PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

A propos des discussions sur l’évaluation :

De quoi parle –t-on ?

Pour mettre un peu d’ordre dans le débat qui se lance aujourd’hui autour de l’évaluation, il est important de préciser ce dont il est question et ce qu’il est indispensable de transformer en France :

La particularité française ; ce qui fait la valeur d’un diplôme, d’une filière, ce ne sont pas ses contenus, mais combien y échouent !
Evaluation, notation, validation ne sont pas des synonymes
La principale difficulté en France, c’est que nous ne savons pas évaluer les élèves moyens
La démarche d’évaluation de compétences doit, comme cela se fait ailleurs, être ciblée exclusivement sur les élèves moyens pour les tirer vers le haut
C’est la culture d’une évaluation-diagnostic qui nous permettra de diminuer les redoublements.

I) La particularité française ; ce qui fait la valeur d’un diplôme , d’une filière, ce ne sont pas ses contenus, mais combien y échouent !

Depuis très longtemps, les observateurs de l’école n’ont pas regardé uniquement ceux qui réussissaient, mais combien échouaient ! Et cela, notamment quand il s’agissait des examens terminaux, certificat d’études ou baccalauréat.
En France, ce qui fait la valeur d’un diplôme, ce n’est pas son contenu, mais combien y échouent !

Lorsque le pourcentage de reçus à des examens est trop important par rapport au nombre
de candidats, on a toujours entendu cette réflexion : « l’examen est donné » et non pas, les élèves sont bons….

Ainsi, dans les années 1900, on s’étonne qu’il y ait tant de reçus au baccalauréat, parmi, faut-il le rappeler les 1% de la population qui y arrive :
« Conçu pour une élite, l’enseignement secondaire est donc inadapté à cette masse qui nous vient précisément de milieux sociaux, de familles dans lesquelles on n’a jamais possédé ou jamais ouvert un livre, en dehors de quelques ouvrages d’actualité. » et l’on précise « « Les élèves ne sont plus capables d’écrire, faute de n’avoir plus fait assez de latin, et ils ne comprennent pas ce qu’ils lisent ».1

Même le comité des forges, ancêtre du MEDEF, s’y met :
« Les ingénieurs sont devenus incapables d’utiliser leurs connaissances techniques et de présenter leurs idées dans des rapports clairs et bien rédigés. »2

Si le niveau baisse avec 1% de bacheliers. En 1947 avec 3% (22 fois moins qu’en 2010) , il baisse encore plus:
« Tout serait simple si le bachot remplissait encore sa fonction. Mais, submergé sous le nombre des candidats qui s’est accru prodigieusement, le baccalauréat a vu son niveau baisser d’une façon constante, au point qu’il ne suffit pas actuellement à qualifier pour l’enseignement supérieur. » 3

En 2014, la notation n’est plus seulement l’apanage de l’école. Tout le monde note et est noté, y compris lesEtats. On a même des « agences de notation ».

Nous sommes aujourd’hui dans une société de la note et bien entendu, ce qui la légitime, c’est le nombre de ceux qui échouent valorisant ainsi ceux qui réussissent.
Il est extrêmement significatif qu’un journal comme l’Equipe ait le 26 juin 2009, titré l’un de ces articles : « La notation des arbitres, c’est l’école des fans 4», tout simplement parce qu’aucun des arbitres notés n’avaient en-dessous de la moyenne !

II) Evaluation, notation, validation ne sont pas des synonymes

Il est très important de ne pas confondre évaluation, validation, notation.
Ce sont des notions différentes.

L’évaluation est progressive, renouvelable, évolutive qui se pratique dans le cadre habituel des enseignements. C’est le plus souvent un acte individuel d’un enseignant ou d’une équipe.

La notation donne une valeur à une production ponctuelle et s’inscrit dans ce processus dont elle est complémentaire.

La validation , par exemple, de compétences, ressort d’une décision collégiale de l’équipe. C’est un acte définitif sur lequel on ne peut pas revenir. Une compétence validée le reste.

III) La principale difficulté en France, c’est que nous ne savons pas évaluer les élèves « moyens »

Améliorer l’évaluation des acquis des élèves est un enjeu important lorsqu’on observe l’état des lieux du système éducatif français
Notre système éducatif e présente ainsi en trois blocs, alors que, dans la plupart des autres pays de l’OCDE, il n’y a que deux blocs , les élèves en échec : 20%, les élèves en réussite : 80% :
* 50% des élèves en réussite
* 15% des élèves en lourd échec ( nous sommes en-dessous de la moyenne européenne)
* 35% des élèves ayant connu des difficultés et ayant redoublé pendant la scolarité obligatoire, ce qui entraîne souvent un sentiment de souffrance par rapport au vécu de leur scolarité ce qui les rend réticent par rapport à la formation continue pendant le reste de leur vie.

L’approche par compétences combinée à la notation/évaluation peut aider ces 35% d’élèves à mieux cibler leur situation, leurs réussites et leurs besoins, notamment pour les élèves qu’on juge « moyens » et que « la constante macabre » a l’habitude de laisser au bord du chemin et ainsi permettre à La France de sortir d’un système ternaire pour rentrer dans un système binaire .

L’évaluation a toujours en France des difficultés avec les élèves « moyens », ceux qui vont occuper 95% des débats des conseils de classe et 100% des commissions d’appel.
Ainsi, lorsqu’on a voulu mettre en place une évaluation par lettre :A,B, C, D,E, c’est l’évaluation des élèves moyens qui a posé question aux enseignants, d’où l’existence des C++ , C+, C, C-, C–, qui,de fait, ont rétabli une notation chiffrée.

IV ) La démarche d’évaluation de compétences doit, comme cela se fait ailleurs être ciblée exclusivement sur les élèves moyens pour les tirer vers le haut

L’erreur fondamental du débat sur l’évaluation par compétences est qu’il n’y a pas eu de réflexions sur le public prioritairement concerné.
Si l’on regarde ce qui se fait ailleurs, on voit qu’il n’y a pas opposition entre notation et évaluation par compétences, mais complémentarités.

Si l’on veut préparer les familles à l’intérêt des évaluations par compétences, il faut y travailler collectivement pour que les parents, notamment ceux des milieux populaires, n’aient pas l’impression qu’on casse le thermomètre pour rendre l’école encore plus opaque. Rappelons-nous ce qui est arrivé ces dernières années en Suisse, au Québec, en Suède …où ces dernières années, on a rétabli la notation en assurant pour certains élèves une complémentarité compréhensible par les familles de l’évaluation chiffrée et de l’évaluation par compétences .

C’est-à-dire, dans une démarche progressive, en ciblant clairement le public qui peut très vite en tirer un profit immédiat :

Pour des élèves notés à 11 ou au-dessus ou A ou B ou Bien ou Très bien, , l’évaluation par compétence n’a pas une pertinence immédiate, puisque globalement tout est acquis. Donc, ces élèves sont considérés comme acquis les compétences requises . comme le disait dans un colloque un enseignant finlandais : « ils doivent occuper dans nos cosneils dix à quinze secondes »

Pour des élèves notes 5/6 et en dessous, c’est au préalable le diagnostic des manques et des erreurs qui est fondamental pour aider l’élève et sa famille notamment dans le cadre d’un Projet personnalisé. Là aussi, l’évaluation par compétences n’a pas une grande pertinence.

Par contre, pour des élèves notés entre 7 et 10, il est fondamental de compléter la note par un diagnostic basé sur l’évaluation par compétence pour construire un vrai diagnostic de la situation de l’élève et ainsi montrer à l’élève et à sa famille, l’intérêt de l’approche par compétences:
pour mieux mettre l’accent sur les besoins de l’élève
pour mieux définir les aides à y apporter
pour que les parents puissent mieux épauler l’action des enseignants

Le système français actuel a pour conséquence de « tirer vers le bas » les élèves moyens , alors que l’enjeu est de les « tirer vers le haut »

La mise en place d’une évaluation par compétences réservée comme dans la plupart des autres pays d’Europe à ce type d’élèves, peut nous permettre de mieux cibler les acquis et les manques des élèves moyens et ainsi de les « tirer vers le haut » et ne pas les décourager :

V) C’est cette culture d’une évaluation-diagnostic articulant évaluation et validation de compétences qui nous permettra de diminuer le redoublements

En France l’évaluation des élèves « moyens » conduit à de longs débats concernant leur redoublement, pouvant aller jusqu’à la commission d’appel , sans un véritable diagnostic sur les compétences manquantes et les moyens d’y remédier.

Comment l’articulation évaluation/validation de compétences réservée aux élèves « moyens » fonctionne-t-elle ailleurs ?

« Dans la totalité des pays, le progrès scolaire de l’élève est exprimé par des notes et à la fin de l’année scolaire, sa progression à l’année suivante ou son maintien sont décidés sur la base des notes qui lui ont été attribuées…..Le progrès scolaire est exprimé par une appréciation globale qui peut tenir compte des notes ( note finale, moyenne dans chaque matière, moyenne générale dans toutes les matières, etc…) Néanmoins, elle ne forment pas le critère décisif quant au passage de classe ou au redoublement de l’élève, ses compétences, son développement général, les pronostics de ses résultats, le niveau atteint durant l’année sont également pris en considération. Cette situation prévaut notamment en Belgique, Danemark, France, Malte, Finlande et Suède. » 5

« Dans bon nombre de pays, la réglementation prévoit néanmoins la possibilité de rattrapage pour l’élève en situation de redoublement. Il s’agit de faire bénéficier l’élève d’une seconde chance d’être évalué et donc d’être admis dans la classe. Les pays qui pratiquent ses dispositifs proposent des devoirs supplémentaires dans les matières où ils ont échoué ou des examens/tests (..) juste avant la rentrée des classes…… …..En Finlande, selon les réglementations , les élèves doivent avoir la possibilité de prouver qu’ils ont atteint un niveau acceptable via différentes méthodes adoptées à leurs capacités ( examens écrits, discussions avec l’enseignant, etc…) »6

L’élève « moyen faible » en juin est donc sur la base d’une évaluation et d’un bilan de compétences-diagnostic , menacé d’un redoublement, mais il peut être rattrapé lors d’un session de fin août qui portera sur ce qui n’a pas été acquis en terme de compétences, ce que résume ainsi le rapport EURYDICE de 2011 :
« Dans presque tous les pays où le redoublement est pratiqué ( sauf en France, à Malte et au Portugal), les élèves n’ayant pas réussi l’année scolaire ont la possibilité de passer des examens de rattrapage ou de recevoir des devoirs supplémentaires afin d’améliorer leur(s) note (s) et ainsi d’éviter le redoublement….. Ils doivent s’inscrire pendant les congés scolaires à un programme de rattrapage et de révision établi par l’équipe enseignante et passer avant la rentrée l’évaluation correspondante. Celle-ci est prise en compte pour autoriser l’élève à poursuivre des études ….. »7

Comme on le voit , toute politique d’évaluation, s’articule avec celle concernant les redoublement, mais elle nécessite avant d’être réfléchi en fonction de la situation de l’élève. L’erreur du Livret de compétences a été d’en faire un outil pour n’importe quel type d’élève, ce qui a paniqué , à juste titre les enseignants, alors que la travail fin par compétences a son immense intérêt surtout pour les « moyens faibles » et qu’il faut que le concentrer sur ces cas-là. Mais la prise en compte de la singularité de chaque élève est souvent difficile à faire entendre en France.

Jean-Louis AUDUC

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