PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

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INTRODUCTION
Inscrit dans un ensemble de réformes, mais héritier d’une organisation en deux ordres, le collège français relève du modèle de « l’intégration uniforme » (Mons, 2008). Comme dans d’autres pays latins européens (Espagne, Portugal…), cette école moyenne combine en effet un tronc commun avec un soutien individualisé des élèves en difficulté scolaire et une gestion des parcours scolaires par sélection (redoublement, classes de niveau). Néanmoins, ce type d’organisation pédagogique du « collège unique » présente, à côté d’un tronc commun, une offre scolaire diversifiée que des travaux institutionnels ont très tôt mis en évidence. Les premières enquêtes de l’éducation nationale (Meuret, 1984 ; Lévy, 1986…) centrées sur les disparités entre les collèges, montrent ainsi, alors que l’école unique est institutionnalisée, des différences non seulement par leur composition sociale et les parcours scolaires des élèves, mais également par leur offre d’enseignement. Ces deux types de variables sont mêmes liées, si bien que, par exemple, le nombre de langues vivantes et l’implantation des enseignements « relégués » (CPPN, SES)1 dépendent du public scolaire. Une enquête institutionnelle plus récente (Thomas, 2005) confirme cette tendance en prenant en compte la diversité des enseignements observables au début des années 2000. Le nombre de langues et l’implantation des enseignements pour les élèves en difficulté (« classes technologiques », SEGPA…) ou à caractère « d’excellence » (« sections linguistiques », « musicales »…) varient notamment selon la taille et la composition sociale des collèges.

2Cette question de la disparité de l’offre d’enseignement est abordée chez les sociologues notamment par l’étude de l’assouplissement de la carte scolaire. Robert Ballion (1986) a pu ainsi mettre en évidence, dès la phase d’expérimentation, que le choix des établissements s’associait à une différenciation de l’offre pédagogique. Les collèges les plus demandés ont une offre tournée vers l’excellence, quand les collèges rejetés proposent des parcours professionnels. Des travaux ultérieurs (Merle, 2011a ; Merle, 2011b) vont préciser comment l’offre diversifiée d’enseignement entre dans les stratégies d’évitement scolaire de la part des familles avec le choix d’un enseignement particulier. Il est établi par ailleurs que l’offre d’enseignement intervient dans les stratégies de position des collèges placés dans des relations compétitives avec d’autres collèges publics ou privés (Barthon & Monfroy, 2005 et 2006 ; Felouzis G., Liot F., Perroton J., 2005 ; Delvaux & van Zanten, 2006…). L’offre d’enseignement participe ainsi à la hiérarchisation des établissements et à la ségrégation sociale des élèves.

3Un certain nombre de travaux, appartenant cette fois à la sociologie du curriculum, met en évidence le lien étroit entre public scolaire et modalités pédagogiques. Cette question est traitée au niveau de la classe (Anyon, 1980 ; Isambert-Jamati, 1990…), mais aussi au niveau de l’établissement (Poggi-Combaz, 2002 ; Combaz, 2007…). Gilles Combaz démontre en particulier dans une série de travaux sur différents dispositifs (projets d’action éducatives, parcours diversifiés et projets d’établissement des collèges) que les établissements adaptent l’offre pédagogique au public scolaire. Ainsi, l’autonomie des collèges conduit à une différenciation du curriculum en fonction de la composition sociale des établissements.

4Dans le même esprit, deux phénomènes conduisent à étudier l’offre générale d’enseignement entre les collèges. Il y a tout d’abord une plus grande autonomie pédagogique qui permet aux établissements scolaires de diversifier leur offre et de facto de se différencier. Ce mouvement est probablement croissant depuis que les dispositions officielles invitent les collèges à répondre à l’hétérogénéité des publics. Le second phénomène tient à l’accroissement de la ségrégation sociale entre les collèges (Trancart, 1998 ; Thomas, 2005…). Le collège tend de plus en plus à séparer les collégiens en fonction de leur origine sociale et ethnique. Cette double évolution est susceptible d’accentuer la disparité de l’offre d’enseignement, voire à spécialiser l’offre d’enseignement selon les publics. Sur la base de ce constat, cet article, appuyé sur une recherche menée entre 2011 et 2012, cherche à savoir en quoi et pourquoi les collèges se différencient par leurs enseignements. L’originalité de cet article est double : il s’agit, d’une part, de réaliser un examen systématique et actualisé de la disparité de l’offre d’enseignement selon la composition sociale des collèges et, d’autre part, d’apporter des éléments de compréhension que les analyses statistiques institutionnelles ne fournissent pas.

    2  L’organisation de l’école moyenne autour d’un tronc commun ou common core curriculum (Dupriez, Dum (…)
    3  Curriculum au sens d’un « ensemble continu de situations d’apprentissage auxquelles un individu s’ (…)

5Cette étude s’inscrit dans la sociologie du curriculum et reprend à son compte l’intérêt à caractériser le curriculum. En l’occurrence, le terme « d’offre d’enseignement » est trop imprécis pour servir de concept central dans cette étude. Il convient notamment de faire une distinction entre le tronc commun constitué de plusieurs disciplines2, destiné en principe à tous les élèves et plusieurs enseignements optionnels mis à disposition des collégiens durant leur scolarité. Ces enseignements sont optionnels au sens où ils reposent sur un choix de la part des familles et des agents scolaires : ce choix pouvant être, d’une part, facultatif (« sections bilangue », « section européenne », « section artistique », « troisième d’insertion »…) et soumis parfois à une sélection ou, d’autre part, obligatoire, c’est le cas des langues vivantes 1 et 2 dont l’enseignement est imposé au collège mais également choisi entre les différentes langues proposées dans les établissements. Par ailleurs, ces enseignements optionnels sont à prendre comme des parcours culturels, soit une suite de contenus ordonnés dans un temps scolaire. À l’intérieur du « collège unique », des groupes d’élèves suivent ainsi des parcours optionnels caractérisés par des contenus (linguistiques, artistiques, sportifs ou professionnels…), organisés durant une période. La notion de curriculum telle qu’elle est employée en sociologie (Forquin, 2008)3 est particulièrement opportune ici car elle ajoute au terme d’enseignement à la fois une dimension de temps pendant lequel des acquisitions sont programmées (année scolaire, cycle scolaire…) et une dimension de parcours (culturel) dans lequel les élèves se déplacent d’un contenu à un autre. Pour résumer, par « offre d’enseignement » nous entendons plus précisément, non pas tous les enseignements prévus dans un collège, mais les enseignements optionnels, pédagogiquement et temporellement construits. Nous distinguons ainsi le curriculum optionnel, objet de choix,du curriculum commun, destiné à tous les élèves.

6Pour comprendre sous quelle forme le curriculum optionnel se développe dans les collèges en fonction de leur composition sociale, une analyse quantitative et qualitative a été conduite selon les modalités théoriques et méthodologiques suivantes. Cette recherche s’inscrit dans la sociologie du curriculum, en posant comme postulat que le curriculum des collèges est une construction sociale, au sens où il est le produit du jeu des « acteurs ». Dans cet esprit, l’analyse porte sur les responsables administratifs (principaux et inspecteurs d’académies) qui sont des « acteurs » de premier plan dans l’implantation des enseignements dans les collèges. Considérant que ces « cadres administratifs » se réfèrent à une conception du bien commun (égalité des chances, performance, concurrence, socialisation…) pour justifier les choix « pédagogiques » (Derouet & Dutercq, 1997), le cadre théorique puise dans la sociologie pragmatique qui étudie précisément les logiques de justice avec lesquelles les personnes pensent ce qui est juste (Boltanski & Thévenot, 1991). L’approche qualitative cherchera donc à observer quelles légitimations soutiennent ces dispositifs chez les responsables de l’éducation nationale. Nous montrerons que si les collèges se différencient, voire se spécialisent, ce processus s’appuie sur un ensemble de justifications qui tend à maintenir les disparités d’offre d’enseignement. Pour vérifier cette hypothèse, des entretiens semi-structurés ont été réalisés avec des principaux de collège (32) et des inspecteurs d’académie (2), exerçant dans deux départements, le Rhône et l’Hérault.

7La quantification a porté sur les dispositifs des établissements à partir des renseignements fournis pour l’année 2010 par le site Internet du Ministère de l’Éducation nationale (« Annuaire ») sur chaque établissement. Information partiellement complétée, voire corrigée ou actualisée, par les sites Internet de collège qui en disposent et par des entretiens avec des principaux des collèges. L’échantillon réuni pour l’analyse quantitative est constitué de 500 collèges dont la composition sociale varie entre un public à dominante « favorisée », voire très « favorisée », des collèges « moyens » et des collèges « défavorisés », voire très « défavorisés ». Le classement par ordre de composition sociale est établi avec les indicateurs du Ministère de l’Éducation nationale. Pour conduire la comparaison entre les collèges, l’échantillon est stratifié en 3 classes d’établissement selon le taux d’élèves appartenant aux catégories sociales, « favorisée », « moyenne », « défavorisée » et « étrangers » (voir tableau 7 en annexe). Les collèges retenus relèvent du secteur public et du secteur privé (sous contrat) et sont issus de 6 départements (Côtes d’Armor, Haut-Rhin, Hérault, Paris, Rhône, Vendée) pris dans des académies différentes.

8À l’examen du curriculum optionnel des collèges, quatre types d’enseignement ont été dégagés : 1) les enseignements à caractère d’excellence auquel l’accès repose sur une sélection des élèves (« sections linguistiques », « sections sportives »…) ; 2) l’offre linguistique correspond aux langues « vivantes » et aux langues « anciennes » mises à disposition dans les collèges ; 3) les enseignements à caractère professionnel (« DP6 », « classe d’insertion »…) permettent une pré-orientation à l’intérieur du collège ; 4) les enseignements intégratifs ou « parallèles » ont pour fonction d’intégrer les élèves placés temporairement ou partiellement à côté de la classe « ordinaire » (« classes relais », « unité locale pour l’inclusion scolaire »…). Pour la clarté du propos, nous utiliserons ces catégories et apporterons des précisions sur chacun de ces dispositifs lors de la présentation des résultats.

9Par ailleurs, le langage institutionnel distingue la « classe » et la « section ». La « classe », unité fonctionnelle de l’école, comprend un groupe d’élèves pour lesquels des enseignements communs sont effectués et planifiés sur une année scolaire (exemple : « classe à projet artistique et culturel », dite PAC). La « section » correspond en revanche à un sous-groupe de la classe, destiné à recevoir des enseignements spécifiques (exemple : une « section bilangue » réunit un groupe d’élèves d’une classe qui suivent spécifiquement un enseignement bilangue). Les enseignements optionnels font l’objet de ces deux modalités de regroupement, appliquées cependant différemment selon les collèges. Pour clarifier notre propos, nous utiliserons le terme générique de « dispositif ». Il désigne ici, en référence à la sociologie pragmatique (Nachi, 2006), un ensemble de ressources humaines (personnels), matérielles (objets pédagogiques) et symboliques (règles, contenus…) rendant possible un enseignement (professionnel, linguistique…). Un dispositif comprend ainsi à la fois une dimension normative, en tant qu’expression d’une volonté politique et une dimension instrumentale parce qu’il guide l’action. Pour autant, notre propos ne portera pas sur le fonctionnement de ces dispositifs mais sur leur implantation dans les collèges.

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