PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Depuis une bonne vingtaine d’années, on assiste à un glissement progressif du centre de gravité du système éducatif, traditionnellement fort centralisé, du sommet (le ministère et l’administration centrale) vers la périphérie (les académies et les établissements scolaires). Ce glissement s’opère par étapes, génère des tensions, mais apparaît inéluctable; il entraîne d’importantes conséquences sur le mode de pilotage du système et , en particulier, sur son insertion dans le tissu local. I Décentralisation et déconcentration du système éducatif Trois raisons essentielles expliquent que le système éducatif se décentralise et se déconcentre. Certaines sont propres à l’Education nationale, d’autres sont générales et trouvent leur source dans des modifications du paysage administratif de notre pays. 1°/ L’évolution du public scolaire L’évolution du public scolaire oblige à passer d’une gestion uniforme à une gestion différenciée, "sur mesure". -évolution quantitative: l’explosion du nombre des élèves des lycées du début des années 1980 (400.000 élèves supplémentaires) (cf: 80% d’une classe d’âge au niveau du bac) , s’ajoutant aux vagues antérieures, conduit au gigantisme du système (12 millions d’élèves, 2 millions d’étudiants, 1.300.000 agents).Impossibilité de gérer tout cela du sommet. -évolution qualitative: la nature même du public scolaire change. On assiste d’une part à un creusement des différences (voire des inégalités) entre établissements en fonction des caractéristiques de leurs élèves, d’autre part à un décalage entre la culture d’une partie grandissante des élèves et la culture scolaire dispensée par le système, générant des difficultés d’adaptation plus ou moins profondes. D’où la nécessité de traiter différemment les établissements et les élèves, de donner des marges de liberté locale pour adapter l’enseignement, trouver les voies de réussite des élèves. Renvoi des solutions au niveau local, élargissement de l’autonomie des établissements; les élèves sont de plus en plus "au centre" du système éducatif. 2°/ Les modifications du paysage institutionnel: l’administration territoriale La décentralisation territoriale poursuit sa marche. Acte I 1982-1986: l’Education nationale n’échappe pas au mouvement général qui atteint l’ensemble du pays et des administrations. Avec quelques originalités: pour l’enseignement, il y a alliance entre trois éléments: -décentralisation territoriale : planification (schémas prévisionnels, puis PRDF), investissement et entretien des lycées et collèges ("le gîte et le couvert"). Succès incontestable. En outre, les collectivités ont pesé sur les conditions d’enseignement (ex: centres de documentation) et résolus des problèmes (informatisation, manuels scolaires). -décentralisation fonctionnelle: lycées et collèges deviennent des EPLE, avec certaines marges d’autonomie. Succès mitigé: réflexes centralisateurs restent profonds tant dans l’administration que chez les personnels (et en particulier dans les organisations syndicales), les établissements peinent donc à exercer réellement leurs responsabilités en dépit d’efforts pour leur donner de nouvelles libertés pédagogiques (TPE, ECJS, IDD, soutien, etc…). -déconcentration: échelon académique (régional) apte à accueillir les transferts de compétences. Déconcentration exemplaire: ensemble de la carte scolaire (totalité de l’offre de formation 1° et second degré y compris BTS, à la seule exception des Classes préparatoires aux grandes écoles); moyens en personnels (enveloppes globales dont la répartition est entièrement déconcentrée). Plus lent: la gestion des personnels (résistance syndicale), qui progresse tout de même. Acte II 2003-2004: deux évolutions fondamentales se répercutent naturellement sur l’éducation nationale: -l’intercommunalité: loi de 1989. Centre de gravité passe peu à peu à la "communauté". La question du mode d’élection des instances communautaires est posé (élection au suffrage universel direct?). Incidence probable sur l’école "communale": mise en réseau dans le cadre intercommunal? Création d’EPLE ? La loi de décentralisation de 2004 ouvre la possibilité de créer à titre expérimental des établissements publics d’enseignement primaire (art.86). Un changement culturel profond s’annonce.. -la montée en puissance des régions: très rapide actuellement (modification du mode de scrutin: légitimité et poids politiques; "modèle" européen en marche?). D’où volonté des régions de "co-pilotage" de la carte des formations inscrit désormais dans la loi de décentralisation. Compromis sur les personnels d’entretien des EPLE (TOS): transferts de gestion aux régions et aux départements. Une convention liera les collectivités locales à chaque EPLE pour définir le volume et les missions de ces personnels.A noter aussi le décret récent sur les préfets: pour la première fois, un préfet "de région" ayant autorité sur les préfets de départements apparaît. Dans cet acte II, on parle peu de décentralisation fonctionnelle en direction des EPLE. Mais une loi de 2003 leur donne compétence pour recruter et gérer les assistants d’éducation (qui remplacent les surveillants et aides éducateurs) : pour la 1° fois dans l’éducation nationale, des agents publics sont "décentralisés" au niveau des EPLE. De même, on évoque peu la déconcentration, mais celle-ci se poursuit à pas comptés sur les opérations de gestion des personnels (définition du profilage de certains postes dans les établissements difficiles, passage à la hors classe des certifiés transférés aux académies). 3°/ La crise de l’Etat: On assiste à un affaiblissement progressif de l’Etat, qui tend à s’effacer devant d’autres pouvoirs et à ne plus exercer son autorité. Différentes raisons: -le périmètre de l’Etat se restreint: décentralisation ; construction de l’Europe -une idéologie libérale (moins d’Etat et de règles, plus d’initiative privée et de concurrence) tend à s’imposer au niveau européen comme au niveau national; -l’Etat s’avère incapable de définir des politiques claires et de les imposer: exemple- type de l’Education nationale face aux corporatismes et aux syndicats. A ces sources d’affaiblissement s’ajoute une paupérisation croissante : la contrainte financière pèse fortement sur l’Etat. Recherche d’un "réforme de l’Etat"? Celle-ci passe par une nouvelle organisation de l’Etat, plus déconcentré , plus décentralisé. II De nouveaux modes de pilotage et d’insertion dans le tissu local Les méthodes traditionnelles de fonctionnement se révèlent de plus en plus inadaptées. Elles laissent place peu à peu de nouvelles méthodes, sans que les anciennes aient totalement disparu. 1°/ Le changement de nature des responsables Au cours du XX° siècle , le fonctionnement du système éducatif a tendu à se spécialiser en deux pôles quasiment cloisonnés l’un par rapport à l’autre. D’un côté, l’administration de l’éducation polarisée sur les questions matérielles ("le gîte et le couvert") et d’organisation ; de l’autre, la pédagogie et la gestion des enseignants considérées comme des affaires réservées aux corps d’inspection (et en particulier à l’Inspection générale) et aux enseignants eux-mêmes. Cette tendance reste encore fortement ancrée dans la culture du système, même si elle a d’abord été ébranlée dans les années 1960/1970 avec la croissance du nombre des enseignants (leur gestion devient administrative) puis surtout bouleversée avec la décentralisation, la déconcentration et l’autonomie mises en place dans les années 1980. Avec celles-ci en effet, les fonctions des responsables administratifs (recteurs, inspecteurs d’académie, chefs d’établissement) changent de nature: leur champ traditionnel ("le gîte et le couvert") passe aux collectivités locales, tandis que par déconcentration celui-ci s’ouvre à la fois aux questions pédagogiques, administratives et financières. Les responsables sont désormais à la croisée de l’administration et de la pédagogie et l’on attend d’eux qu’ils soient les porteurs d’objectifs pédagogiques et éducatifs, mobilisant à cette fin les moyens administratifs et financiers dont ils disposent, faisant travailler en convergence tous les personnels, administratifs et pédagogues. En somme: à la fois pédagogues et administratifs. Parallèlement, leurs marges de liberté font d’eux, non plus des rouages chargés essentiellement d’appliquer des directives venues d’en haut, mais des pilotes élaborant et conduisant des politiques d’académie ou d’établissement. Une vraie révolution qui n’a certes pas encore imprégné tous les esprits! En particulier, les enseignants contestent encore souvent la légitimité des responsables (même issus de leur corps) à assumer les questions pédagogiques; ils craignent une autorité proche, nécessairement plus attentive et efficace qu’une autorité lointaine et impotente… 2°/Le bouleversement des modes de pilotage Les modes traditionnels de fonctionnement du système éducatif sont bien connus: hiérarchiques et de haut en bas, s’exprimant sous la forme d’actes de puissance publique unilatéraux, empruntant la voie du règlement et de la circulaire. L’indépendance par rapport aux pouvoirs locaux (préfet et élus) est aussi une caractéristique traditionnelle du système…Ce système perdure encore, mais son efficacité n’est plus garantie, loin de là! Si l’on souhaite que l’Education demeure nationale, sans être uniforme pour mieux répondre aux besoins de ses usagers, un nouveau mode de "pilotage" (le terme en soi est significatif), accompagné de nouvelles relations avec l’environnement local, est indispensable. Il s’installe peu à peu, coexistant ou se substituant au précédent, et prend différents formes: –pilotage par objectifs: soit au niveau national, l’Etat se recentrant sur des fonctions stratégiques (ex: objectif:80% d’une classe d’âge au niveau du bac) au détriment des fonctions de gestion. Soit au niveau local, les unités du système se mobilisent autour de projets: les projets d’établissement (généralisés en 1989); les projets d’académie (depuis 1998). Le bilan est mitigé, faute assez souvent d’un vrai travail de diagnostic partagé avec l’ensemble de la communauté éducative et de mobilisation sur des axes de progrès. –pilotage par contrat: le ministère de l’Education nationale s’est lancé depuis longtemps dans une politique de contractualisation avec les Universités et, depuis 1998, avec les académies. Les académies elles-mêmes s’engagent dans cette voie, dans leurs relations avec les établissements scolaires: on peut penser que dans quelques années, ce mouvement aura gagné toutes les académies. De leur côté, les collectivités locales ont une large expérience de contractualisation à propos de l’éducation, notamment dans l’enseignement primaire (contrats éducatifs locaux). On peut penser que de nouveaux contrats vont apparaître et se généraliser rapidement dans le second degré, associant les trois partenaires (Etat, collectivité locale, établissement), qui concourent ensemble à la réalisation des objectifs des établissements scolaires. – partenariat: plus que jamais, les services académiques et les établissements scolaires travaillent et travailleront en partenariat avec les institutions locales. Une multitude de liens sont déjà noués. Des politiques interministérielles (Ville, etc.) impliquent aussi désormais une étroite collaboration de l’éducation nationale et des autres départements ministériels. –pilotage de proximité: la cohérence du service public nécessite des possibilités d’échanges et de mutualisation à un niveau proche de celui des établissements. La plupart des académies ont cherché à dessiner des "bassins de formation", dont les noms, les fonctions et l’organisation sont très variables, à la satisfaction des acteurs; dans un cas au moins, la collectivité régionale est associée aux réunions de bassin portant sur les lycées. –pilotage par évaluation: dans un système de plus en plus décentralisé et déconcentré, l’évaluation des résultats atteints constitue un facteur de progrès et de cohésion. Les Inspections générales effectuent depuis quelques années des évaluations de l’enseignement dans les académies (4 ou 5 par an; elles sont publiées), tandis que les corps territoriaux d’inspection font de plus en plus fréquemment des "audits" d’établissements scolaires, qui prennent des formes variées. Il s’agit dans ces cas d’analyser les performances des académies ou des établissements, de leur renvoyer les résultats de leur travail, de leur faire confiance pour en tirer les conclusions. Ce nouveau mode de pilotage va prendre de l’ampleur et peut-être une autre signification dans les prochaines années: d’une part, les instruments d’analyse des résultats se sont affinés, d’autre part l’idée même de pilotage par les résultats -qui pose bien des problèmes en matière d’éducation- n’est plus totalement écartée a priori, enfin, la LOLF (loi organique sur les lois de finances) va conduire à généraliser les méthodes de mesure de l’efficacité et de l’efficience des politiques menées dans les académies et les établissements scolaires. L’Acte I de la décentralisation a permis, sans aucun doute, d’améliorer le service public d’éducation, même si de graves problèmes ne sont pas résolus (fracture sociale; échec scolaire; sorties sans qualification) .Même s’il suscite des résistances, le mouvement se poursuivra : l’extrême centralisation ne peut plus être le principe de gestion du système éducatif français, comme nous le montrent les systèmes étrangers, beaucoup plus décentralisés que le nôtre. Un nouvel équilibre est à rechercher entre des acteurs locaux, soucieux de mieux répondre aux besoins des usagers du service public, et un Etat, concentré sur sa fonction de régulation d’ensemble. Janvier 2005

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