PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Médiapart – le 6 juin 2014 :

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Pour Etienne Butzbach, ancien successeur de Jean-Pierre Chevènement à la mairie de Belfort et président de la Communauté d’agglomération belfortaine, si les tentatives de réformes ont jusqu’à présent échoué, c’est faute de « faire coïncider une administration efficace et démocratiquement contrôlée avec la réalité de ce que vit la population ». Il détaille ici des pistes pour « libérer le potentiel et l’énergie des territoires ».


Sur quels écueils toutes les dernières tentatives de réforme de la carte territoriale se sont-elles brisées ? Sur l’incapacité de leurs auteurs à répondre à la seule vraie question : comment faire coïncider une administration efficace et démocratiquement contrôlée avec la réalité de ce que vit la population. Les territoires, ce sont d’abord les espaces vécus, la façon dont les gens se logent,  travaillent, consomment, tissent – ou non – leurs liens sociaux, se déplacent, se cultivent… ce que l’Insee et la Datar tentent de traquer à travers les bassins de vie, les  zones d’emplois, les territoires environnementaux pertinents, les aires d’attractivité.

La véritable économie à faire, ce n’est pas de tenter ici ou là quelques suppressions de postes, vite compensées dans un autre secteur, c’est de libérer le potentiel et l’énergie des territoires.

LES PRINCIPES D’UNE REFORME EFFICACE

Partir des territoires réels et fonctionnels

On a voulu traiter la question par l’approche idéologique : la critique démagogique du mille feuilles. Mais le mille feuilles, c’est la réalité d’une société complexe avec des territoires gigognes dont la pertinence de la délimitation dépend du sujet abordé. Le quartier ou les petites communes sont pertinents pour traiter des questions quotidiennes de proximité. La ville et l’intercommunalité permettent la mutualisation des services. Les aires urbaines et les agglomérations sont les lieux privilégiés des prises de décisions stratégiques et de leur traduction opérationnelle. L’échelon infra régional, tant décrié dans sa cristallisation départementale actuelle, est objectivement un bassin de vie, un bassin versant, un bassin d’emploi très utile pour organiser des solidarités sociales, environnementales, économiques entre espaces urbains agglomérés et territoires périurbains. Les communautés de communes sont en effet des espaces de respiration essentiels, équilibrant la densité de la ville qui, elle, garantit la durabilité du développement.

La région, c’est de l’Etat

L’échelon régional est au-delà de ces relations de proximité. La région, dans les faits, n’est pas une collectivité territoriale. Elle participe déjà du fait étatique. Elle est trop loin du terrain pour gérer dans le détail la mise en œuvre des politiques. Elle participe de l’exercice multi niveau de l’Etat moderne qui se déploie toujours dans le cadre national, mais également dans une dimension supranationale – en ce qui nous concerne, l’Europe – et au niveau infra national – les régions, les Länder, les Communautés autonomes…

Ce qui pose problème, c’est d’ailleurs l’incapacité des territoires régionaux français actuels, trop émiettés et souvent de trop petite taille, à pouvoir pleinement assumer cette déclinaison subsidiaire et décentralisée des fonctions d’Etat.

Combiner le principe d’égalité républicaine et la réalité d’une irréductible diversité

Ce qui frappe lorsqu’on se promène en France, c’est l’extrême diversité des situations rencontrées. On ne gère pas le territoire de la même façon dans un sud ouest façonné par mille et un terroirs, dans une Bretagne attachée à ses traditions ou dans un Grand Est marqué par son histoire industrielle. On pourrait multiplier les exemples de ces identités multiples qui font la richesse du pays et qui se traduisent par une très grande hétérogénéité des pratiques institutionnelles dans un cadre apparemment très homogène. Quelle diversité des modes d’administration entre régions, entre départements ou entre communes ! C’est d’ailleurs un des aspects occultés de la clause de compétence générale dont il est convenu de dire aujourd’hui le plus grand mal, mais qui a permis cette adaptation des institutions aux particularités locales, tout en préservant l’unité nationale. Car c’est également une des contraintes majeure de toute volonté réformatrice de l’organisation des territoires que de devoir prendre en compte cette diversité sans rompre ce fragile équilibre, pour éviter de sombrer dans les travers de la balkanisation, du culte de l’entre soi  et de l’éclatement identitaire dont sont plus que jamais menacées nos sociétés dans la période actuelle.

Deux trios institutionnels

Ainsi nous n’avons pas à faire à deux ou trois couples institutionnels mais à deux trios.

L’un qui traite du quotidien et de l’opérationnel, celui qui doit articuler les différents échelons de collectivités locales. Le second qui doit distribuer de façon complémentaire l’intervention de l’Etat aux différents échelons de fonctionnement d’une société complexe et mondialisée qui déborde du cadre des états nations traditionnels.

LE TRIO DES COLLECTIVITES TERRITORIALES: communes, intercommunalités, départements

Le premier de ces trios, c’est le monde des communes, de l’intercommunalité et de cet espace d’intercession entre l’urbain et son périurbain  qui ne peut plus se satisfaire de l’organisation départementale cantonale actuelle.

Si tout le monde, ou presque, s’accorde aujourd’hui pour considérer que l’intercommunalité est le pivot de ce trio, les opinions divergent quant au rôle que doivent encore ou non jouer les communes, et surtout sur l’avenir du département.

La commune reste le lieu privilégié de l’implication citoyenne

La petitesse de certaines communes en France pose indéniablement problème. La multiplicité du nombre de communes est un frein à la finalisation d’un maillage intercommunal efficace, rendant ingouvernable des assemblées dans lesquelles chaque commune, quelle que soit sa taille, doit être représentée. La loi sur ce point devra évoluer, notamment par l’introduction d’une représentation par collèges tenant mieux compte de la taille des communes et/ou en incitant à la fusion des très petites communes là où c’est possible.  Bien sûr il ne peut y avoir de normes trop rigides ou purement quantitatives en la matière. Une tentative de règlement de ce problème doit également prendre en compte la superficie, notamment dans les zones peu peuplées, et la topographie. Le territoire ne s’organise pas de la même manière en plaine ou en montagne.  Mais la commune reste le lieu de l’engagement citoyen de base. La présence d’un réseau nombreux de maires, d’élus contribue au maintien d’un minimum de vie démocratique et d’un engagement la plupart du temps bénévole de milliers de citoyens qui s’impliquent dans l’animation de la vie locale. A l’heure où, dans les plus grandes collectivités, on s’évertue à travers l’encouragement à la vie associative ou par la création de comités de quartier à remobiliser une citoyenneté vacillante, il serait paradoxal de se priver de ce vivier citoyen, même si des regroupements doivent être encouragés dans les communes de moins d’un millier d’habitants, en tenant compte des spécificités locales évoquées précédemment.

Intercommunalité : rechercher la taille optimale pour la mutualisation des services

Les communautés de communes, d’agglomérations et les communautés urbaines ont beaucoup progressé dans leur intégration ces dix dernières années. La mutualisation des services devient la règle. Elle est indispensable et les retours en arrière qui semblent se dessiner ici ou là, à la faveur d’alternances politiques, doivent être combattus. D’autant plus que de nouveaux besoins apparaissent. Ainsi la nécessaire refondation de l’école et la participation des communes à la mise en place d’un véritable service public éducatif post et périscolaire ne pourra se réaliser sans une prise en charge par l’intercommunalité d’un certain nombre de fonctions aujourd’hui plus ou moins assumées par les communes. Certaines intercommunalités montrent déjà l’exemple dans ce domaine.

Pour cette mutualisation, nombre de communautés de communes n’ont pas encore atteint la taille optimale. Un seuil de 5000 habitants avait été fixé lors de la loi de 2010. Il a incontestablement favorisé une première évolution. Mais en dessous de 10 000 habitants voire 20 000 dans certains territoires plus urbanisés, il paraît difficile de progresser dans la mutualisation des services. Là encore, l’approche ne doit pas être dogmatique et tenir compte des réalités locales notamment des distances entre les communes pour ne pas créer des territoires engendrant des contraintes de déplacement en total décalage avec les orientations actuelles en matière de bilan carbone..

Urbain/périurbain : la nécessité d’un échelon de régulation infrarégional

Si l’on considère les intercommunalités comme l’échelon efficient central qui permet de marier pratiques citoyennes de base – la commune revisitée – et capacité d’action stratégique, reste posé le problème de la relation entre les espaces agglomérés denses – les communautés urbaines, les communautés d’agglomérations, les aires urbaines – avec les territoires périurbains qui peu ou prou sont dans leur aire d’attractivité. Ainsi l’espace des territoires de santé est défini par l’articulation entre les maisons de santé, la médecine de ville et l’hôpital avec ses urgences et ses services de traitements lourds, car le bassin de vie est aussi celui où l’on devient malade et où l’on meurt. Les bassins d’emploi réunissent tous ceux qui travaillent, qu’ils habitent l’agglomération ou la ville centre et les intercommunalités plus périphériques. Les grands centres commerciaux et administratifs sont également fréquentés par tous lorsque les pôles de proximité ne peuvent répondre à l’ensemble des besoins.

Cette échelle territoriale, ce n’est pas la région. Et cela le sera encore moins quand les régions seront plus vastes. C’est un niveau infra régional, qui ne correspond plus dans certains endroits au département car le périmètre du bassin de vie s’est élargi, car les modes de vie et de mobilité se sont affranchis des frontières administratives. L’essentiel ce n’est donc pas la disparition des départements en tant qu’entités fonctionnelles infrarégionales de gestion des solidarités entre urbain et périurbain. C’est leur transformation (périmètre, compétence) et leur adaptation au fonctionnement réel des populations et des territoires. Oui, le département fondé sur les cantons est obsolète. Mais il doit être remplacé par un territoire lieu de coordination et des solidarités entre communautés de communes et communautés d’agglomérations, pour continuer à gérer une action sociale, des interventions en matière de déplacement et d’environnement qui solidarisent les bassins de vie en tenant compte de la complémentarité des problématiques urbaines et périurbaines, en combinant l’efficacité de la densité urbaine à prendre en charge, développement économique et grands équipements, et le caractère de réserve environnementale et naturelle des espaces plus périphériques, sans les dissoudre l’un dans l’autre. Cet espace infrarégional ne peut être, en démocratie, un échelon d’administration sans régulation politique. Il doit être piloté par une représentation politique, composée à partir des intercommunalités existantes. Par exemple ce pourrait être  par l’élection de représentants territoriaux élus au suffrage universel sur des listes composées sur la base de circonscriptions, calquées sur le découpage intercommunal.

En finir avec la fascination métropolitaine

A ce stade on ne peut faire l’impasse sur le fait métropolitain, qui semble avoir monopolisé la pensée en matière de territoire. C’est le syndrome de Shanghaï. Hors la métropole, de préférence millionnaire, point de salut. C’est la potion magique du développement. Celle qui permet d’émarger au système monde, de se sentir « in » face aux « out » de l’hors métropole. Hormis le fait que cette approche exclut plus de la moitié de la population, la reléguant dans la sphère des territoires en perdition et de l’économie résidentielle, c’est une aberration en matière de développement durable. La France ne se réduit pas à quelques métropoles millionnaires. La caractéristique de l’urbanisation européenne, c’est la constitution d’un fait urbain solide, disséminant sur le territoire un maillage serré d’agglomérations moyennes qui font la qualité de l’organisation du territoire dans le vieux continent. Face à la tentation hégémonique des grandes entités métropolitaines, la montée des pôles métropolitains et des aires urbaines constituées notamment autour des villes moyennes exprime la résistance d’un mouvement  porteur d’une nouvelle réflexion d’aménagement du territoire qui devrait se recomposer, certes pour partie autour des grandes métropoles – il n’est pas question d’en nier l’existence ni l’intérêt – mais dans un rapport plus équilibré avec des pôles de développement qui, bien que de taille plus modeste, n’en sont pas moins importants pour un développement durable du territoire et requièrent toute l’attention de l’Etat dans ses déclinaisons européennes, nationales et régionales.

Le risque métropolitain concerne aussi la gouvernance. Les tentations de l’amalgame – la fusion en une entité politico administrative unique des fonctions hier assumées par différents échelons – ne peuvent que conduire à une technocratisation accélérée de la gestion des affaires communes au moment où le fossé s’accroît entre la masse des citoyens et ceux qui, politiques ou administratifs, sont aux responsabilités. Là encore, une approche tenant mieux compte de la nécessaire implication du plus grand nombre dans la conduite des affaires collectives, sans perdre de vue le souci de l’efficacité, doit incliner à une plus grande prudence dans les simplifications en cours. La démocratie a un coût mais le prix à payer demain d’une trop grande désaffection citoyenne peut être très lourd. D’où l’intérêt de construire un édifice démocratique local qui conjugue subsidiarité et implication, autour de ces trois niveaux que sont la commune, l’intercommunalité et l’infrarégional.

Y a-t-il vraiment une exception parisienne?

En quoi cet édifice qui semble conçu par un provincial pour la province peut-il s’appliquer à l’agglomération parisienne ? Les fonctions (économie, habitat, déplacement) semblent si imbriquées dans ce vaste ensemble qu’il peut apparaître de bon sens qu’une gouvernance unifiée puisse mieux les organiser. Pourtant là aussi les caractéristiques concrètes d’une société complexe et riche viennent rappeler à la réalité toutes les constructions technocratiques. A Paris aussi s’intègrent des échelles diverses. Celle du quartier, celles des identités d’appartenance communale, celles des ensembles infra-régionaux. Comment faire fonctionner un PLU intercommunal à l’échelon du grand Paris ? Comment gérer par une administration unique des centaines de milliers de fonctionnaires territoriaux effectuant des centaines de métiers différents ? Comment impliquer les citoyens lorsqu’ils sont six millions d’habitants ? Pourquoi fusionner tout cela dans un ensemble unique, laissant le champ libre à une technocratie qui ne pourra fonctionner qu’au prix d’un renforcement de dispositifs et de procédures bureaucratisées. Alors que les éléments d’un puzzle intelligent et démocratique sont là. Les communes, quoiqu’on en pense, signifient encore quelque chose pour les citoyens et demeurent la brique de base de l’appartenance et d’un minimum de référence identitaire commune. L’intercommunalité, encore perfectible dans son organisation (mutualisation) et dans ses périmètres (intégration et étendue), fait la preuve de son efficacité à fédérer les énergies. L’objectif d’une jauge moyenne de 300 000 habitants semble en effet pertinent dans l’agglomération parisienne pour gérer intelligemment le foncier, l’essentiel des services de proximité, et plus largement les problématiques de développement local. Mais ces ensembles doivent conserver leur personnalité politique, financière et opérationnelle. Il serait aberrant de constituer la métropole parisienne en Léviathan au moment où les concepts de subsidiarité, de fédération des énergies, de coopération pluri-partenaires ont montré qu’ils permettaient d’apporter quelques réponses efficaces  à la crise de gouvernance – et de gouvernement – que nous traversons aujourd’hui.

La métropole du grand Paris est nécessaire, se substituant aux quatre départements du cœur de la région, mais fédérant quinze à vingt intercommunalités opérationnelles, elles-mêmes s’appuyant sur un terreau communal qui conserve sa légitimité citoyenne.

Une démarche à agenda variable

Là aussi il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. Reste posée la question des communes périphériques de première couronne, qui ne sont pas dans les périmètres administratifs des départements concernés directement par la métropole parisienne, mais qui, de toute évidence, participent du système aggloméré central. Leur intégration dans cet ensemble doit tenir compte des temporalités de l’agenda local. Un nouveau mandat commence. Si l’intégration du premier noyau des intercommunalités du Grand Paris peut se réaliser très rapidement à partir du moment où l’on respecte l’économie générale qui est décrite ci-dessus – intercommunalités, métropole, communes –, cette intégration des communes périphériques peut se faire dans un second temps, dans le cadre de l’affinement d’un projet métropolitain démontrant l’intérêt et l’inéluctabilité de la démarche. Peuvent être alors précisément définis, dans une démarche partagée, la partie de ces territoires qu’il est intelligent d’inclure dans la métropole, et celle qui doit participer d’une logique d’organisation des collectivités de la région Ile-de-France hors métropole, notamment par la  redéfinition à partir des départements existants de trois ou quatre grands espaces infra régionaux dans le cadre desquels pourrait être organisée la fédération de ces intercommunalités restant dans la deuxième couronne.

Cette question du tempo de la réforme est essentielle. Il est parfaitement compréhensible que le gouvernement veuille agir rapidement pour rompre avec le conservatisme qui a prévalu ces dernières années et a bloqué toute tentative d’évolution substantielle. Mais une fois marquées les intentions, il faut savoir apprécier là où les transformations doivent êtres accomplies dans un délai très court, et là où il faut laisser le temps aux acteurs de co-définir avec l’Etat les ajustements les meilleurs pour leurs territoires. Un autre exemple sera donné plus loin concernant la structuration du Nord Franche-Comté en pôle métropolitain et la volonté de fusionner à marche forcée la Bourgogne et la Franche-Comté.

DES REGIONS EN CAPACITE D’EXERCER LEURS MISSIONS STRATEGIQUES

Les régions : le besoin d’une taille critique pour assumer leur fonction étatique

On l’a déjà dit, les régions françaises accomplissent en fait des missions qui sont de nature étatique. Les compétences opérationnelles qu’elles sont amenées à exercer sont sectorielles : ferroviaire, lycées, formation professionnelle, apprentissage. Toutefois, dans chacun de ces domaines, l’administration régionale ne mène pas directement les actions sur le terrain. L’action concrète et la gestion des personnels sont déléguées à différents opérateurs : centres de formation d’apprentis, organismes de formation professionnelle, opérateurs ferroviaires… La seule exception à cette règle concerne les lycées. Cependant là aussi la région n’est responsable que des personnels liés à la logistique, laissant le soin à l’Education nationale de gérer l’ensemble des enseignants et des cadres administratifs.

L’essentiel de l’intervention régionale réside donc dans sa capacité à influer et accompagner les politiques locales par ses orientations stratégiques et leurs traductions budgétaires (interventions financières dans le domaine économique, financement de la formation, subventions…), contractuelles (CPER, contractualisations diverses avec les acteurs de terrain et notamment les intercommunalités et les départements) et réglementaires (à travers la multitude des schémas dont elle assure l’élaboration en partenariat avec l’Etat: SRAT, SRIT, SRDE, environnement…).

Il est frappant de constater que la culture de l’administration régionale se rapproche beaucoup plus de celle de l’administration centrale – dont sont d’ailleurs issus un grand nombre de hauts cadres administratifs régionaux –  que de l’administration locale (communes, intercommunalités, départements).

La région française c’est donc, en fait, de l’Etat. Cette institution s’apparente ainsi au niveau « méso » infranational qui est la norme d’organisation politico-administrative des grands pays européens. Ces entités intermédiaires entre le national et le local sont soit déjà constituées en Etats (les Länder allemands, l’Ecosse), en quasi Etats (les communautés autonomes espagnoles, les régions et les communautés belges) ou sont en voie de le devenir (les régions italiennes).

Deux éléments majeurs, identitaires et territoriaux, empêchent aujourd’hui qu’un nouveau pas soit franchi en France. La tradition française d’un état unitaire rend difficile la projection dans une organisation fédérative conciliant préservation d’un cadre unitaire républicain et mobilisation des spécificités territoriales pour libérer les énergies nécessaires au développement local. Par ailleurs, les périmètres de la plupart des 26 régions françaises, héritages d’une histoire complexe, sont trop étroits pour développer des stratégies économiques, de recherche, de formation et d’aménagement du territoire qui soient à la hauteur des enjeux auxquels nous devons faire face : désindustrialisation, métropolisation, vieillissement, défis environnementaux…

Sept grands ensembles régionaux

La proposition gouvernementale de réduction des régions part donc d’un postulat fondamentalement juste. Les régions françaises, hormis trois ou quatre d’entre elles, n’ont pas la taille critique pour prétendre assumer correctement le rôle qui devrait être le leur dans la mobilisation des territoires pour le développement. Mais la méthode est contestable. Plutôt que de partir d’une analyse partagée de la réalité du fonctionnement des territoires, et des grands ensembles à bâtir, la fusion proposée en bloc des régions telles qu’elles sont aujourd’hui constituées ne tient aucun compte des remodelages du territoire par la métropolisation (métropoles, pôles métropolitains) et par le maillage des pôles urbains secondaires et des zones rurales qui les entourent. Ces espaces fonctionnels dans lesquels les Français travaillent, vivent, circulent ne sont pas isomorphes des périmètres régionaux actuels. Les grands ensembles infra nationaux capables demain en France métropolitaine, aux côtés de l’Etat nation et de l’Europe, de prendre en charge la définition et le pilotage de stratégies concrètes de développement devraient être plutôt au nombre de six ou sept que les douze ou treize régions fusionnées annoncées : Ile de France, Grand Est, Grand Ouest, Nord Ouest, Sud Ouest, Rhône-Alpes/Auvergne, Sud des Alpes/Méditerranée. L’exemple de la Franche-Comté, que connaît bien l’auteur de cet article, illustre parfaitement cette problématique.

La Franche Comté et l’aire urbaine Belfort Montbéliard : un cas d’école

L’objectif de fusionner cette région avec la Bourgogne, annoncé à grands renforts de déclarations médiatiques, n’est pas à la hauteur des réaménagements institutionnels nécessaires de ce grand Est français durement touché par la crise. Le rapprochement de Besançon et de Dijon tombe sous le sens, encore que demeure la question de l’équilibre dynamique à maintenir entre ces deux pôles toutes deux aujourd’hui capitales régionales. Mais qu’ont à gagner Auxerre et Nevers d’un côté et surtout l’aire urbaine Belfort Montbéliard dans cette opération ? Le Nord Franche-Comté est une des principales plates-formes industrielles françaises après l’Ile-de-France. Ce territoire de près de 400 000 habitants partage avec le Haut-Rhin tout proche les premiers sites de production automobile du pays avec les usines Peugeot implantées à Sochaux et Mulhouse. Avec son Université de Technologie, son pôle de compétitivité « véhicule du futur » et sa vallée de l’énergie qui regroupe Alstom, Général Electric et de nombreux sous-traitants, il entretient beaucoup plus de relation avec l’Alsace et la Lorraine qu’avec la Bourgogne. 

Une réflexion prospective préparatoire à la révision du SRAD, baptisée Franche-Comté 2040 et menée par la région en 2012, avait démontré l’importance d’une insertion dans un vaste ensemble Grand Est, espace pertinent pour penser développement industriel, recherche, enseignement supérieur et grandes infrastructures avec le TGV Rhin-Rhône comme axe structurant. Plutôt qu’une fusion entre Franche-Comté et Bourgogne qui laisserait de côté la moitié des territoires régionaux actuels, pourquoi ne pas travailler à la constitution d’un vaste ensemble Grand Est capable de développer des grands projets porteurs d’avenir : filières industrielles autour des thèmes de l’énergie, de l’hydrogène et des transports ; maillage ferroviaire (fret et voyageurs), débouché sud de la Lorraine, passage ouest des Vosges ; grand canal Rhin-Rhône…?

Par ailleurs, au niveau infra régional à terme, en Franche-Comté, les quatre départements actuels devraient faire place à deux entités territoriales articulées autour des deux pôles métropolitains, celui constitué par le  grand Besançon avec Vesoul, Dole, Lons-le-Saunier et Pontarlier qui converse naturellement avec l’agglomération dijonnaise, et le pole métropolitain Belfort Montbéliard Héricourt dont le développement est lié à celui de Bâle Mulhouse et de la République et canton du Jura bénéficiant du boom horloger suisse. Les promoteurs de ce pôle métropolitain Nord Franche-Comté, qui ne demande aujourd’hui qu’à être validé par les nouvelles instances intercommunales sorties des urnes en mars dernier, ont identifié les grands projets structurants indispensables à la valorisation des atouts de ce territoire : constitution d’une agence de développement unique pour promouvoir les filières énergie et transports, soutien à la création de plates-formes de recherche liant universités et grands groupes industriels, ouverture en 2016 d’un  nouvel hôpital de 770 lits dans l’aire urbaine, réouverture d’une liaison ferroviaire avec la Suisse et mise en chantier de liaisons améliorées avec la Lorraine… Dans un terme qui dépendra de l’appropriation par les acteurs de ce processus, reste posée la question de la transformation des trois principales intercommunalités de Belfort, Montbéliard et Héricourt (1) qui constituent le cœur aggloméré urbain en une communauté urbaine fusionnée de 250 000 habitants. Les relations avec les communautés de communes environnantes regroupant 150 000 habitants, et qui devraient participer de la dynamique du pôle métropolitain, pourront se formaliser dans un ensemble infra régional reprenant dans une instance unique les compétences  des trois départements qui interviennent aujourd’hui sur ce territoire (2), créant ainsi un département du Nord Franche-Comté. On comprendra aisément dans un tel contexte le questionnement des élus et des acteurs engagés dans cette démarche face à la proposition d’une région fusionnée Bourgogne Franche-Comté qui les laisserait à la marge. Pour ce territoire, le chantier institutionnel annoncé doit être un véritable levier pour le développement et non pas une construction artificielle qui retardera d’autant les décisions nécessaires pour sortir de l’enlisement.

LES INSTRUMENTS DE L’ACTION PUBLIQUE : MAITRISE DE L’AGENDA, CO ELABORATION, PEREQUATION

Au-delà de la définition des territoires, ce sont également trois dimensions fondamentales de l’action publique qui sont interrogées par le calendrier gouvernemental : l’agenda de la réforme, les procédures de négociations entre les différentes échelles de mise en œuvre des politiques publiques et la mobilisation des ressources financières dans une période où se sont creusées les inégalités territoriales.

Contre la tyrannie de l’urgence, maîtriser le tempo

Le caractère alléchant d’une réforme institutionnelle, pour un gouvernement, c’est qu’elle donne l’illusion du mouvement, qu’elle peut séduire l’électorat qui n’en saisit pas forcément les enjeux mais qui sera prompt à applaudir ce qu’on lui présente comme une réduction de la bureaucratie, à moindre coût, du moins dans un premier temps. Le risque toutefois est de réveiller des lobbys puissants, de générer sur le terrain des mécontentements politiquement contre productifs comme en témoignent les réactions à la réforme de 2010. Le gouvernement d’alors  n’avait pas pu d’ailleurs faire adopter le projet initialement prévu : commune unique, métropoles et conseiller territorial.

Aujourd’hui, comme nous l’avons vu dans le cas de l’Ile-de-France ou de la Franche-Comté le gouvernement est placé devant le choix suivant : soit avancer à marche forcée, en décrétant ici ou là des fusions arbitraires de régions et la création en Ile-de-France d’une entité attrape-tout ingouvernable, soit adopter une démarche marquant tout à la fois des ruptures mais préservant le caractère incrémental de toute évolution co-élaborée.

Les ruptures, ce sont celles d’une modification substantielle du mode d’élection des conseils généraux avec une représentation fondée sur les intercommunalités, la prise en compte dans les contrats de plan Etat région en cours de discussion d’un volet interrégional préfigurant les recompositions futures des périmètres régionaux sur la base de grands enjeux partagés de développement, et la finalisation de la carte des intercommunalités en favorisant le regroupement des très petites communes et en n’octroyant pas automatiquement une voix à chacune d’entre elles au sein des assemblées mais les regroupant en collèges quand cela est nécessaire.

Co élaborer et contractualiser: la nécessité d’un grand débat sur l’aménagement du territoire

Mais cette réforme ne pourra être menée à bien que si elle procède d’un débat national approfondi sur la façon dont notre pays veut aménager son territoire  et structurer la subsidiarité des politiques publiques à conduire sur le terrain. Le mandat communal qui s’ouvre, avec la renégociation de l’ensemble de l’édifice contractuel : programmation des fonds structurels, contrats de plan état région, contrats de ville… offre une fenêtre d’opportunité exceptionnelle pour engager un débat à la fois national et local sur l’avenir de l’organisation des territoires, tenant compte à la fois des politiques d’innovation, de développement durable et de réduction des fractures territoriales qu’il faut conduire. La nouvelle Délégation à l’égalité des territoires devrait être le vecteur naturel d’un tel débat qui a fait cruellement défaut, tant dans la réforme de 2010 que dans celle de 2013. L’exercice prospectif effectué par la Datar, « Territoires 2040 », partait d’une bonne intention. Mais il est resté affaire d’expert. Une somme considérable d’études a été réalisée ces dernières années et les associations d’élus ne sont pas en reste (3) quant à la qualité de ces travaux qui restent cependant trop sectoriels et nourrissent insuffisamment un débat public qui n’est pas piloté.

Il est urgent de relancer une telle réflexion prospective, articulant analyse des grandes tendances à l’œuvre dans les bouleversements en cours avec la réflexion au plus près des terrains pour tenir compte des spécificités des territoires.

La péréquation, remède à l’inégalité croissante des territoires ?

Reste posée une question essentielle. De quelles ressources ce nouvel assemblage institutionnel peut il disposer dans le contexte d’une crise des finances publiques sans précédent. L’actuel système est à bout de souffle. Le dogme de l’autonomie fiscale des collectivités territoriales est mis à mal par deux phénomènes qui en sapent ses fondements : l’inégalité de production des richesses par les territoires et l’écart grandissant entre l’assiette des impôts ménages et la réalité des capacités contributives des personnes imposables. Les richesses des ménages comme celles des entreprises sont très inégalement réparties entre les régions et les effets de la redistribution par l’économie résidentielle et/ou par le développement des coopérations intercommunales ne comblent pas les profondes fractures qui se sont creusées dans les territoires. Par ailleurs la liberté pour les collectivités de fixer les taux de certains impôts est aujourd’hui largement illusoire et nombre d’élus savent bien qu’il leur est aujourd’hui impossible d’utiliser ce levier au risque d’une jacquerie citoyenne. Le problème est d’autant plus complexe que la réforme de la fiscalité locale ne peut être qu’une composante de la réforme fiscale plus globale tant annoncée mais aussi tant de fois repoussée. Car il faut changer de paradigme. Dans un monde profondément inégalitaire, seul un système de péréquation généralisée, à l’instar de ce qui se passe dans certains pays d’Europe du nord peut redonner à l’impôt sa légitimité et son efficacité. Cela passe par une péréquation verticale, dans une répartition négociée entre l’Etat et les collectivités lors d’une conférence des finances locales tri-annuelle (4) qui définirait également les péréquations horizontales indispensables pour donner à chaque collectivité les moyens de répondre aux besoins de leurs populations. Ce système n’est pas révolutionnaire. Il fonctionne en Allemagne où le Bundesrat joue un rôle essentiel dans la mise en œuvre de la régulation entre Bund et Länder. Le fonds de péréquation intercommunal (FPIC) instauré à l’occasion de la suppression de la taxe professionnelle en France et la définition encore perfectible des critères qui ont été conçus à cette occasion préfigurent cette péréquation, qui, bien plus qu’une hypothétique et très compliquée révision des valeurs locatives, permet de façon durable de remettre la fiscalité locale sur les rails.

Nous sommes aujourd’hui à un tournant. Selon la méthode choisie, soit le gouvernement engagera enfin le grand chantier  d’aménagement durable du territoire des prochaines décennies, saisissant l’occasion historique qui lui est offerte d’adapter nos institutions aux formidables mutations en cours, soit le débat s’enlisera dans des réformettes formelles, conjoncturelles et se résumera à un jeu de construction institutionnel à courte vue, ne faisant que repousser les nécessaires évolutions au risque de défaire encore un peu plus un édifice collectif extrêmement fragile, ouvrant la voie à toutes les aventures et à un avenir des plus sombres.

Etienne Butzbach, ancien maire de Belfort, président de la Communauté d’agglomération belfortaine, ancien vice-président de la région de Franche-Comté, président du syndicat mixte de l’aire urbaine Belfort Montbéliard Héricourt.

(1) Communauté d’agglomération Belfortaine (CAB), Pays de Montbéliard Agglomération (PMA), Communautés de communes du Pays d’Héricourt (CCPH)

(2) Le Territoire de Belfort, une partie du Doubs et de la Haute-Saône.

(3) Cf notamment les nombreuses études réalisées par l’Association des Communautés de France, sans doute une des plus productives en la matière.

(4) Le Haut conseil des territoires tel qu’il avait été prévu dans le projet de loi de 2013 pourrait être également le lieu démocratique d’élaboration d’un tel pacte fiscal entre Etat et collectivités territoriales.

Bibliographie

Association Des Communautés de France (ADCF). Travaux et publications de l’ADCF, notamment Les agglomérations et leur territoire, dix ans de dynamiques socio-économiques (septembre 2011), et le dossier spécial Décentralisation et réforme de l’action publique (2014). 

Datar. Travaux et publications de la Datar : Territoires 2040, Territoires en mouvements.

Sénat. Yves Krattinger, Des territoires responsables pour une République efficace (octobre 2013).

Syndicat mixte de l’aire urbaine Belfort Montbéliard (SMAU). Projet de pôle métropolitain Belfort, Montbéliard, Héricourt (automne 2013).

Daniel Béhar,  Les métropoles contre l’égalité des territoires in Pouvoirs Locaux n°98 III/3013

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