PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Les recherches de Séverine KAKPO, Maître de conférences en sciences de l’éducation à l’université Paris 8, éclairent la mobilisation autour des devoirs dans les familles populaires, et les enjeux d’apprentissage qui en découlent.

Si de nombreux travaux, dont ceux de Patrick Rayou, ont déjà montré les inégalités des élèves face aux apprentissage, accentuées par la relégation d’une partie du travail de la classe à la maison, l’enquête de S. KAKPO se veut ethnographique et « analyse la manière dont le foyer se transforme en institution de sous-traitance scolaire mais aussi en institution pédagogique autonome puisque les parents sont bien souvent prescripteurs de travail en plus. » L’enquête s’appuie sur la rencontre avec une sélection de familles d’origine populaire.

 

S’il en est encore besoin, le premier chapitre rappelle que nous avons affaire à « des familles populaires fortement mobilisées autour des enjeux scolaires ». Cependant, pour l’auteure, « la situation socio-économique et les conditions d’existence relativement stables dont bénéficient « nos » familles semblent largement autoriser et encourager leur investissement dans le scolaire. » La volonté d’ascenseur social de ces familles est dominante, associée à la crainte de voir leurs enfants rencontrer des difficultés. Beaucoup d’espoir est donc placé dans l’école et ses diplômes et l’échec scolaire est vécu comme un drame. Ce sont surtout les filières perçues comme de la relégation qui sont fuies, comme la SEGPA notamment. L’enquête montre aussi que ces familles populaires savent mettre en place des modes d’action stratégiques envers l’école, notamment si elles sont bien implantées dans leur quartier. Cependant, le capital socio-culturel des parents est déterminant pour décrypter le fonctionnement de l’institution scolaire. Beaucoup de famille restent captives de l’offre scolaire locale.

Le deuxième chapitre aborde la façon dont les familles se mobilisent autour de la question des devoirs scolaires. L’auteure montre qu’elles se transforment en institution de sous-traitance pédagogique. Les familles se déclarent attachées aux devoirs à la maison car elles pensent qu’ils sont indispensables aux apprentissages, qu’ils permettent un regard et un échange avec l’école, et aussi de contrôler le temps extra-scolaires des enfants. Si les enfants n’ont pas de devoirs, les parents considèrent ce fait comme une faille de l’école, les privant d’un moyen de suivre leur scolarité. Des pratiques peu favorables au développement de l’autonomie existent, mais elles « procèdent avant tout d’une forme d’adaptation au fait que les devoirs qui sont prescrits par les enseignants renvoient souvent à des enjeux d’apprentissage non acquis et au fait que l’institution ne se propose pas suffisament d’être son propre recours et semble au contraire légitimer la compétition généralisée qui est à l’oeuvre autour des devoirs. » Les devoirs entrainent des tensions entre enfants et parents qui incitent parfois ces derniers à externaliser l’encadrement des devoirs. Souvent, la famille fonctionne comme une institution pédagogique autonome en devenant elle-même prescriptrice de devoirs, avec des ressources variées, comme notamment les cahiers de vacances.

Cependant, le troisième chapitre montre que les parents des familles populaires, confrontés à de nouveaux codes scolaires, se les approprient faiblement et développent même des logiques de résistance, comme par exemple face à l’enseignement de l’Histoire-Géographie où la place du « par coeur » a évolué. L’auteur montre aussi que les parents sont aussi perturbés par les premiers apprentissages de la lecture et l’enseignement du Français au collège. Le paradoxe est que pour certaines familles populaires, c’est bien l’école qui est « démissionnaire » dans l’idée d’une transmission des connaissances et des exigences scolaires. Cette discrimination pédagogique relèverait pour certaines familles d’une mission de maintenir leurs enfants éloignés des bons diplômes. Pour l’auteur, les « parents développent donc des analyses sociopolitiques qui visent à redonner une cohérence à des évolutions curriculaires dont ils ne parviennent pas à s’approprier les enjeux. » Le chapitre 4 permet se saisir tous ces enjeux à travers l’exemple – symbolique ? – des codes scolaires de la lecture mis à l’épreuve des codes familieux.

L’enquête de S. KAKPO est précieuse car elle éclaire une zone d’ombre des relations parents-écoles, la réalité et la qualité de l’investissement des familles populaires, à travers la question des devoirs à la maison. Cette enquête relègue un certain nombre d’idées reçues et s’attache aux processus et à la réalité et diversité des pratiques. Elle montre qu’un nombre important de familles, loin d’être démobilisées, sont désorientées par l’évolution des codes scolaires et sont très sensibles aux débats qui agitent la sphère pédagogique, s’appropriant l’idée de vouloir lutter contre la reproduction sociale. Or, ces dissonances amènent un certain nombre de familles à développer des pratiques pédagogiques nocives, facilitées par le fait que l’Ecole manque elle-même d’efficacité.

L’enquête met aussi mal un second mythe sur la mobilisation des familles populaires, celui qui consiste à penser que l’investissement des familles est forcément bénéfique à la scolarité des élèves. Certaines injonctions familiales renforcent les difficultés des élèves. Mais pour l’auteure, « la probable toxicité d’une partie des prescriptions familiales tient fondamentalement au fait que, bien souvent, l’école suppose déjà acquis, plutôt qu’elle ne l’explicite, le sens des attendus scolaires. »

Séverine KAKPO, Les devoirs à la maison – Mobilisation et désorientation des familles populaires, éducation & société, PUFnt., 2012

Séverine Kakpo et Patrick Rayou sont intervenus en septembre 2012 dans l’émission radiophonique Rue des Ecoles sur cette question des devoirs à la maison.

Print Friendly
Categories: 4.2 Société

Répondre