PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Médiapart – le 26 juin 2013 :

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J’avais relevé, en leur temps, les très nombreuses erreurs factuelles et contre-vérités énoncées par le Haut Conseil à l’Intégration quand il abordait la question de la laïcité (1). En amont des prises de positions elles-mêmes, son travail n’était pas pertinent. Le premier rapport d’étape (de 192 pages) publié, mardi 25 juin, par l’Observatoire de la laïcité, dont Mediapart vient de rendre compte, tranche par le sérieux de ses réflexions. Que l’on soit d’accord ou non avec les points de vue énoncés, ceux-ci reposent généralement sur une réelle connaissance du sujet, ce qui permet (enfin!) d’engager un véritable débat.

Malheureusement, ce sérieux nuit déjà à son impact médiatique : ainsi, France 2, pourtant service public, n’en a pas fait mention dans son 20 Heures. Gageons qu’il en aurait été autrement si le texte avait cherché à faire peur, tablé sur l’émotion et non la raison. Ce n’est donc pas pour rien si, in fine, le rapport critique le « traitement médiatique touchant au principe de laïcité ».

J’invite, pour ma part, toutes celles et tous ceux qui sont intéressés par le sujet, et/ou qui en parlent publiquement, à étudier l’ensemble de ce rapport, sans isoler telle ou telle phrase qui leur déplairait. Ils verront qu’il comporte une riche matière pour une discussion raisonnable et réfléchie. Voici d’ailleurs quelques pistes de réflexion qui me viennent à l’esprit après lecture du Rapport.

D’abord, un élément d’information : une force de ce texte est qu’il constitue un document de travail à plusieurs voix où chacun s’est exprimé sur le sujet sur lequel il possède une certaine compétence. On n’a pas cherché à unifier les positions. Il est d’autant plus intéressant de se rendre compte qu’elles manifestent à la fois une certaine diversité et un ensemble de convergences.

Le second point fort est l’importance donnée au dispositif juridique qui façonne la laïcité française. La France est un Etat de droit et on ne peut utiliser la laïcité comme un mot magique qui ferait l’économie du droit. Que cela plaise ou non : et bien sûr, comme les autres, tout ne me satisfait pas dans les dispositions législatives et jurisprudentielles actuelles. Cependant, celles-ci s’imposent, tant qu’elles ne sont pas modifiées et on ne peut les modifier n’importe comment.

A partir des nombreuses indications sur le dispositif juridique en vigueur, il faudrait maintenant débattre sur la signification de ce dispositif par rapport aux principes démocratiques… et laïques, de liberté de conscience et d’égalité des droits. Car, ce qui ressort d’une lecture attentive de l’ensemble des contributions d’ordre juridique, sans être toutefois explicitement indiqué, c’est une laïcité à géométrie variable, douce pour les uns et nettement plus dure pour d’autres.

Ainsi Jean Glavany estime que les lois sur l’enseignement privées, adoptées depuis les années 1950, et surtout depuis l’instauration de la Ve République, constituent une « brèche », une « destruction partielle » de la laïcité telle qu’il la conçoit. Mais il ne propose aucune initiative législative pour mettre fin à cette situation. En revanche, option personnelle car l’Observatoire n’a pas pris position pour le moment, il veut « légiférer » sur « Babyloup ».

Je suis persuadé que Glavany, comme d’ailleurs tous les gens de gauche qui partagent sa position (et ils sont nombreux), ont des idéaux universalistes. Mais ils devraient davantage se soucier des conséquences réelles de leur position : elle aboutit, en effet, à une laïcité  très différenciée suivant les personnes auxquelles elle s’adresse. Veulent-ils, à leur insu, favoriser une laïcité discriminatoire ?

Le grand écart est encore plus grand quand on passe à la situation respective de la laïcité par rapport à la séparation et à la neutralité. Une contribution d’Alain Christnacht précise bien ce qui est entendu par « service public », dont le sens s’est élargi ces derniers temps, même si (contrairement à ce que certains voudraient faire croire) la notion de « service public » ne se confond pas avec celle « d’intérêt général ». En conséquence, dans la situation actuelle, où la Cour de cassation a retoqué l’arrêt sur Babyloup, la neutralité est déjà interprétée de façon nettement plus stricte qu’elle ne l’a été historiquement.  

En revanche, la puissance publique peut maintenant constitutionnellement favoriser certaines religions en certains endroits. Couronnant une évolution de ces dix dernières années (avant, on parlait de dispositions « provisoires »), le Conseil constitutionnel a donné, en effet, début 2013, un brevet de constitutionnalité à la « prise en charge par la collectivité publique » des ministres des « cultes reconnus » d’Alsace-Moselle, contrairement à l’article 2 de la loi de 1905.

Pour ma part, je prends acte de cette décision. Cependant je constate qu’elle amoindrit fortement la séparation, qui n’est plus un élément indispensable de la laïcité française, dans le même temps où la neutralité est interprétée de façon de plus en plus extensive. Là encore, il y a deux poids, deux mesures… et une discrimination de fait : d’un côté un invoque « l’attachement des populations », mais d’autres citoyens et, surtout, citoyennes ne voient pas leurs paroles prises en compte. Dans la tradition de l’antiféminisme anticlérical, elles constituent des enjeux, au lieu d’être des sujets.

Rapidement, quelques mots sur d’autres contributions (toutes mériteraient un commentaire). Alain Bergounioux donne une bonne synthèse de la Commission Stasi, rappelant ce que l’on a voulu oublier de ses travaux. Juste une précision supplémentaire, puisque certains invoquent ladite Commission en faveur d’une nouvelle loi pour les entreprises : celle-ci se prononçait pour une « concertation (préalable) avec les partenaires sociaux ». Or, et l’exposé d’Armelle Carminati l’indique clairement, ceux-ci sont très majoritairement opposés à une mesure législative.

Michèle Lenoir-Salfati montre une situation « apaisée et sous contrôle » dans les hôpitaux. Je signale, de plus, que l’enquête sociologique menée par Christophe Bertossi et Dorothée Prud’homme, dans le cadre de l’IFRI sur la « Diversité à l’hôpital », dans des établissements de la région parisienne, aboutissait au même résultat. En revanche le Bilan de la loi du 15 mars 2004 par Catherine Moreau, assez unilatéral, ne tient nul compte du ressenti des jeunes filles exclues (cf. notamment, Des filles voilées parlent, aux éditions de La Fabrique) et de la multiplicité des effets de cette loi. Les indications données par Roland Dubertrand sur les réactions internationales fournissent, à ce niveau, déjà un complément utile.

Enfin,  l’Outre-Mer n’est pas négligée grâce à l’analyse érudite de l’application de la laïcité  par Nicolas Cadène. De plus, ce qui est peu fréquent, on trouve la prise de parole d’un ultramarin, l’écrivain Daniel Maximin. Celui-ci donne une contribution très intéressante sur « Laïcité, une étrangeté française ou un projet universel », pièce originale dans un important débat.

Pour conclure, je laisserai la parole au Président de l’Observatoire, Jean-Louis Bianco :

« La laïcité apparait trop souvent depuis une vingtaine d’année comme un principe d’interdits et de restrictions aux libertés. Ce qu’elle n’est pas. (…)

Elle est

– un ensemble de droits et de devoirs

– elle doit s’appuyer sur la lutte contre toutes les discriminations économiques, sociales, urbaines,

– elle est un point d’équilibre atteint après de nombreux combats.»

Comme je l’ai indiqué, ce « point d’équilibre » n’a pas encore été trouvé. Souhaitons que le travail de l’Observatoire permette de nous en rapprocher.

(1) Cf. La laïcité falsifiée, Paris, La Découverte, 2012.

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Categories: Laïcité

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