PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In A bonne école – 11 février 2013 :

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L’origine sociale influe-t-elle les parcours scolaires ? Ou alors est-ce l’origine ethnique ? Ou les deux ? Ce sont autant de questions que s’est posée la sociologue et directrice de recherche au CNRS Françoise Lorcerie et sur lesquelles elle a travaillé. C’est pourquoi A bonne école.net a choisi de l’interroger à ce sujet. Entretien.

 

A bonne école.net : Qu’est-ce que les classements ethniques dans l’Education nationale ?

 

Françoise Lorcerie : En réalité quand on parle de classements ethniques dans l’éducation nationale, en tant que sociologue, cela veut dire qu’on évoque le fait que les personnels mobilisent des catégories ethniques pour faire leur travail, pour analyser les problèmes, etc. Et donc on aligne l’expression ou le concept de classement ethnique sur celui de classement social.

N’importe qui sait à peut près ce que veut dire une classe sociale aujourd’hui (favorisée/défavorisée, dominante/dominée, etc.). Ces choses-là nous trottent dans la tête et on sait ce que cela veut dire. Ces catégories sociales, d’une façon plus ou moins nette, plus ou moins floue, elles existent dans la vie. C’est-à-dire que les acteurs sociaux repèrent qui appartient à telle classe, qui est distingué, qui est de classe modeste, qui parle un français assez populaire, etc. Nous autres en tant que membres de la société nous distinguons aussi ces classes sociales.

En sociologie, on suppose que l’appartenance des membres de notre société à des groupes d’origines différentes, c’est aussi quelque chose que nous savons faire, repérer. Nous repérons quelqu’un d’origine maghrébine, africaine, asiatique, etc. C’est ça les classements ethniques. Travailler avec c’est admettre que les acteurs sociaux classent d’un point de vue ethnique les individus. 

Maintenant, qu’est-ce que font ces classements dans l’éducation nationale ? C’est une question très critique bien entendu. Car normalement on ne classe pas les individus en fonction de leurs origines. Mais en réalité, et c’est là que l’approche se fait critique, on peut émettre l’hypothèse que parfois, le fait d’être rangé ou rangeable dans telle ou telle catégorie en fonction du nom, produit des effets dans la relation scolaire. Donc on peut se poser cette question-là : est-ce que ça rentre en ligne de compte ?

Ce qu’on regarde déjà, c’est les résultats scolaires des élèves. Est-ce selon que l’on soit "sans origine migratoire visible" ou que l’on soit né de parents issus de l’immigration, cela fait de la différence dans les parcours scolaires ? Est-ce que les carrières scolaires sont les mêmes ou a-t-on plus de chance de se retrouver en lycée professionnel, de redoubler, d’avoir un mauvais niveau, etc. ? Et bien le résultat c’est que non. Cela ne fait pas de différence du point de vue de l’orientation, contrairement à ce que beaucoup disent et contrairement au sentiment des jeunes eux-mêmes. Pourtant, le sentiment est contraire ! Alors objectivement, il n’y a pas de différence liée à l’origine entre un garçon issu de l’immigration et un autre non issu de l’immigration, si les deux partagent un statut social populaire. Car ce qui compte c’est en fait bien plus la classe sociale. Cela engendre une grande différence, le fait d’être issu d’une classe populaire ou pas. Et surtout pour les garçons. Car les filles sont plutôt favorisées et bénéficient en général d’un petit coup de pouce. Par contre les garçons des classes populaires, qu’ils soient issus de l’immigration ou pas, ont globalement des carrières scolaires très défavorables. Notre système scolaire fait échouer beaucoup les garçons de ces milieux populaires. Beaucoup plus que d’autres systèmes scolaires. C’est ce que nous a apporté la comparaison internationale, en particulier les enquêtes PISA, qui testent le niveau scolaire des élèves à 15 ans dans 45 pays et notamment tous ceux de l’OCDE. Et les résultats pour la France sont très différenciés socialement. Nos résultats aux épreuves PISA sont très marqués par l’inégalité sociale. Les enfants favorisés réussissent ainsi nettement mieux que ceux défavorisés.

 

Quelle différence faites-vous entre la multi-ethnicité et le multiculturalisme ?

F. L. : Ce sont des différences construites. On peut dire que ça se rapproche, mais la multi-ethnicité veut dire que l’on a dans les écoles par exemple des gens de différentes origines et de différentes cultures. Des cultures et des origines qui se voient et qui donc entrent en ligne de compte dans les rapports sociaux. En quoi ? Le fait d’être vu comme d’une origine différente vous désavantage dans certaines situations, vous expose à des réflexions désagréables, et du coup vous en tirez la conclusion selon laquelle vous êtes désavantagés, défavorisés y compris à l’orientation, alors que non. Ce n’est pas typique du fait que vous soyez d’origine immigrée mais du fait que vous soyez de milieu populaire.

Quant au multiculturalisme, c’est l’idée qu’il y a dans notre société des cultures différentes dont les porteurs pourraient vouloir être respectés en tant que tel. Cela renvoie donc à une philosophie politique, de la pluralité, de la diversité des cultures, avec différentes positions politiques à ce sujet.

 

Comment l’une et l’autre sont appréhendés à l’école ?

F. L. : La multi-ethnicité en principe n’a pas de statut particulier parce qu’elle n’est pas reconnue comme quelque chose qui existe. Et le multiculturalisme, certains en parlent un peu plus et sentent qu’il existe un besoin de respect, de reconnaissance de la part de certains jeunes, et donc ils essaient de développer parfois des activités permettant de faire sentir aux élèves qu’ils les respectent dans leurs identités, dans leurs parcours particuliers. Beaucoup de professeurs font cela, ceux qui sont sensibles à l’acquisition de repères par les élèves.

Et pensez-vous qu’il existe des discriminations religieuses à l’école ?

F. L. : Alors là c’est pareil on va nous dire que non, que l’école publique est laïque en principe et donc elle met de côté les religion et les respecte. Et depuis la loi du 15 mars 2004, les élèves n’ont pas le droit de montrer des signes de leur appartenance religieuse, on dit donc qu’il n’y a pas de discriminations mais un respect de principe pour toutes les religions et la laïcité sert de loi commune.

En réalité, de façon plus ou moins insidieuse, les différences religieuses entrent en ligne de compte et l’islam est mal vu. Cela se voit par exemple dans le fait qu’il existe des écoles privées religieuses financées par l’Etat pour les gens qui veulent pratiquer le judaïsme, pour les catholiques, pour les protestants, et pas les musulmans, en tout cas pas avec l’aide de l’Etat français. Il n’y a qu’une école musulmane, à Lille, qui soit sous contrat d’association avec l’Etat. Objectivement, il y a une situation qui est défavorable à l’islam. Les musulmans n’étaient pas là au bon moment, c’est-à-dire au moment de la loi Debré en 1959, qui a donné aux écoles religieuses qui existaient la possibilité de se faire financer par l’Etat moyennant des conventions, du coup maintenant ils peuvent difficilement les monter parce que ça coûte cher, et que quand ils arrivent à monter des projets privés ils arrivent difficilement à les faire reconnaître par l’Etat. C’est le cas de l’école d’Aubervilliers, qui existe maintenant depuis 7 ans, qui a été évaluée, qui a toutes les raisons d’être reconnue et qui ne l’est pas.

 

A contrario, quelles croyances, quelles appréhensions persistent chez les parents issus de minorités ethniques ?

F. L. : Effectivement, ce qu’on observe c’est que eux-mêmes ont vécu des expériences parfois difficiles à l’école et ceux-là sont assez crispés à l’égard de l’école. Ils ont le sentiment que leur enfant risque d’être mis en situation d’échec. Ils peuvent projettent sur leurs enfants quand ils n’ont pas réussi eux-mêmes à changer de classe sociale et ont un sentiment de défiance à l’égard de l’école. Par contre les parents n’étant pas nés en France, qui sont eux-mêmes de la première génération d’immigrés et dont les enfants grandissent ici sont assez confiants à l’égard de l’école. Ils ont peur de ne pas faire tout ce qu’il faut, de ne pas être capables d’aider leur enfant à l’école, parfois ils évitent d’aller à l’école parce qu’ils ont peur de leur nuire, mais ils ne sont pas critiques à l’égard de l’école. C’est vraiment les secondes générations qui n’ont pas pu se dégager des quartiers populaires et qui se sentent captifs des quartiers, captifs des "mauvaises écoles", qui du coup se sentent mal aimés et sentent que leurs enfants risquent de ne pas s’en sortir comme eux.

 

 

Quel rôle pour les enseignants à ce moment-là ?

F. L. : Les enseignants, il faudrait qu’ils en soient conscients et qu’éventuellement ils perdent les idées parfois critiques qu’ils ont sur les familles, une partie des enseignants du moins, qui croit encore que les familles populaires se désintéressent de l’école, notamment les familles immigrées. Alors certains d’entre eux reçoivent des formations à ce sujet, pour démonter les croyances et préjugés.

 

 

Propos recueillis par Assmaâ Rakho-Mom
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