PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Etudes coordonnées par Daniel Cohen.

Sommaire :

Préface, par Marcel Boiteux

Introduction, par Daniel Cohen

1. Une jeunesse difficile en panne d’avenir, par Christian Baudelot et Roger Establet

2. Ecole, salaire, emploi
Démocratisation du secondaire et inégalités salariales :
L’expansion éducative d’après-guerre par Marc Gurgand et Eric Maurin

Expansion scolaire et insertion professionnelle : une évaluation de l’ouverture du lycée depuis le début des années 1980, par Dominique Goux et Cyril Nouveau

3. Solidarités publiques et familiales, par Luc Arrondel et André Masson

Ages et générations : synergies ou antagonismes
Quelles priorités pour les transferts publics entre les âges ?

4. Mode de vie et santé des jeunes, par Fabrice Etilé

Pour tracer le portrait économique et social de la jeunesse contemporaine, il n’est pas inutile de rappeler ce que furent ses modèles antérieurs. Deux modèles sociaux d’entrée dans la vie ont longtemps distingué d’un côté une jeunesse étudiante et bourgeoise et de l’autre une mise au travail précoce qui était la norme parmi les classes populaires 1 .
Le premier modèle se traduisait pour les garçons par une période plus ou moins longue entre la fin du lycée et l’accès à une profession, meublée d’études, de rencontres, d’expériences amoureuses et de loisirs financés par la famille. Le mariage et l’accès à une profession stable venaient mettre un terme à cette période de jeunesse.

Jeunesse dont les membres masculins des classes populaires se trouvaient privés : pour eux, le service militaire marquait une césure définitive avec la vie adolescente. La fin du service, le mariage et la prise d’un emploi définitif se succédaient en quelques mois.

S’ils n’étaient pas symétriques, ces deux modèles de passage à la vie adulte ne manquaient pas de se compenser. Privés d’une formation longue et des plaisirs de la jeunesse estudiantine, les jeunes de milieu populaire accédaient plus vite à un statut d’adulte de plein droit et à la maturité sociale et psychologique qui en découlait. Leur statut de travailleur leur permettait de ne plus dépendre de leur famille d’origine et d’accéder aux responsabilités de chef de famille.Ce qu’ils perdaient en salaire et en formation, ils le gagnaient en expérience et en maturité.

La crise de l’emploi a porté un coup mortel au modèle ouvrier de passage à l’âge adulte où il importait d’abord que, le plus tôt possible, le jeune ait un bon métier, puisse gagner sa vie et fonder une famille. Du fait de la précarité, nouvelle de l’accès à l’emploi, les jeunes ouvriers sont désormais dépendants de leur famille d’origine, ce qui les place en porte à faux à la fois vis-à-vis des modèles traditionnels et des tendances individualistes de la société moderne.

La démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur est le second trait qui bouleversera la signification d’ »une entrée précoce dans la vie professionnelle. Pour ne prendre qu’un exemple, en 1969, 57% des emplois de cadres supérieurs sont occupés par des titulaires de licence (au moins).
Cela signifie que 43% d’entre eux ne disposent pas de ce bagage : une véritable promotion est possible, pour les jeunes issus des milieux populaires et non diplômés. Aujourd’hui, 75% des emplois de cadres supérieurs sont occupés par des licenciés : la part de la promotion interne devient beaucoup plus difficile, l’accès à un diplôme de l’enseignement supérieur tend à devenir une condition sine qua none de la promotion sociale ;

Pour les jeunes diplômés, les « jeunes bourgeois » d’hier, la situation n’est pas moins rude. Le diplôme rendait alors quasi automatique l’accès à un emploi de cadre, aujourd’hui seuls 48% des emplois non qualifiés sont effectués par des sans diplôme, contre 83% hier.

Ces données jettent une lumière crue sur la nature des profondes transformations intervenues au cours des trente dernières années.
A la fin des années 1960, tout le monde y trouvait son compte : les diplômés parce que leurs titres de l’enseignement supérieur leur assurant à 30 ans un statut de cadres près (ou plus) de huit fois sur dix. Les non-diplômés parce que loin d˜être saturées par les diplômés frais émoulus de leurs écoles, les catégories de cadres, moyens et supérieurs, leur étaient encore largement ouvertes et accessibles. Ce petit moment de bonheur partagé faisait la part belle à la méritocratie scolaire tout en favorisant la promotion interne acquise sur fond d’expérience.

1. A.Prost, « Jeunesse et société dans le France de l’entre-deux-guerres », in Education,société et politiques, Paris, le Seuil,1992

Les relations entre diplômes et emplois sont désormais beaucoup plus tendues. Sans diplôme correspondant au niveau du poste, les chances d’accès tendent désormais vers zéro. Rien n’interdit de penser que ceux qui, hier, auraient profité de la promotion encoure ouverte aux non-diplômés sont ceux-là mêmes qui ont profité aujourd’hui de la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur.
Selon cette interprétation, la période récente n’a pas détérioré les règles de promotion sociale des ouvriers, mais en a seulement changé superficiellement la forme.

Une autre interprétation, plus pessimiste, fait valoir que ce n’est pas la même chose de savoir dès l’âge de 20 ans si l’on aura accès à la promotion ouverte de diplômés, ou si l’on est immédiatement exclu. Le « voile de l’ignorance » sur son propre destin est un élément qui donne espoir. S’il est levé trop tôt, le désespoir naît même s’il masque l’illusion d’une promotion qui ne viendra pas.

Quelle que soit l’interprétation que l’on voudra donner de cette évolution, les effets éventuellement pervers de la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur ne doivent pourtant pas conduire à jeter le bébé avec l’eau du bain.

[http://www.cepremap.ens.fr/depot/opus/OPUS6.pdf->http://www.cepremap.ens.fr/depot/opus/OPUS6.pdf]

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Categories: 4.2 Société

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