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Le camion école de l'aire de stationnement de Vesoul, à l'heure de la sortie des tout-petits. Les cours dispensés vont de la maternelle au niveau collège.

Le camion école de l’aire de stationnement de Vesoul, à l’heure de la sortie des tout-petits. Les cours dispensés vont de la maternelle au niveau collège. (Photo Raphaël Helle)

Grand angle : Comment mieux scolariser les enfants itinérants, français ou étrangers ? Des véhicules aménagés en salles de classe viennent à leur rencontre. Visite à bord du combi garé sur l’aire d’accueil de Vesoul.

Après le CM2, Tonia, 13 ans, aurait bien fréquenté le collège mais avec la vie qu’elle a, cela n’est pas possible, selon elle : «On reste sur le terrain tout l’hiver et après, on roule. Vers avril-mai, on part au pèlerinage des Saintes-Maries-de-la-Mer et on revient fin septembre, début octobre pour les vendanges ici, à Vesoul.» Sans compter que «le matin sur le terrain, nous les filles, on est à nos affaires, on range la caravane». Alors difficile d’aller au collège… Assis à une autre petite table dans le camion école garé sur l’aire d’accueil de Vesoul (Haute-Saône), Benoist, 18 ans, affiche, lui, de vrais regrets. «J’aurais bien aimé apprendre plus, dit-il, car pour le travail, on nous demande de savoir lire et écrire. Et je voudrais passer mon permis.» Faute de mieux, il donne un coup de main à son père, ferrailleur. «Mais ce travail m’ennuie.» A ses côtés, Alphonse, 15 ans, le reconnaît : «Aller tous les jours au collège, non, ça ne me plairait pas !» Il voudrait plutôt se lancer dans la maçonnerie. Aussi s’est-il remis aux études par correspondance. Comme pour Benoist, l’objectif est de passer le Certificat de formation générale (CFG), qui atteste d’un niveau collège juste en dessous du brevet.

Cinq jeunes sont venus ce matin dans le camion école, un combi transformé en salle de classe, avec tables de multiplication et dessins scotchés au mur, qui s’est arrêté jusqu’à midi sur l’aire de stationnement de Vesoul, en Haute-Saône. Avec les deux enseignantes, ils font le point sur leurs devoirs du Centre national d’enseignement à distance (Cned). Un second camion, garé à côté, accueille les tout-petits. Ce terrain, bitumé, avec sa maisonnette de gardien à l’entrée, des sanitaires en dur, l’eau et l’électricité, est plutôt apprécié par les gens du voyage. Entouré de verdure alors que beaucoup sont situés au bord de routes bruyantes, il abrite en ce moment une dizaine de longues caravanes colorées. Des femmes en sortent avec des enfants dans les bras, et des groupes d’hommes discutent le coup au soleil, autour d’une table.

Trois circulaires et un message de la ministre

La scolarisation des «enfants du voyage» – le terme officiel en France (1) – et des Roms étrangers est actuellement une préoccupation du gouvernement. Le 10 octobre, la Cour des comptes a rendu un rapport critique, soulignant qu’il restait trop d’enfants non scolarisés, notamment en collège et en maternelle. Simultanément, trois circulaires ont été publiées. Elles stipulent que les enfants itinérants (français ou étrangers) doivent être accueillis de droit dans les écoles, sans attendre que les familles aient pu fournir tous les documents – ce qui n’était pas toujours le cas jusqu’ici pour les Roms sans papiers vivant dans des campements régulièrement démantelés. Le 29 novembre, la ministre de la Réussite éducative, George Pau-Langevin, est venue répéter ce message lors d’un colloque à Grenoble.

La Haute-Saône, et plus largement Belfort et Montbéliard (Doubs), sont le siège d’une ancienne communauté de gens du voyage, arrivée là il y a au moins deux siècles. Le département abrite trois grandes familles – les Adolphe, les Weiss et les Winterstein, à l’origine des commerçants ambulants sillonnant les campagnes. Aujourd’hui, selon l’association franc-comtoise Gadjé, ils seraient de 6 000 à 8 000.

Ferrailleurs, forains, vanniers, ouvriers du bâtiment… ils vivent la majeure partie de l’année sur des aires de stationnement – obligatoires pour les communes de plus de 5 000 habitants – ou sur des terrains familiaux dont ils sont propriétaires. L’été, ils séjournent aux Saintes-Maries-de-la-Mer (Bouches-du-Rhône). Puis, ils vont retrouver leur famille éparpillée en France, voire à l’étranger, ou rejoignent des sites touristiques où il est plus facile de trouver des petits boulots.

Le camion école de l'aire de stationnement de Vesoul. Les plus grands, comme Tonia et Marie-Milka, y font leurs devoirs. Les plus grands, comme Tonia et Marie-Milka, font leurs devoirs dans le camion école. (Photo Raphaël Helle)

120 élèves inscrits au Cned

Le premier camion école – «antenne scolaire mobile», dans le jargon officiel – a commencé à circuler en 1992 à l’initiative de l’enseignement catholique, bien implanté auprès de ces communautés christianisées. Aujourd’hui, on en compte une trentaine sur l’ensemble de l’Hexagone. Le dispositif est depuis coordonné par l’académie. Mais les enseignants qui travaillent dans les trois camions écoles de la région sont tous rattachés à un établissement catholique sous contrat et sont, à ce titre, rétribués par l’Education nationale.

Lena, une brune dynamique de 35 ans, mère de trois enfants, se souvient encore très bien de sœur Marie Stili qui venait, au volant de son camion, faire classe aux enfants tsiganes sur le terrain de Roye, à côté de Lure (à 30 kilomètres de Vesoul). «C’était une toute petite sœur, raconte-t-elle. A l’époque, on disait qu’on faisait l’école sauvage. Pour financer le camion école, on allait vendre des bricoles à la sortie du lycée. Quand on tombe sur de bonnes personnes comme ça, on avance.»

Aujourd’hui, la fonction du camion école a évolué. Il ne s’agit plus de faire classe et de se substituer à un établissement scolaire. L’idée est bien plutôt d’être une «passerelle», une incitation à aller à l’école ou au collège, explique Cyrille Schiltz, chargé de mission départementale et académique pour la scolarisation des enfants du voyage.

Dans la région, la quasi-totalité d’entre-eux suivent désormais l’école primaire jusqu’en CM2. En revanche, ils vont très peu en maternelle alors qu’ils en auraient justement besoin pour se préparer à l’entrée au CP. Ils décrochent souvent au début du collège et se retrouvent sans diplôme – ni brevet des collèges ni Certificat d’aptitude professionnelle (CAP) – sur le marché du travail.

Aujourd’hui, 120 enfants du voyage sont inscrits au Cned, un service gratuit pour les familles itinérantes – présentant un carnet de circulation [document en voie de suppression, ndlr]. Le Cned propose des remises à niveau de 6e puis des cursus spécifiques jusqu’à 16 ans pour ceux, nombreux, qui ne retourneront pas au collège. Les programmes sont adaptés, ou du moins s’efforcent de l’être : on y décrit, par exemple, des enfants du voyage découvrant à la rentrée un séduisant collège Django-Reinhardt…

Les plus en retard fréquentent les camions écoles où des enseignants spécialisés leur font revoir les bases. Une soixantaine va en outre une fois par semaine au collège pour de l’aide aux devoirs ou une préparation au Certificat de formation générale. Ils rejoignent aussi parfois des classes «normales» pour des cours de musique ou d’informatique.

Pour les plus petits, «notre rôle est de convaincre la mère d’envoyer son enfant en maternelle, de lui faire comprendre ce que ça lui apportera», souligne Marie-Christine Savourat en rangeant la pâte à modeler, les puzzles et les Lego dans le camion école où, toute la matinée, elle s’est occupée de cinq enfants de 2 à 4 ans. Enseignante des écoles depuis 1984, elle «tourne» depuis deux ans. «Je réalise un rêve, dit-elle. Dans mes classes, j’ai souvent eu affaire à des enfants du voyage. Et j’en voyais qui quittaient l’école sans savoir lire et écrire. L’éducation est un droit pour tous. Pourquoi en seraient-ils exclus ? Ces camions ont permis des progrès fabuleux.»

A l’école primaire Jean-Macé de Lure où une dizaine d’enfants du voyage sont scolarisés, les enseignantes soulignent qu’il faut d’abord rassurer les parents. «A l’inscription, explique l’une d’elles, ils veulent savoir si les portes seront bien fermées, si on va laisser les enfants seuls, qui peut venir les chercher. Dans leur culture, laisser ses enfants à des étrangers, c’est être une mauvaise mère.»

Sur le terrain familial des Adolphe à Roye, Daisy entourée de ses proches. Sur le terrain familial des Adolphe à Roye, Daisy entourée de ses proches. (Photo Raphaël Helle)

Des enfants «plus autonomes que les autres»

Beaucoup parlent manouche à la maison mais ils apprennent aussi le français. La langue n’est donc pas une barrière. Les enfants du voyage sont «plus autonomes et plus dans l’entraide que les autres», soulignent les enseignantes, mais ils sont plus absentéistes aussi. «Au début, les parents nous demandent "vous connaissez la culture tsigane ? Ça ne vous dérangera pas si on part ? Et vous aimez les manouches ?"» Lorsqu’on interroge les parents sur leur expérience de l’école, les mauvais souvenirs ne sont jamais longs à remonter – insultes dans la cour de récré, mise à l’écart dans la classe. Daisy, 22 ans : «On me mettait au fond avec des divisions à faire. Moi, je voulais plutôt apprendre à lire et à écrire. Les autres élèves disaient "vous êtes des gitans, vous avez des poux." Alors je me battais dans la cour, j’étais méchante. Et je redoublais toujours. Heureusement, il y a eu un maître vraiment gentil en CM2 qui m’a aidée.»

Aujourd’hui, Daisy est soldeuse sur les marchés – elle achète des lots de vêtements et les revend. Et elle n’est pas peu fière d’être «à son compte» : «J’ai mes affaires, mes papiers, une carte de commerçante ambulante. Je sais lire et écrire, je peux travailler. Finalement, l’école m’a apporté le strict minimum, comme à mes parents.»

Daisy pense toutefois qu’elle encouragera ses enfants à «tenter de faire des études. Parce que c’est devenu très dur sur les marchés et que peut-être il n’y en aura plus». Mais comment concilier l’école tous les jours avec les voyages à travers la Lorraine et même, pour Daisy, jusqu’en Belgique ? «Demain ne nous appartient pas», conclut-elle.

Lena a, elle, encouragé sa fille de 16 ans, Soleil – prénom choisi à la naissance lorsque le père a dit : «Ce sera le soleil de ma vie !» -, à passer le Certificat de formation générale. «A quoi bon aller au lycée ? On voyage et on aime cette vie. On croit qu’il faut nous plaindre. Mais non. Notre vie est dure mais on n’en changerait pas. Comme si on vous demandait de vivre comme nous en caravane.»

«Bébé» (son surnom de voyageur, son prénom étant Octave) Adolphe, le chef de famille de 54 ans, possède la plus grande caravane du terrain familial de Roye. Il pousse la chansonnette à la guitare, puis invite à entrer dans son salon où il a le wi-fi. «Pour nous, l’école, c’est pouvoir s’éduquer mais aussi continuer sa vie de voyageur, préserver notre mode de vie et nos valeurs – la nature, le respect des anciens, les métiers traditionnels, explique Bébé Adolphe, qui vend du linge de maison après avoir fait plusieurs métiers. Il faudrait plus de camions écoles. Mais à quoi bon un CAP alors qu’à bac + 5 des gens cherchent du travail ? Nous, nous croyons en l’école de la vie.»

(1) Au terme «Tsigane», considéré comme péjoratif, l’Union européenne a substitué celui, générique, de «Rom». En France, les textes parlent de «gens du voyage» et plus récemment de «familles itinérantes ou sédentarisées depuis peu» et pour les étrangers d’«allophones arrivants».

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