PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

avec Jacques Guyard (ancien ministre et député-maire d’Evry)
à propos de son ouvrage aux éditions Espace sud.
« Evry, ville nouvelle, 1960-2003, la troisième banlieue »

Les questions ont été posées pour Prisme, par Didier Bargas, Yves Neuville et Jean Roucou.

Quel est l’objectif de votre ouvrage ?

JG : Ce livre est une réflexion sur l’évolution de la banlieue depuis 30 ans. évry, comme les autres villes nouvelles d’ÃŽle-de-France, illustre la troisième génération de la banlieue parisienne. Je me suis consacré pendant vingt-cinq ans, de 1977 à 2002, à évry et aux villes nouvelles et j’ai souhaité mener une réflexion sur la question suivante : « Pourquoi, partant d’un projet positif, celui de créer de vraies villes avec une réelle qualité de vie et l’assurance de nouveaux emplois, l’histoire se répète dans ses difficultés sociales et économiques? »

En quoi vos compétences de professeur agrégé d’histoire vous ont-elles servi ?

JG : J’ai fait un travail sérieux de recherches historiques et d’archives. On n’écrit pas l’histoire avec ses seuls souvenirs et ce livre doit beaucoup aux archives et aux acteurs des trois décennies écoulées.

L’histoire d’une ville nouvelle c’est déjà un flux migratoire important ?

JG : évry a, bien sûr, dû faire face aux mouvements qui touchent à l’époque toute la France, à savoir une natalité forte, le retour des Pieds-noirs des pays du Maghreb, une immigration importante et un exode rural massif.
La nature de l’immigration a d’ailleurs changé au cours des années, d’abord maghrébine elle est venue ensuite d’Asie, d’Afrique noire puis d’Europe de l’Est.

Cette immigration a représenté 150.000 habitants /an de plus pendant plus de 10 ans en ÃŽle-de-France et les habitants venaient de partout : 1/3 de banlieue, 1/3 de province, 1/3 au-delà du territoire.
Parallèlement, on note une baisse de la population parisienne sur ces mêmes 10 ans, population de Paris intra-muros qui passe de 2.800.000 à 2.000.000 habitants.

En ce qui concerne évry plus particulièrement, la ville passe de 10.000 à 80.000 habitants en 20 ans, avec, grossi comme sous une loupe, les problèmes des banlieues. Le souci immédiat par rapport aux nouveaux arrivants est alors de « faire société. » Et ce n’est pas toujours simple lorsqu’on se trouve confronté à des mœurs ne sont pas les mêmes et que des lois françaises confortent parfois. Il faut savoir qu’il y a, par exemple, 8.000 répudiations par an validées par la justice française en vertu de l’accord France/Maroc signé par J. Chirac.

Parmi les membres des quatre conseils municipaux que j’ai eu à présider, il y a eu un habitant né à évry dans le dernier seulement.

Quelles ont été vos priorités en matière éducative ?

JG : La priorité de notre investissement, a été l’école mais d’abord la petite enfance. Nous avons créé des crèches (1 place pour 80 habitants), des postes d’assistantes maternelles, des formations pour les nourrices non agrées. Car ces éléments sont apparus comme les plus importants pour « faire société. », surtout quand la population est faite de jeunes couples avec de jeunes enfants.

Les contrats établis avec les différentes écoles avaient pour objectif de faire venir les parents dans l’école, d’encourager les fêtes scolaires, les sorties familiales…pour atteindre une véritable gratuité scolaire. Cela nous a conduit dès 1977 à donner plus aux écoles accueillant les élèves les plus en difficulté.
Nous expérimentions la territorialisation !

Jusqu’en 1990, les problèmes n’étaient pas de sécurité, ni de laïcité mais d’acculturation (polygamie, par exemple) Et la position de la société française n’a pas été claire sur ce point en acceptant, sans la moindre observation, de payer les allocations familiales de tous les enfants de familles polygames ou lorsque les services sociaux paient les loyers en retard de familles d’enfants délinquants, simplement par manque de communication entre les services sociaux et les autres services publics.

La représentation de l’état n’était pas aisée : le Préfet présidait théoriquement 342 réunions par an. En son absence, les chefs de service désignés ne faisaient pas autorité. Et le maire, dans ces cas là, n’est pas légitime.
L’état n’est pas structuré pour conduire une action globale.. Il y a donc nécessité de transférer certaines de ces missions au niveau des citoyens.

Quel rapprochement faites-vous entre les actions éducatives et l’habitat social des quartiers?

JG : Le prix du mètre carré baisse de gare en gare sur la ligne de la gare de Lyon à Corbeil- Essonne : la centrifugeuse sociale joue.
L’augmentation du nombre de propriétaires (55%) en ÃŽle-de-France est liée au développement des aides à l’accession à la propriété.
Dans les villes nouvelles, la mise en place des copropriétés collectives pour personnes aux revenus très modestes a été un désastre ! Bien pire que le collectif social car ceux qui paient détestent ceux qui ne paient pas les charges. Les pouvoirs publics sont désarmés.

Il y a donc plus d’argent à mettre sur les copropriétés dégradées que sur les offices d’HLM.

JG : Oui et cette dégradation s’accompagne d’une dégradation de la vie sociale.
On parle beaucoup de mixité sociale mais le problème est que personne n’en veut.

La dégradation des quartiers et celle du logement sont-ils des éléments déterminants ?

JG : Tout à fait, et ils l’emportent dans la durée.

Concrètement, quelles formes ont pu prendre les difficultés en matière éducatives ?

JG : Evry bénéficiait d’un grand collège de bon niveau réunissant toute sorte de population, donc équilibré. L’augmentation de la population a nécessité la création des deux nouveaux collèges. En deux ans, ce collège devint un collège de ZEP tout en gardant son équipe de professeurs. Cette équipe a mobilisé tous les outils à sa disposition et une aide spécifique de la ville (aide aux devoirs, classes européennes…) et sur cinq ans, le niveau du collège n’a pas baissé mais l’usure de l’équipe, la pression, l’absence des parents…risquent de s’imposer si la mixité sociale ne revient pas.
Sur l’instant, on n’est pas démuni et on garde de bons élèves par les filières d’exception, ce qui permet aussi de garder de bons professeurs ; mais le social est plus fort.

Et la mixité sociale ne fonctionne pas.

JG : On vit sur une image de la ville qui est fausse. La demande aujourd’hui est l’individualité, l’autonomie.

Peut-on dire qu’il y a eu communautarisation ?

JG : Un peu, oui, dans les quartiers les plus dégradés.

Et qu’était-il possible de faire par rapport à l’éducation ?

JG : C’est par le volontarisme d’un autre découpage scolaire et la création de lieux de mixité sociale tels que les commerces, la vie sociale, la vie sportive que l’on organise les contacts entre les familles.

On voit que l’AFEV n’y arrive plus et se heurte à un refus des familles.

JG : C’est effectivement un problème que d’aller chercher les familles. On ne peut plus se contenter de les inviter à venir à l’école.

La question de la mixité sociale par rapport à la mixité scolaire est essentielle. Il y a des moyens pour rétablir une certaine mixité sociale, des stratégies scolaires. La difficulté survient quand un processus de dégradation s’amorce. Il est difficile alors de l’enrayer. Les temps ne sont pas les mêmes pour les urbanistes, le personnel éducatif, les élus.

JG : Et l’image créée est difficile à changer. L’école privée accueille de plus en plus de familles musulmanes bien intégrées.
Il faut une forte stratégie commune pour jouer sur l’articulation mixité sociale/mixité scolaire. L’alternance est redoutable dans ces cas. La tentation est forte pour accepter les demandes de dérogation et, personnellement, j’ai du répondre jusqu’à 1500 demandes de dérogation par an. Il faut un front état/Ecole pour une stratégie sur 15 ou 20 ans.

Les élus ont donné l’impression que l’école était un service comme un autre. Ils n’ont pas de projet politique et social fort ?

JG : Alors que là-dessus on fait de la politique. C’est la qualité de l’école qui amène les familles stables et bien intégrées à rester dans les quartiers menacés.

¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤

Et Jean Roucou de conclure que Prisme doit travailler sur ces thèmes-là pour élaborer des outils, questionnement et conducteurs de travail d’animation /formation à proposer aux élus municipaux.

Notre université d’été pourrait porter sur la mixité sociale/mixité scolaire : les stratégies communes.
C’est un dossier sur lequel PRISME peut être levier.

Print Friendly

Répondre