du processus d’orientation. Amener le jeune au projet, c’est le conduire à examiner les conditions de sa réalisation et l’aider à définir les éléments de choix éventuels, ici et maintenant. L’approche orientante c’est la réalisation de ce projet éducatif, celui des éducateurs et de la collectivité au service du projet du jeune.

Dans une géographie aux contours mouvants il convient de reconstruire et mailler un nouveau champ spatial de mobilité, intégrant les données européennes mais aussi les réalités des proximités de vie. Sur le plan organisationnel, c’est aussi s’inscrire dans un nouveau champ communicationnel par l’élaboration d’un système d’information nécessaire et suffisant destiné à nourrir les projets individuels. L’approche orientante construit les repères essentiels en la matière.

Par sa conception dynamique du devenir, l’approche orientante permet aussi de lutter contre l’incertitude créée par la transformation des repères issus du passé, d’apporter de la cohérence et du devenir dans un monde qui apparaît et se décrit surtout sous ses aspects d’entropie et d’usure, empêchant de percevoir les nouveaux modèles qui se dessinent et d’aider à leur réalisation.

D’un système fondé sur la réussite choisie de quelques uns et la ventilation directive pour les autres, il faut passer à une orientation accompagnée et ouverte pour tous, tant l’intelligence et l’apprenance sont les vrais atouts d’aujourd’hui et de demain.
Ce qui importe c’est ce que je suis et ce que je veux devenir. La réussite réside dans cette capacité à sélectionner les éléments utiles à la réalisation de rêves et d’intentions pour aider à les organiser en vue de projets. C’est à cette tâche que la nouvelle orientation doit s’atteler. Cette collecte, c’est aussi celle de l’expérience et du vécu. Car c’est en construisant ses apprentissages que l’on construit ses parcours.

Le nouveau consensus que nous proposons repose, à l’école, sur la mise en œuvre de projets partagés à travers une communication pédagogique qui repose sur un sens éclairé des expériences disciplinaires, des mises en relation directes personnelles et collectives avec les activités professionnelles au sens large, la personnalisation des parcours et l’acquisition des compétences nécessaires pour faire face au contexte économique. Dans l’entreprise elle induit, là aussi, un accompagnement de la carrière dans un contexte apprenant.

Les principes de l’approche orientante

L’approche orientante se décline en trois principes :

Infuser : dans un monde de l’immédiateté, il convient d’établir des liens entre ce que je fais et les projets que j’ai. A l’école, par exemple, entre les disciplines et leur utilité dans les milieux économiques et sociaux. L’infusion passe aussi par le développement des capacités à s’informer, l’information étant par essence, à partir d’éléments, la construction d’une forme mentale compréhensible et porteuse de sens.

Coopérer : dans un monde individualisé, garder la cohérence et dégager du sens, c’est partager, amener du travail, de l’entraide, et de la réflexion collective.

Mobiliser : c’est amener à partager des projets personnels et sociaux tournés vers l’action. Entreprendre est un des aspects déclencheur de mobilisation.

Sur le plan personnel, ces principes conduisent à mieux gérer les compétences émotionnelles et à développer un fort sentiment d’efficacité personnelle, base de la réussite et de construction d’une identité positive. Sur le plan collectif elle suscite la création de projets et d’expériences partagées mettant en valeur l’extrême diversité et complémentarité des idées et des compétences, apportant ainsi une reconnaissance sociale aux individualités.

Relever les défis de l’orientation dans une société hyper-moderne

Je crois qu’il nous faut arrêter de parler de main d’œuvre. C’est le langage d’un autre temps, celui où on comparait sa gestion à celle du charbon. La modernité est loin derrière nous, la post-modernité de l’automatisation déjà passée. Dans notre société hyper-moderne de technologies avancées, le problème n’est même plus celui du manuel opposé à l’intellectuel.

La main et l’esprit marchent de pair car l’école a déjà su relever en partie le défi de l’intelligence pour tous. La hiérarchisation extrême des disciplines et des spécialités issues des modèles anciens conduit aujourd’hui à un disfonctionnement du système des filières et à des inquiétudes en ce qui concerne la couverture des besoins économiques et la compétitivité internationale.

L’expérience du Québec montre que la notion de parcours personnalisé et accompagné dans le cadre d’une approche orientante amène une modification des représentations en la matière et conduit à une adaptation du système dans son ensemble. Les régulations du système d’orientation doivent être repensées avec d’autres cadres, d’autres organisations et d’autres standards, au plus près de l’intérêt du sentiment de réussite pour tous.

Il s’agit maintenant de sortir d’un système d’initiés qui s’est construit sur la vague de la complexité elle-même issue des multiples tentatives d’adaptations adéquationistes aux changements.
Il s’agit de relever les défis de l’information pour tous, de la diversité, de la personnalisation et de la durabilité dans un contexte apparent d’immédiateté. A cette époque de la vitesse et de la globalisation, c’est ensemble que l’on pourra relever ce nouveau défi et, dans cet ensemble, l’école a un rôle essentiel à jouer dans sa communauté proche, avec la participation active de ses acteurs et décideurs.

L’orientation change de forme et atteint une nouvelle maturité.
Une approche orientante à l’école, mais aussi dans le milieu professionnel, permet de créer des milieux nourriciers et dynamiques, de développer des organisations en projet et de transmettre des compétences durables.
C’est un nouveau contrat nécessaire à établir entre l’institution et les citoyens, un important gage de confiance et de sécurité.

Jean-Marie Quiesse
association « apprendre et s’orienter ».
Août 2007

Document(s) associé(s) :

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