PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

La question des réseaux sociaux en classe est en train de monter (à nouveau ?) en puissance. De Claire Bailley à Anne Cordier qui ont récemment publié des ouvrages qui interrogent les pratiques des jeunes, au site proposé par l’enseignement de Wallonie. On peut rapidement comprendre pourquoi cette question se pose : à l’instar des smartphones utilisés dans les classes, à l’insu des règlements voire des lois tout comme l’utilisation des espaces numériques publics partagés (cf Google docs, drive et autres Dropbox), les réseaux sociaux sont de plus en plus souvent présents dans les activités scolaires pilotées par les enseignants et bien plus encore dans les pratiques personnelles des jeunes dans les lieux et le temps scolaires. Ce n’est pas nouveau, mais c’est l’amplification des pratiques et de leur médiatisation qui interroge.

Au moment où Viaéduc (le réseau social porté principalement par CANOPE) tente de prendre pied dans la communauté enseignante, on remarque qu’il aura fallu moins de dix ans pour que les services de réseaux sociaux numériques grand public s’imposent aussi bien chez les jeunes que chez les adultes. L’expression « réseaux sociaux » est d’ailleurs employée désormais sans l’adjectif numérique, tant cela désormais semble aller de soi. L’utilisation de ces réseaux numériques impressionne beaucoup et est aujourd’hui un repère d’information, une source, pour nombre d’entre nous, professionnels de l’information compris.

Toutefois force est de reconnaître que la plupart des discours sur les réseaux sociaux en milieu éducatif sont basés sur la question des dangers, des risques, et de la méfiance. Mettre en garde les jeunes semble être un leitmotiv qui après avoir accompagné le développement initial d’Internet semble se confirmer avec les fameux réseaux sociaux. Interdits dans de nombreux établissements, tout comme les smartphones, ils ont cependant pris place dans le paysage scolaire. Malgré ces oppositions, ces interdictions, des enseignants ont été visiter cet univers, pour eux-mêmes d’abord, pour leurs élèves aussi. Ils y ont trouvé un potentiel pédagogique et éducatif. Et en dialoguant avec leurs élèves ils ont pu découvrir combien les jeunes avaient, pour la plupart une vision réaliste et efficace de ces espaces qu’ils utilisaient très souvent au mieux. Toutefois la surmédiatisation des dangers a eu deux effets : amener les jeunes à identifier eux-mêmes les risques, mais surtout mettre dans la tête des adultes (voyeurs, mais rarement acteurs… même si ça évolue en ce moment), un ensemble de représentations négatives. Du coup le monde scolaire s’est retrouvé confronté une nouvelle fois à cet écart entre le prescrit, le déclaré et le réel…

Ne nous y trompons pas, les réseaux sociaux ne sont que la suite logique de ce qui était à la base d’Internet puis du web, à savoir favoriser les échanges et les collaborations. Rappelons ici les fameux forums Usenet des années 80 – 90 qui étaient des espaces d’échanges de partage et de mutualisation bien avant que le HTML vienne transformer un instrument professionnel en objet social accessible à tous. Du coup, ce regard rétrospectif met à mal ces idées de web 1.0 et web 2.0, tant il ne sont qu’un habillage de quelque chose qui existait depuis longtemps mais que l’idéologie de la nouveauté a permis de faire passer sur le devant de la scène médiatique… Sans oublier que les réseaux sociaux ont précédé très largement leur numérisation et que celle-ci n’est qu’instrumentation d’une pratique sociale très ancienne. Toutefois, il ne faut pas oublier que le monde scolaire, lui, a longtemps mis de côté les pratiques de réseaux au moins dans la forme et l’organisation, centré qu’il est sur l’espace classe/établissement et sur les relations individuelles au sein de cet espace.

Aujourd’hui les réseaux sociaux numériques, à l’instar d’Internet sont devenus accessibles à tous, dans une proximité, une intimité qui tend à se rapprocher d’un processus que l’on peut qualifier « d’incorporation ». Nous faisons corps avec nos smartphones et avec leurs usages quasi permanents comme en témoignent nombre d’études sur les jeunes, scolaires ou universitaires. En fait plutôt que de ne parler que des réseaux sociaux numériques (ce qui est un peu restrictif au vu des pratiques), il vaut mieux parler des « pratiques de réseautage instrumentées » qui utilisent plusieurs moyens techniques dont la messagerie électronique, le téléphone, les SMS… En fait ce que l’on nomme réseaux sociaux numériques c’est surtout un ensemble de services en ligne qui facilitent les échanges en offrant diverses modalités de gestion de ces échanges. Ainsi si l’on en compare plusieurs, on s’aperçoit qu’ils ont des spécificités différentes autour d’un noyau central qui est l’échange et le partage.

Les enseignants qui ont introduit l’usage des réseaux sociaux dans leur pratique en classe sont-ils dans l’illégalité ? Apparemment non, si toutefois le règlement intérieur de l’établissement ne stipule pas l’interdiction de ceux-ci dans le temps scolaire. Mais en réalité oui si on se fie à ce rapport récent de l’inspection générale de l’éducation nationale qui à propos du numérique dans l’école primaire écrit à propos de Dropbox et Google doc : « Les règles de non-confidentialité suivies par ces sites ne sont pas compatibles avec le fonctionnement du service public ». On peut donc penser qu’il en est de même pour Facebook ou Twitter… Cependant, s’abstenant de citer des textes précis, l’IGEN met en évidence (cf. un billet précédent) une certaine insouciance du ministère pour ce qui concerne le cadre juridique du numérique en éducation.

Très souvent, dans les établissements, ce sont les appareils que l’on tente de contrôler dans un premier temps (ça se voit). Le contrôle des réseaux sociaux passe lui par les services informatiques qui peuvent en interdire simplement l’accès au sein de l’établissement. Mais dans ce cas, ceux qui ont un accès à Internet via leur abonnement téléphonique sortent de ce contrôle et c’est alors le règlement qui peut en interdire l’usage, mais l’application en est beaucoup plus délicate. En d’autres termes, les réseaux sociaux numériques sont, qu’on le veuille ou non, entrés dans les établissements scolaires.  L’usage des réseaux sociaux s’est substitué chez les jeunes à la messagerie électronique plutôt utilisée dans le monde adulte. Toutefois on voit petit à petit nombre d’adultes se lancer sur ces réseaux, souvent pour des pratiques familiales personnelles avant d’être professionnelles. Aussi les enseignants sont-ils en train de progresser sur leur approche de ces réseaux. D’une attitude de méfiance et de contrôle, ils passent à une attitude de prise en compte d’un fait social qui implique de leur part une attitude éducative.

Face à ces réseaux, il y a les ENT des établissements, encadrés qu’ils sont par le ministère. Même si la loi de 1978 sur la protection des données personnelles est toujours en vigueur on peut s’étonner de sa non mise à jour à propos d’un contexte largement transformé. Ces ENT sont-ils autre chose que le signe d’une forteresse numérique assiégée par les pratiques sociales ? Sont-ils la traduction éducative d’une prise de conscience de la nécessité d’une éducation ? Sont-ils à la hauteur de la qualité des produits grands publics. Car pour les réseaux sociaux numériques, comme pour de nombreuses autres possibilités offertes par les moyens numériques, la confrontation entre l’offre grand public et l’offre scolaire n’est pas vraiment à l’avantage de ce dernier. Les jeunes sont prompts à le dire, rejoints parfois par les enseignants les plus aguerris au numérique.

Les twitt-classes et autres twictées n’étaient pas vues de la même manière que les usages de Facebook, Instagram, Snapshat, et encore moins ask et autres réseaux si peu connus des adultes. D’une part, une expérimentation surprenante mais sympathique (twitter est souvent considéré comme un truc de « vieux » et pas forcément comme un réseau social…) d’une autre un espace dangereux et risqué dont il vaut mieux se tenir éloigné… Mais les jeunes ont appris à l’utiliser par eux-mêmes (ni l’école ni les parents ne sont vraiment capables, pour l’instant, de s’en emparer de manière éducative. Ces mondes de la conversation ont pris une telle ampleur qu’on ne peut les laisser de côté dans une éducation à l’expression, à la vie en société, une société dite de la connaissance….

Découvrant récemment la situation de certains établissements au Liban, j’ai pu voir que s’ils interdisent les réseaux sociaux dans les établissements, les directions et les enseignants les utilisent pour échanger avec les familles (WhatsApp). Certains ont aussi évoqué certains usages scolaires. Mais ce qui est important c’est que dans ce pays troublé, l’importance du lien immédiat est essentiel, c’est quasiment existentiel presque comme l’ensemble des moyens numériques. Comme ils n’ont pas développé de politique d’ENT, ils ont donc choisi de faire des réseaux sociaux un outil de relation entre l’institution et les familles et les élèves. Alerte immédiate, informations courantes prolongées par des pages Facebook, les équipes éducatives ont donc choisi d’en faire d’abord un objet de communication sociale avant d’envisager éventuellement d’en faire un moyen éducatif en contexte scolaire… Serions-nous en décalage dans un pays comme le nôtre ? Y a-t-il des raisons contextuelles ? Il faut probablement le penser, avant d’aller le vérifier au plus près.

Nous n’avons pas encore vu de classe virtuelle se déployer sur Facebook, mais cela ne saurait être éloigné de certaines pratiques existantes, encore souterraines ou au moins peu visibles pour l’instant. Car la méfiance reste encore dominante dans l’esprit de nombre d’entre nous.

Bruno Devauchelle

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