PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Le Monde.fr – le 22 novembre 2013 :

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Dans les mois à venir, les programmes du primaire en date de 2008 vont être réécrits. Les enseignants viennent d’être sondés sur leur appréciation et leur application de ces textes. Pourtant, selon le rapport de l’inspection générale intitulé "Bilan de la mise en œuvre des programmes issus de la réforme de l’école primaire de 2008", que Le Monde s’est procuré, les mauvais résultats de l’école primaire française qui n’apprend à lire et à compter qu’à 80 % des enfants, ont des racines plus profondes que la seule mise en cause des programmes. Dix grandes leçons ressortent du travail collectif remis au ministre en juin 2013.

Leçon 1 : pourquoi trop d’écoliers ne lisent pas

« Ce qui frappe dans ce domaine de la lecture, c’est que la majorité des maîtres ne dispose pas des cadres théoriques minimaux, ce qui ne leur permet pas d’être lucides quant à leurs pratiques. Ils ne différencient pas les composantes des compétences de compréhension et ne peuvent donc pas les faire travailler explicitement. Ils n’ont guère de repères pour juger de la complexité des textes qu’ils proposent et n’ont souvent de critères de choix que la longueur ou le thème : sur cette base, ils ne peuvent pas penser des "progressions" mais seulement des "programmations". »

Si l’on lit bien le rapport de l’inspection générale, signé par Philippe Claus, les enseignants, qu’on devrait former prioritairement à l’enseignement de la lecture, croient bien faire, mais manquent d’abord de compétences. Un effet de la suppression de la formation initiale sous le gouvernement précédent, mais aussi une lacune plus profonde, car l’enquête n’a pas été menée auprès des seuls jeunes enseignants.

Et l’IG d’ajouter que « certes, aucun maître n’est démuni face à la lecture, sans doute parce qu’il y a toujours quelque chose à faire lire, parce qu’il existe des manuels et des fichiers fournisseurs de questionnaires de compréhension et des éditions d’œuvres littéraires aujourd’hui souvent accompagnées d’un corpus d’exercices. De ce fait, le besoin de (re)penser cet enseignement n’est pas ressenti. C’est pourtant urgent. » L’heure est donc grave en la matière !

Leçon 2 : lire n’est pas que déchiffrer

« 98 % des enseignants du cycle 2 ont le sentiment d’enseigner de manière satisfaisante la ‘technique’ de la lecture et 96 % pensent faire de même pour ce qui est de la compréhension des textes. Un peu plus de 80 % disent effectuer correctement ce qui est requis d’eux sur les œuvres intégrales et 78 % se montrent satisfaits de ce qu’ils font en matière de lecture à haute voix. Pour certains, le travail pourrait être plus approfondi mais tous disent s’acquitter du programme en matière de lecture. »

Lorsque Philippe Claus interroge les enseignants tout va donc pour le mieux ! Et pourtant l’inspecteur ajoute que « les observations ne confortent pas forcément ces scores satisfaisants. Si quelque chose a évolué dans les dernières années, c’est sans doute la conscience de ce qui est exigible au cours préparatoire et la nécessité alors de mettre en oeuvre un enseignement systématique, structuré, exhaustif des correspondances graphophonologiques. Mais cette avancée a un revers : l’enseignement du code et de la combinatoire est souvent devenu l’affaire du seul CP avec un manque de suivi approfondi au CE1, une absence du renforcement nécessaire pour parvenir à l’automatisation, seul gage de plein succès en lecture. Les élèves les plus faibles ne sont pas pris en charge à proportion de leurs besoins dès cette seconde année du cycle 2, ce qui fait dire à certains inspecteurs que le début du ‘décrochage’ date de ce moment-là. »

Et ceux qui n’ont pas eu assez de temps en CP ont du mal à combler les lacunes en CE1. « De manière assez générale, le temps de lecture décroît fortement du CP au CE1. Les écarts extrêmes observés au cours de l’enquête vont de plus de cinq heures hebdomadaires au CP à moins de deux heures au CE1. Ce que doit être l’enseignement de la compréhension est encore mal assimilé. La découverte des textes, quand la maîtrise du code commence à s’installer, n’est pas enseignée avec méthode. La compréhension est traitée, en collectif, de manière superficielle et globale, sans distinction entre les composantes cognitives de niveaux différents qui la constituent. Pour les maîtres eux-mêmes les stratégies que les élèves doivent mettre en oeuvre pour apprendre à comprendre ne sont pas explicites. Il manque donc aux maîtres des compétences importantes que la formation ne leur offre pas. Ce défaut semble valoir aussi bien pour les maîtres depuis longtemps dans les classes, qui n’ont donc pas bénéficié des derniers apports de la science et pour les nouveaux venus, sans formation depuis 2008. »

Leçon 3 : les élèves n’écrivent plus

« La pratique de l’écriture manuscrite longue (plus de 10 lignes) reste rare, toutes formes d’activités confondues, ce qui empêche les élèves d’acquérir l’aisance et la vitesse qui seront utiles, dans la prise de notes par exemple. Il est dit que l’effort d’écriture rebute les élèves, et on le leur épargne. » Le constat est sévère. Rien ne permet de l’infirmer si ce ne sont les contre exemples positifs. « Des enseignants qui pratiquent l’écriture libre trouvent que "l’écrit se libère", ce qui rend plus aisée la rédaction sur sujet imposé. Il importe de signaler que ces pratiques ont été observées dans des écoles de l’éducation prioritaire ; leur efficacité montre qu’il est possible d’être exigeant et que, dans ces écoles, les ambitions que l’on se donne le plus communément sont trop réduites. »

Leçon 4 : élaguer les programmes.

L’inspection générale a observé tout au long de son enquête que les 10 heures hebdomadaire de français en cycle 2 et les 8 heures en cycle 3 sont respectées. La demande des enseignants serait même d’en faire plus. « Globalement, les équipes pédagogiques qui ne jugent pas les programmes de français trop lourds, voire "infaisables", sont rares ; ce fut le cas, durant l’enquête, dans une seule école (située en secteur rural, accueillant des élèves de milieux sociaux divers, connaissant une stabilité de ses enseignants). Mais même quand ils considèrent que la charge est excessive, tous les maîtres ne sont pas favorables à un trop grand allégement, notamment quand ils enseignent dans les milieux les plus défavorisés. Ils expriment alors leur conviction que la maîtrise du français – que leurs élèves ne peuvent acquérir qu’à l’école – doit être la première des priorités, mieux calibrée sans doute pour chaque étape de la scolarité. Mais selon eux, ce sont d’autres parties du programme qu’il faudrait supprimer pour mettre l’accent sur l’enseignement de la langue. » Un débat pour le contenu des futurs programmes.

Leçon 5 : rédiger des textes, bof… bof

« 92 % des maîtres interrogés estiment travailler de manière satisfaisante la copie, et 94 % la dictée. Pour la rédaction, ils ne sont plus que 52 % à porter ce jugement favorable sur leurs pratiques », explique le rapport. « Si les cahiers des élèves permettent de vérifier que cette dernière affirmation correspond aux réalités, les écrits n’attestent pas nécessairement un enseignement rigoureux du geste d’écriture. L’observation en classe met en évidence que l’écriture cursive et les pratiques de copie sont souvent mal fixées, avec les conséquences en matière de lenteur et d’approximations graphiques que cela aura inévitablement à plus ou moins long terme. Des inspecteurs qualifient les activités graphiques et de copie d’activités bouche-trou ; ils indiquent ainsi que le maître intervient peu et n’accorde guère d’importance à ces tâches qui relèvent d’un rite scolaire et ne sont pas perçues dans ce qu’elles peuvent avoir de formateur. »

Leçon 6 : l’anglais ? la grande mystification

« L’horaire réglementaire indiqué par les programmes pour l’enseignement de la langue vivante étrangère au cycle 2 et au cycle 3 est de 54 heures annuelles, que les enseignants peuvent décliner hebdomadairement en fonction de leur projet pédagogique. Force est de constater que ces horaires ne sont pas du tout respectés dans 90 % des écoles au cycle 2, où ils varient de 30 minutes à une heure. Seuls onze départements déclarent que les élèves bénéficient d’une heure et demie d’enseignement de langue par semaine. Pour ces derniers, quelques inspecteurs précisent toutefois que la réalité est sans doute inférieure à l’horaire porté à l’emploi du temps. Il semble qu’il soit mieux respecté au cycle 3 dans lequel il se décline majoritairement selon la formule de deux fois quarante-cinq minutes par semaine. Mais, d’une part, beaucoup d’enquêtes notent une nouvelle fois que, si cet horaire est bien affiché, il n’est pas sûr qu’il soit effectivement réalisé, d’autre part les enseignants eux-mêmes avouent, selon les inspecteurs, qu’ils utilisent assez souvent le temps dédié à l’enseignement de la langue étrangère pour rattraper une leçon de mathématiques ou de français. » On comprend mieux pourquoi le niveau des jeunes français est un des bas faibles d’Europe. Même l’Espagne est passée devant nous !

Leçon 7 : des maths dans les programmes ? Ah, bon !

Le rapport de l’inspection reprend un à un les grands domaines de compétences qu’un enfant doit maîtriser en fin de primaire s’il veut pouvoir progresser au collège. La situation est globalement mauvaise. L’analyse de l’apprentissage des mesures, est un bon exemple. « Au cycle 2, près de deux maîtres sur trois (62 %) estiment qu’ils traitent de manière peu approfondie ou trop succinctement les "unités usuelles de longueur, de masse, de contenance et de temps ; la monnaie". Les notions de contenance et de masse sont jugées par certains enseignants non seulement "difficiles" à ce niveau, mais "inutile", ce qui ne manque pas de surprendre puisque ces deux notions sont omniprésentes dans la vie quotidienne des élèves comme des adultes, qui sont amenés à considérer des canettes et des pack de contenances diverses ainsi que des aliments achetés au poids (masse en langage courant). Presque autant de maîtres (58 %) négligent la "résolution de problèmes portant sur des longueurs", grandeur tout aussi essentielle. Et on constate que, paradoxalement, dans ce domaine pourtant directement en prise avec le réel, les élèves sont trop rarement conduits à observer et à agir sur leur environnement. Les outils de mesurage sont insuffisamment utilisés dans des contextes de nécessité ou d’utilités concrètes. Le calcul de coûts semble, lui, échapper à cette distance au réel, et on rencontre plus fréquemment des situations (voyages scolaires ; achats pour la classe…) où les mathématiques sont bien un outil pour agir. Au cycle 3 également, ce domaine du programme est indiqué comme étudié trop succinctement par un nombre important de maîtres : 36 % pour "longueurs, masses, volumes" ; 21 % pour les aires ; 16 % pour les angles ; 14 % pour "repérage du temps, durées" ; 10 % pour la monnaie… et 19 % pour les « problèmes concrets ». Une expérimentation menée par la direction des études et de la prospective du ministère, intitulée PACES, a montré qu’en 6ème les enfants qui retravaillaient ces dimensions progressaient beaucoup plus que les autres qui semblaient s’écrouler par manque de bases.

Leçon 8 : vous avez dit oral ?

On regrette que l’élève français ait plus de mal à s’exprimer en public que ses camarades des pays voisins. La lecture du rapport permet de comprendre que cette lacune trouve tôt ses racines. « L’enseignement de l’oral n’est pas planifié : il ne bénéficie que très rarement de créneaux dans l’emploi du temps et, surtout, ne fait l’objet d’aucune progression. Il n’y a pas en la matière de critères de progrès clairs pour les maîtres (c’est rarissime) qui ne cultivent pas chez leurs élèves une attention personnelle quant au "bien parler" ou au "bien comprendre". De manière concomitante, il n’y a pas d’évaluation réelle même s’il en existe des traces dans les livrets. Interrogés à ce sujet, les maîtres prennent alors conscience qu’ils confondent en fait souvent "participation" et "langage" : leur évaluation est positive si "un élève prend régulièrement la parole".

Les professeurs rencontrés justifient leur abstention dans ce domaine par les arguments du manque de temps et de l’obstacle du grand groupe : il faut "gérer les leaders" pour permettre à tous de parler, ce qui finalement est quasiment impossible ; par ailleurs, souvent, les enfants ne sont pas intéressés par le discours des autres, des problèmes d’attention apparaissent, voire de l’indiscipline. »

Leçon 9 : le « dico », objet d’étude et non d’usage

« La place des dictionnaires ne manque pas d’étonner. Dès le CE1, les exercices sur l’ordre alphabétique sont fréquents et au cycle 3 les activités sur le rangement des mots et sur la lecture d’articles de dictionnaires abondent. Mais alors que le dictionnaire est un objet d’étude attesté, il n’est pas un outil de travail. Rares sont les classes où chaque élève dispose d’un dictionnaire à portée de main et est encouragé à l’utiliser régulièrement dans les tâches de lecture et de rédaction. Interrogés à ce sujet, les maîtres ont tous la même réponse : "ça prend trop de temps". »

Leçon 10 : taper de ses 10 doigts

Vous aimeriez que vos enfants apprennent à taper sur un clavier avec leurs dix doigts ? « Au cycle 2, 10 % des maîtres consultés par questionnaire disent mettre régulièrement leurs élèves en situation d’écrire avec un clavier (c’est une composante explicite du programme) et 54 % reconnaissent ne jamais le faire. D’après les observations en situation, c’est sans doute encore trop dire ; aucune trace n’est visible de ce que les élèves produiraient ainsi, sauf dans les cas rares de blogs d’écoles ou de classes, qui mobilisent d’ailleurs plutôt des élèves de cycle 3. Pour ce qui est des supports numériques pour la lecture ou les recherches documentaires, leur usage est compartimenté dans l’esprit des maîtres : "je le fais en sciences" mais ce n’est plus alors pour eux de lecture qu’il s’agit alors que les compétences de lecture y sont sollicitées à l’évidence. Trois arguments, manque de matériel aisément mobilisable, nécessité de travailler en groupes réduits dès que l’on recourt au numérique et temps à consentir pour cela, sont rédhibitoires pour les professeurs rencontrés. »

Conclusion : former les maîtres ou réformer les programmes ?

Le rapport fait le constat que les maîtres n’enseignent pas certains point du programme qu’ils trouvent « trop difficiles », ou « prématurés ». Les inspecteurs généraux estiment qu’il faudrait « procéder, selon le cas, à un accompagnement des maîtres par de la formation, à des reports sur l’année ou le cycle suivant ou à des ajustements dans les niveaux de maîtrise attendus ». Ce qui signifie donc autant revoir la formation des enseignants que les programmes !

Maryline Baumard

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