PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

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Dans le cadre de la refondation de l’école, la question des rythmes scolaires est mise en avant. Le nouveau ministre Vincent Peillon en a même fait un de ses chantiers prioritaires. « Je ne crois pas qu’il soit bon pour nos élèves d’avoir beaucoup moins de jours de classe que les autres, et (…) des journées très chargées. (…) Je veux qu’il y ait une réforme profonde du temps scolaire.[1] » Le retour à la semaine de 4 jours et demi devrait être effectif à la rentrée 2013. Le ministre ne se dit pas non plus "hostile" à l’allongement de l’année scolaire sur les vacances d’été.
 
De fait, les « chiffres » sont imparables : 144, c’est le nombre de jours de classe par an d’un écolier français. Elle représente l’année la plus courte en Europe ! Par comparaison, les élèves ont 186 jours en moyenne dans les pays de l’OCDE, 190 jours au Royaume-Uni, 193 jours en Allemagne.
 
6h… c’est le nombre d’heures de classe par jour à l’école primaire. Ainsi, un élève français suit entre l’âge de 7 et 14 ans, 12 % d’heures de cours en plus par rapport à la moyenne des élèves européens, soit le nombre d’heures le plus élevé des pays de l’Union Européenne !.. De là, il est déduit que « l’organisation du temps scolaire en France lors de la scolarité obligatoire, et particulièrement au premier degré, « impose aux élèves une charge de travail quotidienne parmi les plus élevées sur une des années scolaires les plus courtes[2]. » D’où l’idée d’ajouter une demi-journée de classe supplémentaire. CQFD…
 
De multiples commissions nationales se sont penchées sur cette question. Avant la commission en cours dans le cadre « Refondons l’école », la « Conférence nationale sur les rythmes scolaires » présidé par Christian Forestier, administrateur général du Conservatoire national des arts et métiers et Odile Quintin, ancien directeur général de l’éducation et de la culture à la Commission européenne a proposé un Rapport d’orientation, publié en juillet 2011. Une multitude d’études scientifiques les plus diverses ont été réalisées. Déjà en 1880, l’Académie de Médecine s’intéressait au rythme de l’enfant et de l’adolescent à l’école ! Vieille histoire donc… Au cours du siècle précédent, de nouveaux champs d’investigation sont même nés, comme la chronobiologie, la psycho-physiologie, l’éthologie de l’enfant ou la chrono-psychologie.
 
Une méta-analyse des rapports des Commissions et de ces travaux dits « scientifiques » met en avant plusieurs considérations. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’organisation de l’année, de la semaine ou de la journée scolaire n’ont jamais été pensées en termes de besoins de l’enfant ou de l’adolescent. Elle est plutôt le reflet de l’Histoire de la France, de ses pratiques et de ses mœurs. A la fin du XIXème siècle, c’étaient les travaux agricoles d’une société encore très rurale qui a défini en creux le temps scolaire. On ne recommençait l’école qu’en octobre, après les vendanges ou la cueillette des pommes. La fin des cours, généralement à 16h30, était la conséquence des longues marches pour rentrer à la maison avant la tombée de la nuit… L’année, le trimestre, la semaine étaient calquées sur le calendrier religieux. Et la coupure du jeudi, puis du mercredi, était demandée pour laisser place au catéchisme.
 
Avec le développement des loisirs, le calendrier des vacances est devenu progressivement un enjeu social et économique. Pourquoi décale-t-on les vacances en février et à Pâques, sinon pour répondre aux demandes des professionnels des sports d’hiver ? En permanence, de multiples intérêts constitués en lobbies, ont interféré pour organiser le temps scolaire. On pourrait maintenant citer les familles divorcées ou recomposées, les transporteurs scolaires, les communes ou… les concierges des établissements.. qui chacun avec des demandes propres exercent leurs propres pressions. On est bien loin des préoccupations de santé du jeune ou de la réussite scolaire…
 
Par ailleurs, le temps de l’école n’est pas un temps isolé, il n’est pas non plus l’unique épisode de la vie du jeune. Réfléchir l’aménagement du temps scolaire, c’est prendre en compte tous les temps -temps scolaire, temps périscolaire (devoirs, soutien,..), temps de loisir, y compris les temps de sommeil. Il ne faut pas oublier la place croissante qu’ont pris la télévision et les nouveaux médias dans la vie de l’enfant, même très jeune et de l’adolescent. Tous passent bientôt plus de temps sur ces nouveaux écrans qu’à l’école !
 
Les études sur le rythme de l’enfant, et notamment celles sur la vigilance, ont toutes été effectuées dans un cadre de cours contraints. L’expérience montre qu’il en est tout autrement si l’enseignant sait interpeller, motiver ses élèves avant de faire son cours. Et ne parlons pas des moments où il y a projet, intrigue, travail de groupe ou sur le terrain. Quand l’enseignant sait mettre du sens, l’attention des élèves et leurs apprentissages sont tout autre.
 
De plus, s’interroge-t-on vraiment sur ce qu’on met toujours en avant : « l’heure de cours ». Que veut-elle dire vraiment ?
Le travail des élèves, son attention, sa motivation varie de 55 minutes à seulement… 5 minutes, suivant l’intérêt du cours pour l’enfant, suivant que la classe est calme ou dissipée, suivant l’aura de l’enseignant, etc… Et qu’en est-il de l’apprendre ? Les études de didactique montrent qu’apprendre n’est jamais corrélé automatiquement à une quantité d’heures de cours… Enseigner n’est pas automatiquement faire apprendre 
 
Le rythme scolaire ne peut s’envisager de façon cloisonnée, en se limitant à compter heures de cours et jours de classe. Les apparences sont toujours trompeuses et des mesures de surface ne pourront faire évoluer l’institution scolaire. (Re)penser l’école demande d’être un peu iconoclaste. On ne peut pas prendre de décisions sans s’interroger sur les divers paramètres en jeu. Notamment, on ne peut plus éluder la question des programmes ou celles des pédagogies dominantes.
 
La fatigue du jeune n’est-elle pas liée à l’ennui, à la démotivation plutôt qu’à la durée ? La perte du désir d’apprendre que l’on constate au cours de la scolarité, n’en est-elle pas un bel indicateur ? Le déficit d’apprentissage constaté n’est-il pas plutôt lié à des programmes soporifiques, sans lien avec le monde dans lequel vit l’enfant ? Cela est encore plus « vrai » s’il s’agit d’adolescents… Quand on interroge les élèves, c’est l’inintérêt des points abordés, c’est l’incompréhension du sens des exercices et du travail demandés qui donnent le sentiment d’une semaine pesante.
 
De même, peut-on continuer à faire abstraction des contraintes du fonctionnement de l’école ? Le temps scolaire s’inscrit dans un territoire sur lequel interviennent d’autres acteurs : collectivités territoriales, familles, clubs et associations. N’oublions pas par exemple les contraintes liées au ramassage scolaire. L’organisation du temps de l’école renvoie inévitablement à l’aménagement de l’espace, des locaux et de la gouvernance, à tous niveaux. A quoi bon mettre en place une « pause méridienne », si l’enfant en difficulté est soumis à du soutien qu’il vit souvent comme une punition, si la cantine ou le restaurant scolaire est bruyant ou la cours de récréation mal abritée.
 
Pourquoi n’introduit-on pas plus souvent des projets, des défis, des jeux de rôles, des échanges de savoirs, à commencer pour apprendre des savoirs indigestes comme l’orthographe ou les tables de multiplication ? Pourquoi n’introduit-on pas des moments de respiration ou de relaxation ou même des siestes obligatoires, comme cela le devient dans certaines entreprises, pour relancer l’attention, y compris en fin de journée. Etc.. Tout ne dépend pas d’une quantité de temps ou d’une quantité de jours. Il est possible d’apprendre plus et mieux, en moins de temps, quand on apprend autrement.
 
La formation des enseignants est une question beaucoup plus prioritaire. Notamment il leur faut apprendre à l’élève à apprendre par lui-même, et d’abord lui en donner le désir, plutôt que de lui insuffler par des méthodes d’un autre temps qu’on apprend seulement quand le professeur enseigne ! Que de temps perdu…
 
André Giordan et Jérôme Saltet[1]

[1]André Giordan est le fondateur et directeur du Laboratoire de Didactique et Épistémologie des Sciences de Genève. Il est l’auteur de nombreuses recherches sur l’école et sur l’apprendre. Jérôme Saltet est co-fondateur et directeur associé du groupe Play Bac (Les Incollables, Mon Quotidien). Tous deux travaillent ensemble depuis sept ans sur un projet de collège optimal et ont déjà publié ensemble quatre ouvrages sur « apprendre à apprendre ».

 

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