PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

[|Questions autour des évolutions du projet éducatif territorial|]

Bernard BIER,
Chargé d’études et de formation INJEP.

Le projet éducatif territorial : un acquis

La notion de projet éducatif territorial semble aujourd’hui acquise : qu’il soit à l’initiative des collectivités territoriales et antérieurs à la mise en place des CEL (Hérouville, Saint-Fons), ou s’inscrivant dans la logique des politiques territorialisées à l’initiative de l’Etat suite à la mise en place des CEL puis des PEL. De plus en plus nombreuses sont les collectivités soucieuses d’un projet éducatif global et d’une mise en cohérence des dispositifs et des acteurs de l’éducation sur leur territoire.

Quelques indices témoignent de cette dynamique :
– des Contrats Educatifs Locaux (CEL) devenus Projets Educatifs Locaux (PEL) se transforment peu à peu en politiques éducatives de territoire : au-delà de la tranche d’âge fixée par le CEL, en visant plus largement un continuum des âges, dans un souci d’insertion sociale et professionnelle… ;
– des collectivités (dans le 93 par exemple) qui n’ont pas voulu s’engager dans la contractualisation CEL pour des raisons politiques s’engagent dans le même sens ;
– d’autres niveaux de collectivités (Département, Région) se saisissent aussi de la question éducative. A noter que la dynamique lancée par l’Etat sur d’autres dispositifs est reprise par des collectivités : par exemple la Région Rhône Alpes qui met en place un dispositif de « Réussite éducative » pour les 16-18 ans.
– et malgré les restrictions financières, il n’y a pas d’abandon de la majorité des collectivités sur le sujet, tant la question éducative apparaît un enjeu d’avenir et répond à une demande sociale forte.

Mais des bémols dans ce bilan

La recherche de cohérence se heurte d’abord aux effets de territoire institutionnel. Certes des politiques partenariales sont mises en place (avec leur déclinaison contractuelle), mais la cohérence entre l’Ecole et ce qui relève des champs traditionnellement appelés « périscolaires » ou extrascolaires – terminologie ô combien contestable – est rarement effective : l’histoire de l’aménagement des rythmes en témoigne, ou plus récemment les CEL, contractualisés avec l’Education nationale, mais qui ne touchent pas le temps de l’école.

Le traitement de la difficulté scolaire a longtemps été externalisé hors de l’école dans une division du travail dans laquelle les associations pouvaient se retrouver économiquement – quitte parfois à y perdre leur âme ou à entretenir des ambiguïtés sur leur mission et un brouillage dont elles risquent de payer aujourd’hui les effets.

Ensuite les restrictions de financements et les évolutions des orientations des institutions financeuses posent question : on assiste à un recentrage sur une tranche d’âge (les adolescents) et un public cible (celui de la cohésion sociale), comme si on avait aujourd’hui un nouveau partage des tâches : aux collectivités des politiques plus transversales (ou universelles), à l’Etat le spécifique. Hypothèse corroborée par maints observateurs des politiques publiques .

Des questions se posent aussi sur les logiques sécuritaires qui pourraient être celles de certains dispositifs, soit dans leur principe, soit dans les dérives possibles. Il n’est pas dit en effet que la « Veille éducative » et la « Réussite éducative » n’aient pas été dans l’esprit de certains de leurs promoteurs exemptes d’ambiguïté. De même que les études sur la dé-scolarisation lancées il y a quelques années par une initiative inter-institutionnelle qui partaient autant de préoccupations d’ordre public que de questions d’apprentissage – les équipes de recherche ont ensuite recentré la question et montré le peu de pertinence des raccourcis entre déscolarisation et délinquance .

L’individualisation des parcours inquiète aussi certains qui y voient à la fois le risque de fichage et de stigmatisation, l’imputation aux familles de l’échec scolaire et des difficultés familiales et sociales, et une rupture avec une visée éducative qui consistait à construire le citoyen – outre le fait que le collectif se prêterait mieux à des apprentissages qui par « nature » sont socialisés.

Last but not least, le lancement sans concertation par X. Darcos de l’ « Accompagnement éducatif » » participe du mouvement de re-scolarisation de la société et de l’éducatif, qui peut a priori répondre à une demande sociale à courte vue, mais dont les milieux populaires feront les frais à moyen terme.
Ceci dans un contexte de projets pour le moins contestables autour de l’Ecole : restriction du nombre de jours de classe en primaire, retour aux « vieilles méthodes qui ont réussi », conception de l’évaluation ne prenant pas en compte le temps long de l’éducation…

En conclusion, on serait passé dans un premier temps d’un discours social (le changement de société est le préalable à la réussite des élèves de milieu populaire) à un discours scolaire (l’école peut tout, versus c’est de la faute à l’école), et les politiques sécuritaires et de « responsabilisation des familles » nous conduiraient aujourd’hui du scolaire au familial et au sanitaire et social.

Ceci semble d’ailleurs être le sous-bassement de la question liminaire posée dans cet atelier.

Pourquoi cet étonnement ?

Je me permettrai de m’étonner de votre étonnement et de votre questionnement. N’y a-t-il pas quelque naïveté à s’étonner que les évolutions de la société touchent l’école, et le champ éducatif plus largement ? Ces champs seraient-ils déconnectés de toute société ?
Rappelons Durkeim qui dans L’évolution pédagogique en France analysait le système éducatif (i. e scolaire) comme inscrit dans la société, à la fois comme produit de l’existant, « reflet », et comme projection (à partir des valeurs).

Les évolutions actuelles du système éducatif (qui excède les limites du système scolaire) s’inscrivent donc dans des tendances lourdes qui sont celles de l’époque :

– une pathologisation des difficultés vécues par certains jeunes ou certaines familles. Il faudrait « soigner la banlieue » , et repérer, jusque dans les premiers mois de la vie de l’enfant, les facteurs de risque prénataux et périnataux, génétiques, environnementaux et liés au tempérament et à la personnalité, comme le préconisait le rapport de l’INSERM « Troubles des conduites chez l’enfant et l’adolescent » (2005) .

– une ethnicisation de difficultés qui autrefois auraient été lues en terme social. Un des exemples en est le « Rapport parlementaire de la commission d’études parlementaire sur la sécurité intérieure », dit rapport Bénisti (2004) , qui identifie dans l’usage domestique par les parents migrants d’une langue autre que le français, vecteur de délinquance. On pourrait citer encore certains propos expliquant les événements de novembre 2005 par la polygamie des familles africaines.

– une moralisation du discours sur les enfants, les jeunes et leurs familles, qui dispensent d’analyses contextualisées et en termes de complexité. Dans ce cadre, toute tentative de compréhension de nature sociologique est perçue comme justification, angélisme…

– le passage, pour reprendre les termes de L. Wacquant d’un « Etat social » à un « Etat pénal », ou formulé autrement d’une « société disciplinaire » (Foucault) à une « société de contrôle » (Deleuze), tels que les évolutions législatives en cours sont en train de la construire. S’agit-il aujourd’hui de remédier à certaines situations, de travailler sur les causes structurelles des phénomènes qui frappent certaines populations, ou de maintenir la paix sociale et dans des espaces de relégation ceux qui pourraient la menacer ? Le débat est ouvert.

– la disparition du discours de la démocratisation de l’école et de l’éducation (autrement dit le discours sur l’ « égalité des droits ») au profit du discours de l’ « égalité des chances ». Un récent rapport de qualité de l’iGEN-IGAEN sur l’éducation prioritaire fait d’ailleurs référence à cette « égalité des chances » (mais le titre aurait été imposé par la commande aux auteurs !). Antienne qui renoue avec le modèle méritocratique – ce qui explique peut-être aussi son succès large y compris dans des milieux que l’on souhaiterait plus sensibles à la question.

Nouveauté ou retour du même ?

Ce mouvement pointé par les instigateurs de l’atelier est-il bien nouveau ?

Qu’est-ce qu’éduquer ? Pour un des pères fondateurs de l’école en France, E. Durkheim, l’éducation c’est d’abord encadrer, socialiser, instruire et construire le citoyen. Il comprenait la socialisation de l’enfant comme l’emprise de la société sur l’« être égoïste et asocial qui vient de naître » Nous ne sommes guère éloignés du « sauvageon ». Rappelons-nous les préoccupations hygiénistes à la fin du 19ème siècle dont parle entre autres Jacques Donzelot dans sa Police des familles. On pourrait dire, avec Alain Vulbeau , qu’à la fin du 19ème siècle, éduquer relève à la fois la pédagogie et de l’orthopédie (littéralement tenir le corps droit).

Les préoccupations hygiénistes, telles du moins qu’elles étaient affichées dans la seconde moitié du 19ème siècle, ont progressivement disparu compte tenu de l’amélioration globale du niveau de vie, de santé et de la diffusion des loisirs…

Mais elles vont perdurer en particulier dans le champ sportif, par exemple lorsqu’en 1934 l’éducation physique quitte le ministère de l’Instruction publique pour celui de la Santé. Dans le gouvernement Blum nommé le 4 juin 1936, l’éducation physique et les sports sont placés sous la tutelle du ministère de la Santé.

Ce n’est qu’en 1937 que Léo Lagrange met définitivement un terme à la conception hygiéniste du sport et des loisirs en élargissant l’action éducative de la nation au champ des loisirs », écrit l’historien Nicolas Palluau .

Mais on pourrait s’interroger sur le sens du rattachement récent du ministère de la Jeunesse et des Sports à celui de la Santé, de la déferlante des campagnes contre le tabac, l’alcool, l’obésité… , au quasi monopole du discours sur le sport dans ce ministère qui est pourtant aussi celui de la jeunesse, de l’éducation populaire (une direction porte encore ce nom)…

Mouvement de balancier ? Régression ? Néo-hygiénisme ? Ou « sanitarisation des questions de jeunesse », selon la sociologue Patricia Loncle ?

Des pistes/des questions

Loin de nous émouvoir du fait que la question sociale soit posée (même si on peut en questionner les formes), ce serait son oubli qui serait inquiétant. On sait que si l’école peut, elle en peut pas tout et seule.

Que certaines difficultés vécues par l’enfant à l’école sont liées à la situation économique et professionnelle des familles, aux problèmes de logement, de santé, qui occupent tout l’espace mental de l’enfant et l’empêche d’entrer dans des préoccupations scolaires ou plus largement éducatives.

C’est bien en travaillant conjointement sur l’un ET l’autre que l’on pourra conduire les enfants et les jeunes vers une réussite éducative (non réductible à la réussite scolaire, mais l’incluant).

L’éducation est bien un problème qui relève du politique (quelles sont les finalités de l’éducation ? quel homme pour quelle société ?) et du social (quel « cadre d’expérience » ?). C’est donc aussi dans ces champs que les questions doivent être (bien) posées. Il importe de ré-introduire à la fois une approche globale/systémique de l’enfant dans son environnement, sans nier le rôle spécifique de l’éducation.

Quant aux dérives que pointent (légitimement) certains, c’est aussi dans la mise en œuvre des politiques éducatives sur les territoires qu’elles se jouent. D’où l’importance de l’appropriation des dispositifs au local, de la liberté et de la capacité éthique et professionnelle des acteurs locaux à leur donner du sens…

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