PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Il y a une longue histoire des regards que nos sociétés ont portés sur les personnes handicapées avant que la loi de 2005 ne leur garantisse l’accès aux droits fondamentaux ainsi que le plein exercice de leur citoyenneté. Une rétrospective nous permettra de comprendre qu’avant de faire l’objet d’un traitement social, le corps « mal né » ou « abîmé» renvoyait à l’évocation de signes divins. Abandonnés ou utilisés pour susciter la compassion, l’attitude face au handicap était une attitude de fuite ou de fascination.

Au Moyen Âge, l’individu infirme faisait s’interroger les puissants sur les fondements de la société. D’une place de "bouffons" autorisés à se moquer de leurs souverains, ils devinrent les suppôts de cette dite société. La période de rationalité qui succéda où l’ordre et le désordre devaient être séparés,vit naître les hôtels Dieu, situés sur les itinéraires des pèlerins. Cette attitude charitable fut supplantée par la peur et conduisit à l’enfermement des infirmes et simples d’esprit.
Au XVIII’ siècle, Diderot, un des plus ardents propagateurs des idées philosophiques, écrivit des essais prouvant l’égalité des esprits pourvu qu’on leur consacrât suffisamment d’instruction et d’éducation. Valentin Haüy fonda l’institution des jeunes aveugles et imagina des caractères en relief pour permettre aux jeunes de lire. JIfit évoluer le regard de la société en introduisant la notion de curabilité de ceux qu’on traitait de "fous",En 1790, le principe du devoir d’assistance par la Nation est affirmé devant l’assemblée constituante. Enfin, la collectivité reconnaît sa responsabilité par rapport au champ du handicap en partie grâce aux mutilés de la guerre 14-18, aux accidentés, victimes de l’ère industrielle, aux individus touchés par la tuberculose due aux mauvaises conditions de vie.
La loi 1901, permettant à tout groupe de personnes voulant se réunir d’avoir un statut juridique, vit naître un grand nombre d’associations représentant les personnes handicapées. Elles constituèrent un vecteur important de changement et de médiation. Cesassociations ont joué un rôle indéniable dans l’élaboration des lois 1975 « en faveur des personnes handicapées» et plus récemment, pour la loi 2005 pour « J’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées».

Le XX siècle et ses évolutions

« La déficience n’est jamais qu’en situation» affirmait Henri-Jacques Stiker, spécialiste de l’histoire et de l’anthropologie de l’infirmité. La notion de handicap a beaucoup évolué entre 1945 et 1975 puis jusqu’à nos jours. Si l’approche s’effectuait essentiellement par la déficience, c’étaient les conséquences de cette dernière qui étaient compensées. l’expression « personnes en situation de handicap» exprime plus nettement l’interaction entre les facteurs individuels et les facteurs sociaux, culturels, environnementaux.
En ce qui concerne le champ des loisirs, nous pouvons aisément illustrer cette expression par la présence d’enfants ou de jeunes au sein de nos activités de loisirs, parfois reconnus handicapés par la MDPH parce qu’ils sont scolarisés en CLIS’ ou bénéficient de service de soins ou d’AVS2,sans que nous en ayons été informés, sansmême que nous le soupçonnions! Ces enfants sont peut-être un peu plus lents que d’autres, à moins qu’ils ne soient rêveurs ou tout simplement pas concernés. Ceci dit, dans le contexte scolaire, ils sont comptabilisés comme handicapés et rejoignent la cohorte des 201 000 jeunes repérés parmi les 300000 jeunes handicapés de France. Nommer le handicap le ferait-il alors exister?

Nul ne peut ignorer la loi… 2005 !

La loi 2005 dépasse les notions d’aide sociale, d’assistance, d’exception pour introduire les notions de droit commun, d’obligations républicaine et démocratique. La question de la prise en charge du handicap est avant tout une question de solidarité nationale. C’est un problème politique et éthique qui doit se traduire par un système de répartition et non un système de contribution privée. Pour reprendre les anciens latins: tout homme doit se sentir in solidum, c’est-à-dire partager ses moyens avec ceux qui en ont moins, précise Henri-Jacques Sticker.
Le handicap est partout. 11ne connaît aucune discrimination de genre (moteur, sensoriel, mental), de sexe (hommes et femmes), d’origine (génétique, congénitale, accidentelle … ), d’âge (enfants, adolescents, adultes, seniors … ), de localisation (villes ou campagnes). 11peut être évolutif dans un sens ou un autre. Il est unique en fonction de la personne, son histoire. Nous pouvons tous, à un moment de notre existence, nous retrouver en dehors de la norme du groupe dans lequel nous vivons et, de ce fait, nous sentir « handicapés». Si je prends par exemple l’expérience des voyages à l’étranger où nous ne comprenons pas la langue et inversement, où nous ne nous faisons pas comprendre, que ressentons-nous? Et que vivent ceux qui portent des lunettes lorsqu’elles sont cassées ou oubliées? Ces situations même temporaires nous mettent déjà dans le processus du handicap avec ce qu’il recèle en termes d’incompréhension, de perte de repères, de dépendance, de mise à l’écart.
1 – CLIS: Classe d’Inclusion Scolaire
2 – AVS : Auxiliaire de Vie Scolaire

La balle est dans notre camp !

Comment allons-nous faire évoluer nos pratiques pour accueillir ces enfants et jeunes? Qu’avons-nous gardé en héritage de la période du Moyen Âge, avec ce mélange de rejet et de fascination pour l’autre, celui qui est différent? Qu’éprouvons-nous à son égard: de la compassion? de la pitié? Quel sens donner à ces phrases « remparts» : « On ne peut pas accueillir car on n’est pas formé. On pourrait mal faire, il vaut mieux pour son bien (l’enfant ou le jeune handicapé) que des spécialistes le prennent en charge».
Je co-animais, dans le cadre des 20 ans de la ClDE, un atelier sur le thème du handicap avec des jeunes d’âge collège. Voici ce que j’ai entendu: « 1/ faut être gentil avec ceux qui sont handicapés, les aider … » et quelques instants plus tard « Tu m’as traité d’handicapé! Sije suis handicapé … T’es gogol toi! ». Les jeunes étaient passés du registre de la compassion raisonnable au registre du rejet passionnel sans recul ni prise de conscience de la transformation de sens donné au terme handicapé; ce que
je ne manquais pas de renvoyer en miroir.
Si les moyens langagiers utilisés par les adultes et les jeunes prennent des formes différentes, il n’en est pas moins vrai que le sens est le même à savoir: l’exclusion.
Les mots intégration, et plus récemment la notion d’inclusion largement utilisée par les anglo-saxons, sont des termes fréquemment employés mais ils ne relèvent pas du même processus. Dans le premier cas, c’est à l’enfant ou au jeune de s’adapter à la structure qui l’accueille. Dans la notion d’inclusion, c’est la structure qui doit fournir aux jeunes les moyens de sa participation pleine et entière au contexte ambiant. On ne part plus de l’individu mais de l’oeuvre organisatrice.

Nous pouvons imaginer plusieurs leviers pour appréhender cette transformation des liens sociaux au sein de nos collectifs d’animation.
D’abord au niveau des équipes elles-mêmes: comment allons-nous penser des temps de parole pour dire ses préjugés, exprimer ses appréhensions? Pour que du temps soit consacré à la compréhension des liens de communication  entre l’enfant et les adultes ou les autres enfants? Nos peurs ne sont pas identiques. Ce qui est possible pour les uns ne l’est pas forcément pour l’autre. On pourrait ainsi concevoir qu’un animateur soit plus à l’aise à accompagner un jeune ayant un handicap moteur qu’un handicap intellectuel qui le désarçonne. Nos équipes sont suffisamment riches d’individualités pour qu’il y ait une réponse adéquate apportée à chaque enfant singulier.
Ensuite au niveau des familles. La notion de coéducation prend tout son sens quand nous accueillons un enfant en situation de handicap. Les parents sont la meilleure source de compréhension du fonctionnement de leur enfant. Peut-être nous faut-il apprendre à leur poser les « bonnes» questions pour être en mesure de mieux comprendre la personnalité de leur enfant. Eux seuls peuvent nous communiquer les liens avec les soignants … et encore faudra-t-il nous interroger sur ce qu’il est nécessaire d’apprendre d’eux et ce qui est différent de ce que peut nous dire ou nous montrer la famille. Quelle inquiétude latente voulons-nous combler en les rencontrant? l’enfant a-t-il le droit d’être autre dans ses différents lieux de vie? Qu’allons-nous faire de ce que l’on va apprendre de sa maladie ou de son handicap et qui risque de changer notre regard? Il nous faudra aussi prendre en compte ce qui dans notre questionnement réactive l’annonce du handicap à la famille ou nous positionne dans le champ institutionnel de la MDPH3, qui n’est pas de notre compétence. Nous avons à trouver notre propre démarche ni dans l’indifférence et la banalisation, ni dans l’inquisition et l’instrumentalisation, mais bien dans un objectif d’apprentissage à la socialisation d’un collectif d’enfants.
Enfin, un autre levier est possible dans notre capacité à poser un cadre librement contractualisé. C’est là qu’entrent en jeu les différents partenaires que sont les organisateurs, l’équipe d’animation, la famille, l’enfant ou le jeune, pour qu’ensemble les conditions d’accueil soient posées afin que chacun, de sa place, se sente rassuré d’abord, reconnu ensuite et entendu. C’est là aussi que le « tout est possible» est imaginable … " n’y a pas de modèle d’accueil car les paramètres, qu’ils soient humains, matériels, temporels, sont uniques à chaque situation. À l’image de ce qui se passe dans le contexte scolaire, autorisons-nous à inventer différentes modalités d’accueil qui peuvent aller d’une heure à un accueil à temps plein accompagné ou non par un animateur référent mais aussi à une pause dans l’accueil, à une dérogation par rapport aux règles d’âge, d’inscriptions …

Jeu de mots; jeu de maux

Des mots porteurs de sens, blessants parfois … Infirme, handicapé, enfant handicapé, enfant en situation de handicap, ont été utilisés au fil du temps et des enjeux sociétaux. Mais si nous devions en choisir un seul, ma préférence serait au mot « enfant particulier », partant du principe que chaque enfant est particulier et que ce qui sert à l’un bénéficie aussi à l’autre. Au modèle caritatif, médical, social, fondé sur les droits, inscrivons pleinement notre action dans un modèle de société humaniste qui s’intéresse davantage à la personne, qu’elle soit différente de par ses potentialités, son physique, sa culture … à la personne sur son lieu de vie, à la personne non pas à part mais à part entière.

• Gaby Clouet
Les Francas des Pays de la Loire

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