PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Pour Philippe Meirieu, spécialiste des questions d’éducation, c’est bien notre société du caprice qui produit des enfants capricieux. Et il est urgent de faire de leur éducation une question de société.

On entend souvent dire que les enfants d’aujourd’hui sont plus agités qu’auparavant. Qu’en pensez-vous?

Lorsque j’ai repris quelques temps une classe de CM2, il y a environ trois ans, j’ai effectivement été frappé par la manière dont les gamins m’interpellaient en permanence. Mais il ne faut pas s’étonner que les enfants soient hyper stressés, excités, impatients zappeurs et inattentifs. La société dans laquelle vit l’enfant est une société du caprice, de la pulsion, de l’immédiateté. C’est dans cette société là qu’il faut penser l’enfant et son éducation.

Pourquoi ne se lance-t-on pas dans une telle réflexion?

Quand on tente d’engager une réflexion globale sur l’éducation, on se heurte à de gros intérêts financiers auxquels il ne faut pas toucher. Je vais vous donner un exemple précis. Il y a quelques années, on a assisté à la suppression des génériques de fin d’émission dans les programmes proposés aux enfants le matin pour une raison simple à cela: éviter le zapping entre M6 et Tf1, qui se font la guerre pour capter le public infantile. Et surtout: être sûr que l’enfant, prescripteur d’achat, soit bien là pour les pubs. Je n’ai pas manqué d’interpeller le ministre de l’Education nationale de l’époque sur cette pratique, qui me semble en pleine contradiction avec le respect des droits de l’enfant. Il m’a rétorqué que cela ne relevait pas de son domaine. Quand on sait qu’un élève peut passer jusqu’à une heure et demie devant la télévision le matin avant d’aller à l’école, que les images ont un impact sur l’enfant et ses capacités d’attention, il me semble difficile de considérer que cela ne regarde pas l’Education nationale.


Pour vous l’Education nationale devrait donc aussi s’intéresser aux programmes télés?

Elle devrait même s’intéresser à toutes les composantes de la vie de l’enfant. Mais la société contemporaine n’a pas fait de l’éducation un objet de débat. Il y a eu un « débat sur l’école », pas sur l’éducation. S’il y avait une réelle discussion politique sur l’éducation de l’enfant, on ne pourrait la mener sans poser la question de ses rythmes, de ses activités, de la ville, d’Internet, de la télé…Ne pas être dans le zapping permanent, dans la dispersion, cela s’apprend! C’est même essentiel d’apprendre aux enfants à passer de la pulsion, à laquelle on cède immédiatement, au désir, dont on savoure l’attente. Apprendre à différer; à prendre le temps: à fixer son attention. Donner du temps pour le développement. Car l’enfant est un sujet qui doit être accompagné dans son développement . Le problème, si j’ose dire, c’est que son développement n’est pas quantitativement évaluable.

Vous voulez dire qu’on veut tout quantifier?

La société ne fonctionne que sur des indicateurs quantitatifs. Il suffit de lire les nouveaux programmes pour constater qu’il n’y a aucune volonté politique d’avoir une approche globale de l’éducation de l’enfant. L’éducation y est réduite à une succession d’apprentissages évaluables quantitativement. Et l’enfant des nouveaux programmes est un objet mécanique évaluable. Quant à son côté hyper stressé, impatient et zappeur, faute de mieux, on le traite aujourd’hui à coup de répression adaptée ou de médicalisation. une formule m’est venue qui pourrait bien être la maxime de notre société: « liberté totale pour les marchands d’excitants, répression totale pour les excités ». Derrière cette formule, il y a une question de fond. Une société qui traite tous les problèmes par la médecine est une société malade. Cessons de jouer les apprentis sorciers!

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