PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Résultats et analyse d’une enquête sur les rythmes de vie de 982 élèves de cours moyen deuxième année du département de la Somme
Réalisée par la Jeunesse au plein air et l’observatoire régional de santé de Picardie

Actes du carrefour sur les rythmes de vie de l’enfant
Organisé par l’observatoire régional de santé de Picardie

Préface de François Testu, professeur à l’université François-Rabelais de Tours

Conclusion

Philippe Lorenzo, Yves Doazan, Alain Trugeon

IL N’EST DE RYTHME sans temps, sans notion de temps et sans comptabilisation du temps. Notre société post-industrielle, de communication, de loisir, urbaine – comme on voudra la qualifier – s’affirme en inscrivant à sa façon des rythmes de vie tant dans
l’espace que dans le temps. Rythmes de vie, rythmes à vivre, c’est à travers ce dilemme posé par l’évolution de la société, qu’en dernier lieu nous sommes à notre tour entrés, quittant les avant-postes de la chronobiologie ou de la chronopsychologie pour nous avancer vers ceux de la sociologie.
Au fil des pages qui précèdent, une chose nous apparaît maintenant clairement : le temps ne nous appartient pas, nous cheminons, de l’adulte à l’enfant, dans un temps façonné d’avance répondant à des impératifs qui semblent nous échapper et dont il n’est pas le lieu ici de chercher les causes. La socialisation, qu’elle passe par la famille, l’école, les loisirs ou autres, adapte les individus dans ce temps compté et rythmé. Si, décrit ainsi, ce temps semble exogène, c’est qu’il est vrai que l’environnement humain paraît vouloir se passer – à tout jamais ? – de l’attache biologique, faisant comme si l’on voulait passer notre animalité à la trappe. Mais la lutte existe.
Les corps fatigués se traînant sur les bancs de l’école le lundi matin témoignent de la rupture de rythme hebdomadaire ; la fatigue matinale, d’autant plus importante qu’elle est urbaine, porte souvent les traces d’un sommeil peu réparateur, d’un mauvais réveil, d’un trajet trop long. Faut-il alors que la biologie se plie à l’environnement ou l’environnement doit-il respecter la biologie? Faut-il alléger le temps scolaire?
Commencer moins tôt pour finir moins tard ? Les questions, sans réponses pour l’instant, méritent d’être posées, au moins pour compenser les inégalités physiologiques des individus et permettre à tous une qualité d’apprentissage. Et comme tous ne sont pas égaux devant cette négation du biologique, il devient impératif de ne plus parler de temps qu’au pluriel et d’adopter des solutions, si solutions il y a, à même d’être intégrées par l’ensemble des enfants, au lieu de vouloir fixer normes et conduites.
Cependant, même si le temps nous dépasse, ce n’est pas pour autant qu’il est sans prise et qu’il ne souffre pas de maîtrises différentes selon les groupes sociaux ; le problème qui se pose alors est que le temps n’est non plus un rythme à suivre, mais un rythme qu’on impose. Ainsi, la structuration de temps en contraintes imposées rejoint l’idée « bourdieusienne » de distinction. Remplir le temps libre, remplir le « vide» ne serait pas tant vouloir être actif partout que de vouloir se distinguer des autres.
Dormir moins en ville qu’à la campagne, y faire plus d’activités, pourraient se comprendre de la sorte: volonté inconsciente d’un peuple à se vouloir sortir d’une ruralité séculaire.
L’autre distinction concernant le dé-marquage des groupes sociaux – ou classes sociales – se laisse plus facilement appréhender, ne serait-ce que parce qu’il est presque apprivoisé. Les enfants des cadres supérieurs ou professions libérales font jusqu’à deux fois plus d’activités que ceux de parents ouvriers ou agriculteurs. Pourrait-on parler à propos des premiers d’une consommation ostentatoire de loisirs comme l’a fait Veblen il y a près d’un siècle ?
Réduire le temps scolaire en partant de la journée peut apporter une moins grande fatigue des enfants et un meilleur apprentissage. Mais cet aménagement ne permettra-t-il pas aussi, et par compensation, l’accroissement des activités de loisirs des enfants qui, déjà, les pratiquent. Justes suppositions …
Bien évidemment, lorsque nous disons cela, notre propos est de d’ordre comparatif et non évaluatif. Il est le propre de notre travail, justement, que de se proposer point de départ d’une évaluation à venir. Autrement dit, si nous parlons d’une inégalité, nous ne  pouvons en définir l’évolution. Croît-elle ? Régresse-t-elle ? Stagne-t-elle ?
L’importance de ces questions réside, on l’aura deviné, dans les conclusions à apporter à cette (ces) inégalité(s) observée(s), tant celle(s)-là est (sont) contingente(s) " de celle(s)-ci, tout comme elle(s) l’est (le sont) d’un projet de société. Ainsi, avons-nous
mis en évidence les conséquences d’une action de rapprochement des divers milieux sociaux ou les stigmates d’un fossé allant se creusant entre eux ?
Une réponse toute partielle peut être apportée. Diverses opérations mises en place par les pouvoirs publics ou les collectivités locales affichent la volonté de passer outre les milieux sociaux pour faciliter à l’ensemble de la communauté – aussi grande soit-
elle – l’accès au domaine des loisirs. Mais si nous nous tournons vers l’environnement socio-économique, tous les indices supputent l’élargissement grandissant du fossé.
Il n’est pas simple de répondre aux questions, d’autant moins simple, et nous l’avons vu tout au long de ce travail, que «tout se tient» : la durée du sommeil, les heures de lever-coucher, la fatigue, l’habitat rural ou urbain, l’âge, le sexe, profession des parents, tout semble fonctionner en symbiose, semble former système.
Toucher à l’un des points revient à tout remettre en cause, à bouleverser l’ensemble du système et les répercussions ne nous apparaissent pas clairement. Mais ces temps aménagés, tels que nous les avons décrits, ressemblent encore à un empilement
«disparate» d’activités, sans réels liens les unes avec les autres, si ce n’est l’enfant lui-même. Peut-être est-ce en prenant conscience qu’un empilement, si savant soit-il n’est pas une structure organisée, que l’on pourra commencer à prendre le rythme des enfants.

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