PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

En France, la prise en charge institutionnelle des jeunes enfants dans des structures éducatives, extra-familiales et collectives, est un phénomène relativement ancien : déjà, au XIXe siècle, elle entendait [*l’accueil des enfants de deux ans*]. Entre 1980 et 2002, [*environ un tiers des enfants âgés de deux ans est légalement scolarisé*] en maternelle. Néanmoins, depuis la rentrée scolaire 2003-2004, le taux de scolarisation à deux ans s’érode de manière sensible. À telle enseigne qu’en 2007-20081, près d’un cinquième (20,9 %) des enfants de cet âge fréquente l’école maternelle. Par-delà la réalité statistique du phénomène de scolarisation précoce, cette situation reflète l’existence, dans la société française contemporaine, d’une logique de préscolarisation exerçable dès deux ans, laquelle coexiste avec le principe politique d’instruction obligatoire de six à seize ans révolus, inhérent à la réforme Berthoin de 1959. Question controversée, l’école à deux ans suscite des débats, des discours et des publications récurrents. La preuve en est qu’en 2008 la scolarisation des tout-petits a fait l’objet de déclarations et de prises de positions politiques de la part du ministre de l’Éducation nationale devant la Commission des Finances du Sénat, et a donné lieu à la publication d’un rapport d’information établi par le Groupe de travail sur la « scolarisation des jeunes enfants », placé sous l’égide de la Commission des Affaires culturelles du Sénat. Par ailleurs, l’approche statistique fait apparaître d’importantes [*disparités territoriales de taux de scolarisation à deux ans selon les départements, les régions, les académies et les ZEP.*] Au-delà de l’aspect statistique, représentatif du phénomène de préscolarisation contemporain, nous avons cherché à identifier et à expliciter les logiques et les politiques éducatives qui portent ou légitiment l’idée d’une scolarisation des enfants de deux ans, afin d’en comprendre le sens. Quels sont les enjeux et les perspectives de cette scolarisation ? Pourquoi n’a-t-elle pas eu un développement égal en tous les points du territoire français ? En France, l’école fut et reste une question politique et nationale. Aujourd’hui, suite à la législation décentralisatrice de la décennie 1980, les établissements scolaires publics sont rattachés aux collectivités territoriales de la République : les écoles maternelles et élémentaires à la commune, les collèges au département, et les lycées à la région. Cette situation de décentralisation éducative, caractéristique de la territorialisation du service public d’éducation, est une première façon de rendre compte des rapports qu’entretiennent l’État, l’école et le local. De la IIIe République au début de la décennie 1980, le modèle d’école a été pensé en référence à l’idéal politique républicain construit sur des fondements tels que l’égalité, la laïcité, l’unité et l’universalité, et sur des idées philosophiques et politiques nourries par la pensée des Lumières (les Droits de l’homme, l’humanisme, la liberté, le progrès, la raison et la tolérance). Des questions telles que l’État, le sujet, le citoyen, les valeurs et les savoirs faisaient débat dans les idéologies universalistes et nationales. Les dispositions et structures de l’État central, jugées les plus démocratiques, reflétaient une [*idéologie jacobine de l’unité*], dont la prégnance suscitait une défiance, voire un sentiment d’illégitimité, quant à l’intervention du local dans les affaires publiques éducatives. Les politiques publiques d’éducation se structuraient autour d’une logique de démocratisation, pensée en termes d’unification et d’homogénéisation. Toutefois, ce modèle prégnant occultait une forme de décentralisation scolaire qui préexistait à la législation décentralisatrice des années 1980. Au cours des décennies 1980 et 1990, l’application à l’Éducation nationale d’une politique de réforme institutionnelle, lisible dans la territorialisation éducative (la décentralisation, la déconcentration et la politique d’éducation prioritaire), témoigne d’une inflexion idéologique et culturelle dans le mode de penser la gestion des politiques publiques d’éducation. Corrélativement émergent de nouveaux concepts (discrimination positive, gouvernance, partenariat, projet, réseau…), révélateurs du changement de logiques d’action étatiques dans le champ éducatif. Les changements introduits dans la gestion des politiques éducatives, notamment la nouvelle organisation décentralisée du système éducatif français, ainsi que le concept de gouvernance, sont communément pensés et présentés comme un recul de l’engagement de l’État central dans les politiques publiques et une avancée du local. Mais, sans être erronée, cette thèse nous semble quelque peu réductrice. Elle interprète les changements organisationnels, institutionnels et politiques des vingt-cinq dernières années comme un simple renversement de la logique centralisatrice et nationale. Ce qui fait sens dans notre mode de penser les rapports entre le national et le local, et produit de l’intelligibilité quant à la position que nous soutenons sur la territorialisation contemporaine des politiques publiques, c’est moins la montée du local au détriment du national que les nouvelles formes d’articulation du national et du local. Pourquoi l’État décide-t-il, à partir des années 1980, d’apporter divers changements dans la gestion des politiques publiques d’éducation ? Dans un contexte de territorialisation politique, gestionnaire et géo-administrative, comment se transforment les rapports entre l’État, l’école et le local ? Qu’en est-il alors du problème de l’égalité sociale face à l’école de la République comme institution de service public national ? Enfin, [*quels sont les dynamiques, les enjeux et les concepts émergents structurant les politiques publiques d’éducation ?*] Si nous lions le phénomène de scolarisation à deux ans à celui de la territorialisation éducative, nous constatons que, selon l’endroit où l’on habite, il est plus ou moins facile de trouver une place à l’école pour son enfant de deux ans ou deux ans et demi. Et ce, bien que l’égalité sur l’ensemble du territoire national de tous les enfants face à l’instruction soit un principe républicain auquel les Français restent attachés. Du point de vue du savoir et du sens, [*pourquoi et pour quoi l’État et ses services déconcentrés, les collectivités territoriales, l’école et les parents scolarisent-ils (ou non), aujourd’hui, les enfants de deux ans ? Quels sont les fondements et les ressorts de leur mobilisation (ou non) ? Comment les questions de justice sociale et d’équité face à l’offre d’école à deux ans sont-elles pensées et gérées par les pouvoirs publics nationaux et locaux ? *] Enfin, comment se construit et s’exprime l’intérêt général en matière de scolarisation à deux ans ? C’est à l’analyse d’un double phénomène – celui de la scolarisation à deux ans comme objet empirique et celui de la territorialisation comme problématique générale – qu’est consacrée la présente conférence. Cette analyse s’inscrit dans une perspective d’explicitation des dynamiques et des contradictions auxquelles sont confrontées les politiques publiques d’éducation en France. Pour mener à bien l’étude de ce double phénomène, nous avons eu recours à deux types d’instruments de recherche : [*la constitution d’un corpus de textes*] et la [*réalisation d’enquêtes*] de terrain. Ces instruments méthodologiques ont permis de recueillir et d’analyser des données de type documentaire, statistique et qualitatif. L’analyse discursive du corpus de textes a porté sur des publications (articles, ouvrages, rapports, textes officiels) en lien explicite avec la problématique. Des entretiens non directifs de recherche ont été menés auprès d’acteurs institutionnels ou politiques de deux départements (l’Eure et la Seine-Saint- Denis) et de deux villes (Vernon et Saint-Denis), et auprès de personnels du ministère de l’Éducation nationale, en charge de la scolarisation des tout-petits. Notre conférence résulte, en partie, du travail de réécriture, de synthèse et d’approfondissement des principaux apports de notre thèse de doctorat sur la territorialisation éducative, vue à partir de l’objet empirique « scolarisation à deux ans ». Elle s’appuie également sur notre ouvrage intitulé L’école à deux ans en France (Warren, 2008b). Cette conférence s’inscrit dans le cadre de la réflexion actuelle sur les différents segments du système scolaire et, dans cette réflexion, nous centrons notre propos sur la question de l’école à deux ans en France. Au final, trois questions centrales ont motivé et orienté notre recherche. Pourquoi scolarisons-nous nos enfants dès deux ans ? Pourquoi et en quoi la scolarisation à deux ans est-elle une responsabilité partagée entre les municipalités et l’État ? Enfin, dans quelle mesure renvoie-t-elle à la fois à un mode nouveau de gestion de la chose publique éducative et à une nouvelle conception de l’État ? Nous privilégions ici une [*approche plurielle de la scolarisation des tout-petits structurée autour d’une thématique déclinée en six points : l’histoire de la préscolarisation, les discours et les logiques politiques nationales actuelles sur l’école à deux ans, la demande sociale de scolarisation, le rapport au savoir, la territorialisation éducative, et l’émergence d’un processus de déconcentralisation.*]

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