PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

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"Aucun bilan officiel n’a été fourni par le ministère, alors qu’il s’agissait de la promesse phare de la campagne présidentielle de 2007". Nathalie Mons, maître de conférences en sociologie à l’université de Paris-Est, vient de terminer une recherche qui porte sur la genèse et la mise en œuvre de la politique d’assouplissement de la carte scolaire de 2007 à 2011. Suite à la sortie de différentes études visant à évaluer les effets de cette politique, elle revient sur la complexité d’une telle évaluation. Et elle demande la libération des études "détenues" par le ministère…

 

Depuis dix jours, différentes études ont été publiées pour tenter d’évaluer les effets de la réforme de la carte scolaire, elles semblent présenter des résultats divergents.

 

 Plutôt que divergents, ces résultats sont complémentaires. Certaines analyses privilégient des données macro nationales et nous renseignent ainsi sur l’ampleur de la mise en œuvre de cette réforme sur l’ensemble du territoire, ce qui est un point central en termes de politique publique. Mais ce niveau d’analyse national peut évidemment s’avérer trop distant pour pouvoir révéler certains phénomènes ponctuels. A l’opposé, d’autres recherches ont travaillé davantage des terrains départementaux spécifiques et peuvent de façon approfondie nous renseigner sur les processus en jeu et les effets particuliers de la réforme dans ces contextes, sans qu’évidemment leurs conclusions puissent être généralisées au niveau national puisque ces études ne prétendent pas viser un objectif de représentativité. Dans le cas de cette politique de la carte scolaire, ces recherches s’avèrent cruciales, car nous observons à la fois de fortes disparités dans la mise en œuvre de cette politique selon les départements et, au moins durant les trois premières années, des effets de déstabilisation très importants sur certains établissements qui accueillent déjà des populations scolaires en difficulté. Donc même si ces effets sont circonscrits dans l’espace, ils questionnent fortement la pertinence d’une telle politique.

 

De votre côté, quelle méthodologie avez-vous mise en place dans votre recherche ?

 

Pour mener notre enquête que nous avons circonscrit au collège, nous avons essayé de croiser les niveaux d’analyse pour pouvoir disposer d’une vision nationale de la réforme, sans pour autant passer à côté des effets de l’assouplissement qui pouvaient se jouer à un niveau plus micro. Pour cela, notre enquête s’est déployée sur trois niveaux : une analyse nationale, des études départementales qui portent sur 37 départements dans 24 académies – échantillon large qui est représentatif d’une variété de critères (démographiques, politiques, économiques, caractéristiques du parc scolaire…) et enfin une analyse menée sur un échantillon conséquent de 80 établissements scolaires en positions extrêmes en termes d’attractivité (établissements qui perdaient ou gagnaient beaucoup d’élèves au début de la réforme). A ces trois niveaux d’analyse, nous nous sommes appuyés à la fois sur des données statistiques objectives et sur des entretiens avec les professionnels de l’éducation et les parents de façon à révéler à la fois les processus en jeu et les visions subjectives des acteurs sur la réforme. Dernière caractéristique de l’enquête : de 2008 à 2011, nous sommes retournés chaque année sur le terrain pour pouvoir analyser les étapes de la mise en œuvre de la réforme. Les politistes savent que les échelles temporelles sont cruciales dans l’évaluation des politiques publiques. Les études qui ont porté sur les deux premières années de la réforme ne peuvent constituer un bilan quinquennal de cette réforme car les politiques locales ont, dans la très grande majorité des départements, changé à partir de 2009, du fait des effets pervers constatés. Toute analyse de politique publique doit faire l’hypothèse d’une variabilité dans le temps des mises en œuvre locales des réformes.

 

Grâce à ce dispositif, qu’avez-vous trouvé sur le terrain ? Comment s’est mise en œuvre cette politique ?

 

Le bilan de cette réforme est complexe car sa mise en oeuvre s’est en fait déployée en trois temps bien distincts, avec des comportements des acteurs nationaux et locaux fort différents suivant les trois périodes. Dans une première étape – les deux premières campagnes de dérogation 2007 et 2008 – la très grande majorité des départements a été marquée par un zèle extrême de la part des inspections académiques à satisfaire les demandes des familles. Les taux de satisfaction ont bondi, comme l’illustre d’ailleurs le taux de satisfaction national qui en 2009 atteint 79%. Cette période est aussi marquée par une communication ministérielle nationale offensive autour du thème de la future disparition de la carte scolaire programmée pour 2010. Elle est aussi caractérisée par une augmentation progressive des demandes émanant de l’Education prioritaire. Certains établissements, notamment RAR ou RRS ont subi de plein fouet la réforme, avec des pertes d’effectifs dramatiques ces années-là. Du fait de leur ampleur, ces hémorragies risquaient de menacer à terme la vie de ces établissements. Si toutes les dérogations avaient été accordées, en 2009, un tiers des collèges RAR de métropole auraient perdu un quart de leurs effectifs en 6e. Nous avons noté que ces établissements en difficulté étaient dans leur très grande majorité déjà fuis avant la réforme mais que la réforme menaçait d’enclencher rapidement une spirale du déclin, déjà mis en évidence à l’étranger dans le cas de politiques de libre choix de l’école similaires. Cette première période de la réforme est aussi marquée, sur le plan politique, par des réactions locales et nationales très négatives des conseils généraux, même de droite, pour au moins trois raisons. L’assouplissement de la carte scolaire de facto remettait en cause leur compétence de sectorisation transférée en 2004 : pourquoi définir des secteurs si les parents ne sont pas obligés de les respecter ? La réforme menaçait, de plus, la viabilité de leur parc immobilier qui se gère sur le long terme et ne peut souffrir de mouvements de populations scolaires erratiques. Enfin, dans de nombreux départements de gauche, la réforme libérale contrariait un référentiel progressiste et républicain axé sur le développement d’un service public de proximité.

 

Face à des signaux négatifs, avez-vous du coup observé sur le terrain des changements de politiques ?

 

Oui, dès 2009, ces changements, qui marquent donc une deuxième période dans la mise en œuvre de la réforme, ont été observés à un double niveau. Au niveau national, l’Elysée, qui, depuis 2007, avait piloté la réforme – promesse emblématique de la campagne de 2007 – a relâché la pression sur les acteurs locaux. Les acteurs nationaux ont compris très vite que la réforme ne pourrait pas atteindre les objectifs fixés – les demandes des familles avaient été moins fortes que prévues, la mixité sociale n’était pas au rendez-vous -, par contre des effets pervers puissants menaçaient l’ensemble de l’édifice, dans un cadre de rigueur budgétaire qui allait croissant. On ne pouvait pas demander aux recteurs et aux inspecteurs d’académie de poursuivre une politique qui s’avérait dispendieuse – car X. Darcos s’était engagé à garder les moyens des établissements fuis et donc à dégager de nouveaux moyens pour les établissements attractifs qui accueillaient de nouveaux publics. Aussi, à quelles exceptions près comme certains départements de la région parisienne et du Nord de la France, la campagne de dérogations de 2009 a marqué le début de politiques locales contraignant la mobilité scolaire, ce que l’on retrouve aussi dans les chiffres nationaux de taux de satisfaction qui amorcent un recul à partir de 2009. En 2011, dans la majorité des départements, ces taux de satisfaction sont à peine supérieurs à ceux d’avant la réforme.

 

Comment cela a-t-il été possible ?

 

X. Darcos, homme issu du sérail Education Nationale qui ne soutenait pas cette réforme, avait pris soin de construire un dispositif qui demeure dans le cadre traditionnel de la carte scolaire avec dérogations (par opposition au système de libre choix de l’école comme en Angleterre par exemple) : le secteur est demeuré la référence et le droit à la dérogation est resté assujetti à l’existence de places disponibles dans les établissements choisis.  Il a donc suffi aux inspections d’académie d’opposer aux demandes de parents le nombre de places disponibles dans les établissements convoités. Dans la très grande majorité des départements, ce plafond est un construit défini en amont de l’analyse des dérogations, il sert donc à contraindre l’offre disponible. Certes dans certains cas, il est en lien avec la capacité physique de l’établissement et le plafond de sécurité imposé, lui, par la collectivité locale : c’est le cas des établissements très prestigieux de centre ville dans lequel le bâti impose une contrainte physique réelle. Mais il faut savoir que les demandes de dérogation ne se portent pas exclusivement sur ces établissements prestigieux. Quand elles ont lieu les demandes se font majoritairement dans le cadre d’un bassin, c’est-à-dire sur des établissements de proximité que les familles jugent plus en adéquation avec leurs attentes, avec des contraintes physiques à l’accueil des élèves plus légères.

 

Qu’en a-t-il été dans l’éducation prioritaire ?

 

Durant cette période 2 de la mise en œuvre de la réforme, ce verrouillage des dérogations accordées a été particulièrement mis en place dans le réseau de l’Education prioritaire. Aussi, à partir de 2009, dans une grande partie des départements, les taux d’acceptation des demandes émanant de ce réseau sont devenus inférieurs à ceux de l’ensemble des établissements. Ces politiques locales ont donc contrarié la rhétorique ministérielle du boursier conquérant que l’on aidait à sortir de son ghetto. Cette seconde période de la réforme a aussi été marquée par le développement, dans la très grande majorité des départements, d’une offre de formation plus riche dans les établissements en difficulté. Pour garder les familles les plus favorisées de ces établissements défavorisés, des classes européennes, bilingues, sportives… ont été ouvertes. La généralisation de ces dispositifs menace le principe du collège unique à la fois parce qu’ils constituent des dérogations au programme commun du collège et parce qu’ils peuvent servir de support au développement de classes de niveau – classes de niveau tant autant scolaire que social -. L’enquête a aussi été l’occasion de se rendre compte que ces dispositifs pédagogiques spécifiques se développent au collège aujourd’hui dans tous les établissements. Démantèlement de la carte scolaire et du collège unique – deux attributs forts et symboliques de l’école républicaine – vont de pair, on ne déconstruit pas l’un sans menacer l’autre.

 

Ces nouvelles politiques locales ont-elles atteint sur leurs objectifs ?

 

En partie, oui, durant cette seconde période, nous avons pu observer que de nombreux établissements en totale perdition en 2008 ont vu la baisse leurs effectifs non pas enrayée mais au moins ralentie. Pour autant, et c’est là qu’intervient le temps 3 de la réforme, ce mouvement ne s’est pas révélé uniforme les années suivantes. Les politistes savent que les politiques publiques certes contraignent l’action des acteurs locaux mais peuvent aussi être utilisées comme des ressources par ces derniers à des fins divergentes de celles assignées initialement. Or c’est ce que nous avons découvert pour la réforme de la carte scolaire. A partir de 2010-2011, après cette étape 2 de la réforme durant laquelle des politiques locales de protection des établissements étaient largement déployées dans les départements analysés, nous avons observé, dans certains départements, des traitements différentiés selon les établissements : certains étaient protégés et d’autres de fait davantage livrés à eux-mêmes continuaient à perdre des effectifs importants.  Ces derniers établissements présentent souvent certaines des caractéristiques suivantes : un bâti détérioré qu’il faudrait rénover ; une implantation géographique difficile, dans des quartiers très défavorisés, qui semble obérer l’avenir de l’établissement ; des effectifs menacés, au-delà de l’impact de la carte scolaire, par des déplacements de populations ; une équipe pédagogique qui n’est pas aussi réactive en termes de communication et de nouveaux projets que les établissements environnants et qui donc ne défend pas de façon très offensive l’établissement contre la menace de fermeture… Pour l’instant en 2011, nous n’avons pas trouvé de mouvement massif de fermetures d’établissement, car il s’agit d’un processus très difficile auquel s’opposent à la fois les parents et les collectivités locales mais ce traitement différentié des établissements révèle une utilisation opportuniste de la réforme. L’acception des dérogations est un moyen efficace pour commencer à vider un établissement dont on vise à terme la fermeture dans le cadre d’une gestion budgétairement plus contraignante du parc des collèges.

 

Donc on peut avoir l’impression qu’il ne passe pas grand-chose en regardant certains chiffres nationaux alors que la réforme a eu des conséquences sur le terrain.

 

Oui, comme très souvent en politiques publiques, les réformes n’atteignent pas toujours leurs objectifs, génèrent des effets non attendus et sont utilisés comme des ressources stratégiques par les acteurs. Les politiques publiques peuvent avoir aussi des effets parce qu’elles font évoluer les représentations des acteurs qui les portent ou les subissent. De ce point de vue, le cas de cette réforme est très intéressant, car elle a couplé d’un côté un changement légal relativement marginal – aucun changement de décret n’a été nécessaire pour mettre en place cette réforme qui n’accouchera jamais de la suppression de la carte scolaire – et, de l’autre, une rhétorique ministérielle très offensive en 2007 et en 2008. Cette communication massive mettait en avant la future suppression de la carte scolaire programmée pour 2010. Elle développait aussi l’image symboliquement très forte du « ghetto » scolaire, c’est-à-dire un lieu d’apprentissage déclassé. Y était associée une vision de l’institution scolaire en termes de hiérarchie et de concurrence des établissements ainsi que d’inégalités scolaires territoires assumées.

 

Cette communication a-t-elle eu des effets ?

 

Dans les entretiens avec les acteurs de cette réforme (inspections d’académie, chefs d’établissements, parents) et dans certains sondages récents, nous pouvons noter une évolution des représentations liées à l’école en lien avec ce discours, même si certaines d’entre elles n’ont rien de nouveau, comme la perception d’une hiérarchie des établissements. Cette réforme pourrait avoir des effets puissants à terme parce qu’elle semble bien associée à une évolution des représentations de l’institution scolaire à la fois chez les parents et les personnels de l’éducation nationale. Chez les parents, le choix de l’école, qu’ils le mobilisent ou pas, n’est plus considéré comme un passe-droit mais bien un droit, la parole s’est libérée sur le sujet avec les chefs d’établissement. D’ailleurs, ils sont nombreux à penser que la carte scolaire a tout simplement été supprimée. En conséquence, même si objectivement la réforme n’a pas atteint ses objectifs, les parents, qui dans leur très grande majorité ne demandent pas de dérogation, ont l’impression que cette réforme est une réalité. C’est le rôle performatif des discours en politiques publiques : dire, c’est faire. Il ne faut pas négliger ce type d’effet dans l’analyse d’une réforme. Autre conséquence en termes de représentation que l’on peut associer indirectement à la réforme. La reconnaissance d’inégalités scolaires d’origine territoriale devient prégnante aux côtés des inégalités strictement sociales. Les parents ont l’impression, comme le montrent de récents sondages que certains territoires constituent un handicap dans la carrière scolaire de leurs enfants. La réforme déconstruit des représentations et des valeurs attachées à l’école républicaine, d’autant plus facilement destabilisables qu’elles étaient en décalage avec la réalité, comme l’égalité de traitement, l’égalité territoriale et l’unité territoriale….

 

Qu’en est-il pour les personnels de l’éducation nationale, la réforme a-t-elle eu des effets les concernant ?

 

Oui, à la fois les comportements et, donc on peut faire l’hypothèse, les représentations des professionnels de l’éducation, notamment dans les administrations déconcentrées commencent à évoluer. Dans de nombreux départements, contraints par des situations dramatiques où se joue la survie des établissements scolaires qu’ils ont en charge, de nombreux chefs d’établissement, invités à aller dans ce sens par leur hiérarchie et/ou les collectivité locales, ont dû développer des stratégies d’établissement que l’on peut qualifier de « marketing scolaire » dans un univers qu’ils perçoivent désormais comme concurrentiel. Pour ne pas perdre ses élèves, il faut non seulement développer des projets d’établissement ambitieux mais aussi et surtout les faire connaitre aux parents, aux supérieurs hiérarchiques, à la presse, aux partenaires des collectivités locales. Ce sentiment de concurrence entre établissements, dans ces situations qui mettent en jeu la survie de l’établissement, est exacerbé par le fait que les anciennes commissions décentralisées au niveau des bassins qui réunissaient les chefs d’établissement pour gérer les dérogations ont disparu. Or ces lieux permettaient sinon une coopération au moins des échanges, dont on sait qu’ils décroissent le sentiment de concurrence subjective, c’est-à-dire de concurrence ressentie. Cette concurrence subjective est importante car elle n’est pas toujours en lien avec la concurrence réelle, telle qu’objectivée à travers des indicateurs statistiques, comme le nombre d’établissements dans un rayon de X kilomètres. La concurrence objective peut ne pas évoluer alors que la concurrence subjective peut s’accroitre, selon les politiques menées. Une évaluation de politique publique passe donc à la fois par une étude de l’ampleur et des modalités objectives de la mise en œuvre de la réforme mais aussi par une analyse de ses effets sur les comportements, valeurs et normes des acteurs qu’elle implique.

 

Au total quel regard jetez-vous sur cette opportunité de choix de l’école offerte aux parents ?

 

Malgré un discours à dominante sociale, la réforme d’assouplissement de la carte scolaire ne vise pas la démocratisation de l’enseignement et donc la réduction des inégalités sociales à l’école. Elle est à rattacher à la famille des politiques d’égalité des chances développées au début de la IIIème république qui visait à dégager des élites parmi les élèves issus des classes défavorisées. Il ne s’agit pas de construire un dispositif de discrimination positive qui aide à élever le niveau des acquis scolaires de l’ensemble des élèves issus de milieux défavorisés, mais bien de s’adresser à une minorité d’entre eux. C’est pour cela qu’en terme symbolique, la réforme mobilise l’image du boursier, emblématique de ces politiques de la IIIème République qui visaient à permettre à quelques élèves talentueux d’accéder aux formations d’élite. En ce sens cette politique est à rapprocher de celles des internats d’excellence pour deux raisons : 1) elles ne visent que des ultra-minorités et 2) elles cherchent à exfiltrer les élèves de leur quotidien scolaire. Dans les deux cas, les réformes ne visent pas à faire progresser le contexte quotidien d’apprentissage mais à sortir les élèves d’établissements scolaires qui, du coup, apparaissent comme condamnés par l’institution. C’est en ce sens que la réforme nuit aux élèves des milieux défavorisés, car elle entérine un renoncement à une éducation de qualité dans tous les établissements. Et c’est la cause d’une partie de son échec. Les familles les plus favorisées n’ont pas répondu à cette nouvelle opportunité car elles valorisent un service éducatif de proximité et ce d’autant plus qu’elles n’ont pas les moyens financiers d’offrir une mobilité scolaire à leurs enfants. Lutter contre les inégalités à l’école passe par le développement d’un service public d’éducation de qualité et de proximité.

 

A quels parents profite cette réforme ?

 

Les boursiers ne se sont pas emparés de cette réforme. Selon les départements, à l’entrée en 6ème, ils sont entre 3 à 9% à en avoir fait une demande de dérogation, même si, en général, les concernant les taux d’acceptation sont très souvent supérieurs à 90%. Mais une part très importante des demandes de dérogation se sont portées sur des motifs qui ne sont pas prévus par la réforme. Selon les départements, ces familles que l’on classe dans le motif «autres » représentent entre 20% et 50% des demandes. Même si ces demandes sont associées à des taux de satisfaction inférieur à ceux des demandes classées dans les critères nationaux, ces demandes obtiennent des taux de satisfaction tout à fait honorables, oscillant autour de 50%. Sauf dans le cas de l’éducation prioritaire, où elles sont très inférieures dans certains départements. On peut donc en conclure que la réforme profite aux quelques élèves boursiers très peu nombreux qui se sont emparés de nouveau droit et surtout à des familles non boursières hors réseau d’Education prioritaire. Mais globalement le nombre de familles concernées reste très restreint puisque est placé hors secteur au collège un élève sur dix.

 

Jusqu’à ces dernières semaines, nous avions très peu d’éléments de bilan sur cette réforme. Certains chercheurs soulignent leur difficulté à enquêter sur cette réforme. Portez-vous le même jugement ?

 

Oui, cette enquête a été difficile, notamment au niveau national. Les statistiques fournies par le ministère sont demeurées fort parcellaires et ne permettaient en aucun cas de pratiquer une analyse approfondie des effets de la réforme sur la mixité sociale. Manifestement, connaitre ce qui se passait à ce niveau-là n’intéressait pas les acteurs nationaux ou, s’ils ont mené des études, l’information n’a pas été rendu publique. Les entretiens avec les acteurs nationaux aussi n’ont pas été aisés : ils nous ont principalement été accordés par des personnes qui avaient quitté les différents cabinets ministériels ou le ministère. Ils ont, à quelques exceptions près, requis l’anonymat. Une forme d’omerta enveloppe cette réforme associée à la campagne présidentielle de 2007 et donc à l’action présidentielle. La politique de la carte scolaire est une politique dont il ne faut pas parler car clairement elle n’a pas atteint ses objectifs : la mixité sociale dans les établissements ne s’est pas améliorée, le choix de l’établissement n’est pas devenu une réalité, la réforme a bénéficié aussi, et principalement, à des familles qui ne rentraient pas dans les critères nationaux de sélection. D’ailleurs la réforme est totalement absente du programme de l’UMP pour 2012. Vous remarquerez, de plus, que contrairement à d’autres mesures, aucun bilan officiel n’a été fourni par le ministère, alors qu’il s’agissait de la promesse phare de la campagne présidentielle de 2007. On pourrait s’attendre à un minimum de reddition de comptes auprès du citoyen dans le cadre de la campagne présidentielle pour 2012. Sur cette politique comme sur d’autres, nous sommes confrontés à un déficit d’information de la part du ministère. Or l’information publique relative à l’évaluation des politiques publiques – qu’il s’agisse de données statistiques, de rapports de chercheurs commandés par l’institution, de rapports de l’Inspection générale… – intéresse tout citoyen, elle doit être partagée. Générée à partir de fonds publics, elle n’est pas la propriété privée de responsables politiques qui, à un instant t, sont au pouvoir. Nous sommes confrontés aujourd’hui en matière d’évaluation de politiques éducatives à un déficit démocratique grave.

 

Pensez-vous que notre système d’évaluation des politiques publiques doit être repensé ?

 

En France, nous demeurons sur un modèle d’évaluation des politiques publiques dit « gestionnaire », c’est-à-dire majoritairement réalisé par et pour l’administration, sans contre-pouvoirs forts, si l’on excepte des organismes comme la Cour des comptes. Ce modèle s’oppose à celui de l’« évaluation démocratique » qui confie à des corps extérieurs à l’exécutif ce rôle. Chez nous, les sciences de gouvernement demeurent prépondérantes, ce qui signifie qu’une part significative de l’expertise est accaparée par des directions des ministères ou des corps d’inspection, qui n’ont pas toujours malheureusement la liberté politique nécessaire pour réaliser un travail indépendant d’évaluation des politiques publiques. En témoignent les rétentions d’information que nous connaissons actuellement. Dans le cadre du débat démocratique vital dans un contexte d’élection présidentielle, où le citoyen doit être éclairé sur la pertinence des choix politiques réalisés depuis cinq ans, je demande que tous les suivis statistiques, recherches commandées à des universitaires, rapports des inspections générales, de la DGESCO ou de toute autre direction du ministère intéressant une politique éducative mise en place depuis 2007 soient rendus public. A commencer par les rapports relatifs à la politique d’internats d’excellence, politique dispendieuse dont nous devons maintenant connaitre la réalité des modalités de mise en œuvre et des effets.

 

Nathalie Mons

 

Sur ce sujet :

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