PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In L’Expresso – le Café Pédagogique – le 11 juillet 2014 :

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"Finalement, tout le monde trouve un intérêt à cette demi-teinte, à cette absence de décision qui se confirme chaque jour à propos du numérique en éducation". Bruno Devauchelle fait un bilan de l’année scolaire. " Ce qui manque, essentiellement, c’est une vision plus globale, non pas du numérique mais d’une société qui évolue dans un cadre numérique… On va continuer d’installer des matériels, développer des environnements logiciels, parler de pédagogie sans jamais en faire, mais surtout ne pas toucher à l’école et à tout ce qui la rend de plus en plus imperméable au numérique." 

Les sujets récurrents, marronniers pour les spécialistes, nous avaient attirés vers les vacances numériques. Mais un petit coup d’œil dans le rétroviseur nous a ramené à des réalités plus simples mais aussi plus cruelles. Un autre marronnier a émergé, celui du bilan de fin d’année, sorte d’examen de passage : vais-je avoir le droit de revenir l’année prochaine dans la classe supérieure ? Fort heureusement nous n’avons pas cédé à la traditionnelle remise des prix et autre cérémonies commémoratives et évocatrice d’un rite de passage. Finalement c’est entre les deux que nous allons essayer d’avancer pour ce dernier billet de l’année scolaire 2013 – 2014. 

Premier point : le changement de ministre. Bof ! Le développement des Moocs, oui mais Bof ! Les classes inversées, bon mais Bof ! Les tablettes, alors là carrément Bof ! Quant aux TBI et autres VNI, ENT, CTN et tous les acronymes qui ont succédé aux précédents, Bof ! 

Deuxième point : Les changements en pédagogie. Bof ! L’évolution de l’organisation de la scolarité, Bof ! Le B2i, Le C2i2e, Bof ! 

On pourrait continuer à citer toutes ces "demi teintes" qui peuplent l’univers scolaire face au numérique. En fait il semble bien que les masques soient en voie de tomber : sauter sur toutes les nouveautés technologiques pour faire croire aux nouveautés pédagogiques ne marche pas ou plus. Penser que le numérique suffira pour "révolutionner" l’enseignement est une belle illusion. Penser qu’il suffira d’introduire l’enseignement du code pour résoudre tous les problèmes posés par la généralisation du numérique dans la vie quotidienne est bien évidemment un leurre. Penser aussi que cela va sauver l’industrie du secteur en est un autre. 

Et il y a cette sourde résistance, ô combien efficace et redoutable, des acteurs du quotidien : de l’enseignant au personnel de direction; de l’inspecteur à sa hiérarchie; du parent à l’élève; du constructeur au commerçant : finalement, tout le monde trouve un intérêt à cette demi-teinte, à cette absence de décision qui se confirme chaque jour à propos du numérique en éducation. Et cet intérêt, c’est de maintenir une sorte de non décision permanente, un flou politique et stratégique qui finalement permet au numérique de continuer à se déployer avec les logiques propres de ses concepteurs et promoteurs, empêchant toute parole forte qui viserait à mettre ces acteurs sous contrôles d’une vraie vision de l’humain dans un monde numérique. 

Car ce qui manque, essentiellement, c’est une vision plus globale, non pas du numérique mais d’une société qui évolue dans un cadre numérique. Et dans cette société il y aurait des lieux qui permettraient à chacun, jeunes et moins jeunes d’accéder aux savoirs, de pouvoir se les approprier et d’en faire "bon usage". Enfermés que nos sociétés sont dans une histoire scolaire issue des penseurs du XXVIIIe siècle, elles ont du mal à entrer dans celle que le numérique, paradoxalement met à jour, celle de l’incertain et de l’incomplétude. Car le numérique, qui présente le summum du rationnel avec ses simples zéros et uns, ses algorithmes que l’on croit implacables, de ces réseaux que l’on pense parfaits, de ces langages qui finalement ne parviennent pas à répondre réellement aux besoins de nos sociétés, le numérique révèle surtout l’incertain, le presque, l’incomplet, certain diraient aussi l’humain. 

A croire que le numérique va faire changer la pédagogie et résoudre les problèmes de l’école, on a oublié de regarder ce qui se passe réellement. Le numérique a tellement amplifié la différence individuelle, tellement incité à la prise en compte de chacun, au nom d’un duo libéral libertaire, qu’il met en relief ce qui un élément fondamental de la socialisation par la scolarisation : le passage de l’individuel au collectif. Certes le numérique n’est pas seul, il accompagne, encourage amplifie ces mutations fondamentales de la famille (berceau de la transmission), du travail (berceau du partage d’activité), de l’urbanisation, déruralisation (berceau du bien commun). Mais il est là, en renfort, en soutien, en étayage, proposant aujourd’hui, grâce aux réseaux d’aller voir ailleurs. L’espace a changé de dimension en trente ou quarante ans. 

Cette impression de demi-teinte est donc là. Des actions nombreuses et médiatisées, mais pas d’analyse globale. L’école est là et bien là. Qu’elle ne bouge pas. Chacun de nous est d’ailleurs complice de cette immobilité, élèves, parents, enseignants, institution, incapables, voire paralysés face aux enjeux pourtant perçus, mais pas travaillés. Alors on va continuer d’installer des matériels, développer des environnements logiciels, parler de pédagogie sans jamais en faire, mais surtout ne pas toucher à l’école et à tout ce qui la rend de plus en plus imperméable au numérique. Il faut espérer que l’on va pouvoir engager sur une durée suffisamment longue des états généraux, sans complaisance, de l’institution scolaire. Même le socle commun, pourtant voté par tous, n’a pas réussi à faire bouger les lignes. Peut-être un électrochoc lié au numérique peut-il amener les pouvoirs publics, à tous les niveaux, mais aussi les citoyens à, enfin, réfléchir au sens de leur école dans un monde numérisé. 

Alors arrivent les vacances. Les élèves vont se dépêcher d’oublier ce qu’ils ont appris, car cela ne servira plus à grand-chose. Les enseignants vos déjà préparer l’année à venir et oublier celle-ci pour mieux la reproduire. Les innovateurs de toutes sortes vont aller à la pèche aux innovations en espérant pouvoir poursuivre leur quête du graal de la reconnaissance. Les personnels de direction et les cadres vont s’empresser de remettre de l’ordre dans la machine. Quant à leur hiérarchie elle va se contenter, qu’une année de plus, le numérique n’ait pas mis l’institution "cul par-dessus tête" et que même parfois elle ait servi les desseins du statu quo, de la moyennisation scolaire. 

Bonnes vacances à tous 

Bruno Devauchelle 

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