PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

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" Une répartition des dépenses éducatives de plus en plus problématique

Il est possible de tirer plusieurs conclusions des transformations de la durée des études. D’abord, les dépenses éducatives publiques – plus de 100 milliards d’euros annuels – profitent de façon très inégale aux jeunes générations. Les 10% les moins scolarisés en bénéficient relativement peu ; les 10% les plus scolarisés beaucoup. Cet écart entre les riches et les pauvres en éducation s’est creusé sur le dernier quart de siècle. Désormais, les étudiants qui ont les scolarités les plus longues reçoivent en nature, sous forme de cours, presque 200 000 €, pas loin du double de ce qui est perçu par les 10% d’élèves dont la scolarité est la plus courte. Ce raisonnement vaut aussi, pour une grande part, pour les 20% les moins scolarisés et les 20% les plus scolarisés. Les dépenses d’éducation publiques assurent ainsi un vaste mouvement « anti-redistributif » entre les jeunes générations et leurs familles.

Ensuite, ce mouvement anti-redistributif, croissant de 1986 à 2009, ne concerne pas n’importe quelle catégorie sociale. Toutes les recherches montrent que les scolarités les plus courtes sont réalisées principalement par les enfants des catégories populaires ; les plus longues par les enfants des catégories supérieures (Merle, 2009), dont les scolarités sont de surcroît les plus coûteuses. Dans les grandes écoles (Polytechnique, ENA, HEC, ENS), la part des enfants des catégories aisées a même augmenté depuis les années quatre-vingts (Albouy et Wanecq, 2003). Si les dépenses éducatives publiques profitent davantage à certaines catégories sociales, il serait logique que celles-ci fassent l’objet d’une fiscalité progressive plus forte. Or, sur la période 1986-2009, le mouvement contraire est constaté avec une moindre imposition du capital et des hauts revenus, tout particulièrement sur les dix dernières années, et une montée parallèle de la fiscalité indirecte qui ponctionne de façon relative davantage les bas revenus. Le système éducatif actuel est de moins en moins largement financé par les catégories aisées qui en bénéficient pourtant de plus en plus puisque. Le bilan serait-il si différent pour l’accès au système de soins spécialisés ou aux diverses infrastructures publiques notamment culturelles ? Une société qui repose sur un tel déni des règles élémentaires d’équité et de justice n’est-elle pas une source intrinsèque de conflits, de violence et de radicalisation politique ?

Ce bilan pose des questions absentes des débats sur l’école. Lorsque la politique en faveur des Zones d’Education Prioritaire se chiffre en millions d’euros (Merle, 2012) alors que les inégalités des dépenses éducatives par décile se comptent par milliards, peut-on se contenter d’une discrimination positive dont l’effet redistributif est lilliputien ? Comment justifier aussi que les dépenses éducatives se concentrent toujours davantage sur les étudiants qui bénéficient déjà le plus de l’accès à l’éducation selon le principe « donner plus à ceux qui ont plus » ? Enfin, comment permettre un accès plus large des nouvelles générations à l’éducation si seule la durée d’étude des 10% des plus scolarisés augmente ? L’organisation éducative contemporaine devient le creuset d’une inégalité croissante entre les nouvelles générations, tout particulièrement dans un pays tel que la France où le diplôme assure un rôle déterminant dans l’accès aux emplois les plus recherchés.

Le défi contemporain – celui d’une école à la fois plus équitable et plus efficace – devient, de fait, de moins en moins accessible. Il imposerait de réduire les inégalités de durée des études qui ne cessent de croître et détruisent en profondeur le pacte social. Il nécessiterait aussi de refonder l’organisation éducative pour qu’elle ne soit plus un lieu privilégié de la reproduction. Tache considérable comparable à celle entreprise par Jules Ferry en 1881 : « C’est une œuvre pacifique, c’est une œuvre généreuse, et je la définis ainsi : faire disparaître la dernière, la plus redoutable des inégalités qui viennent de la naissance, l’inégalité d’éducation. C’est le problème du siècle et nous devons nous y attacher ».

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Categories: 4.2 Société

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