PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Qu’apprendra-t-on à l’école de demain ? C’était l’objet d’une table ronde, vendredi 28 novembre, au siège du Monde à Paris, dans le cadre de la conférence « Enseigner demain ». Voici un résumé des échanges, animés par Maryline Baumard, journaliste spécialiste de l’éducation, qui avait invité trois experts de ces questions :

  • Sébastien Turbot, directeur de programmes et contenus au WISE (le forum mondial sur l’innovation en éducation, organisé par la Qatar Foundation)
  • Sophie Pène, professeure a? l’université Paris-Descartes, responsable du groupe école au Conseil national du numérique, qui a publié récemment le rapport Jules Ferry 3.0
  • Son-Thierry Ly, enseignant à l’Ecole d’économie de Paris, chercheur et entrepreneur

Maryline Baumard : je vais d’abord demander à chacun de vous d’introduire le débat… 

Sébastien Turbot :  « L’école n’a jamais été aussi critiquée. L’école d’aujourd’hui nest pas adaptée à l’école de demain. Deux visions s’affrontent : utilitariste (l’école doit former aux métiers de demain) et humaniste, avec les objectifs qu’avait fixés Jacques Delors à l’université. Apprendre à connaître/apprendre, apprendre à être, apprendre à vivre ensemble, apprendre à faire. Faut-il tout personnaliser ou tout standardiser ? C’est un débat de toujours.

J’aurais envie de répondre : l’école doit donner envie d’apprendre, apprendre à innover et à créer. Les auteurs américains évoquent les 4 C : créativité, communication, collaboration, (esprit) critique. Les traits de caractère font ainsi partie du champ de l’apprentissage, Poltov appelle ainsi à une école qui doit savoir nourrir la persévérance. Quand la recherche nous montre que 43 % des métiers d’aujourd’hui seront automatisés d’ici vingt ans, et que 65 % des actuels élèves de maternelle exerceront des métiers qui n’existent pas, on se dit que l’école doit préparer à l’incertitude, comme le dirait Edgar Morin. De moins en moins de jeunes s’inscrivent dans les études scientifiques, alors qu’il faut investir dans ces matières. En Chine, avec le piège du revenu moyen, les plus hautes autorités de l’éducation réfléchissent à comment passer du « fabriqué en Chine »  au « créé en Chine ». Enfin, on voit bien combien il devient difficile pour les élèves d’être réceptifs à l’école, alors qu’ils jouent désormais, très tôt, un rôle actif et en interaction via les réseaux sociaux. 

Sophie Pène : On sait que le système scolaire n’est plus maître de ses contenus. C’est dehors que ça se joue. L’école de papier est un modèle archétypique, mais on sait que c’est un peu pire chez nous qu’ailleurs. Le plan de lutte contre le décrochage scolaire tout juste annoncé entend faire de la prévention, du soutien, sans revoir le contenu des programmes, alors qu’il fait partie des causes du décrochage. Le Web des données est arrivé comme un compétiteur de l’enseignant. Nous sommes désormais dans une société de la question, avec Internet qui permet de toujours trouver une réponse. On a découvert que l’économie numérique avait décidé de s’emparer de l’école. Les levées de fonds dans ce secteur, dans la Silicon Valley, sont impressionnantes. On s’aperçoit aussi que les disciplines ont explosé. Or l’école ne sait pas tout faire ensemble. Le savoir n’est pas un bien public, celui de l’Etat, mais un bien commun, qui nous concerne tous. Hélas, l’école n’est pas considérée comme un lieu de savoir mais comme un parent pauvre, celui de la scolarisation.

L’éducation, désormais, c’est aussi prendre soin de soi, avec la formation à la santé, au bien-manger, au développement durable.

Son-Thierry Ly : La France privilégie le raisonnement théorique. Nos programmes scolaires sont chargés de concepts. Et ils sont si lourds qu’il n’y a pas d’autre possibilité pour les enseignants que de « bourriner » [applaudissements de la salle]. En France, l’enseignement part de la théorie, du concept, avant de donner des exemples. Il faut changer de paradigme. Partir de situations concrètes, complexes, et savoir en dégager des tendances, partir de l’expérience et en dégager de la théorie, comme peut le faire l’enseignement anglo-saxon. Cela permet de répondre aux besoins concrets de la vie de tous les jours, alors que notre école à nous nous rend très bons en recherche mathématique. Cela permettra aussi de lutter contre les inégalités, alors que notre école ne valorise pour l’instant qu’une forme de réflexion, abstraite. En apprenant que, dans un sens, on exclut tous ceux qui pensent différement. Cela permettra aussi d’apprendre à apprendre : savoir partir du concret, dégager des récurrences… C’est une utopie de penser qu’on va apprendre tout ce qui nous servira pour la vie entière. Il faut pouvoir analyser l’existant pour savoir ce qui manque et innover. Le raisonnement inductif, c’est ce qui amène à innover. 

Maryline Baumard :  Quels pourraient être les nouveaux modes d’entrée dans les sciences par les outils numériques ?

Sophie Pène : Se former à l’informatique, c’est apprendre en faisant, ensemble, à l’épreuve de la fabrication. Les enfants qui l’apprennent se mettent à plusieurs pour trouver des solutions. On approche de l’interdisciplinarité. C’est la révolution du « Do it yourself ».

Son-Thierry Ly : La beauté du code, c’est être capable de créer un univers.

Maryline Baumard : La  France est très forte pour dégoûter les élèves des maths…

Sébastien Turbot : Le project based learning [pédagogie de projet], c’est traiter différemment les connaissances et les compétences. Il existe des exemples de pédagogie en groupe, avec de l’interdisciplinarité. Essayer, écouter, réessayer. A San Francisco, des élèves ont travaillé sur la pollution, avant de réaliser un webdocumentaire. Il ne s’agit pas de traiter de plus de choses, mais de faire différemment. Il faut aussi revenir à la petite enfance : c’est à ce moment-là qu’on peut développer la confiance en soi, le travail avec les autres.

Son-Thierry Ly : Le mieux serait d’alléger les programmes, qui sont particulièrement lourds en France. On pourrait enseigner deux fois moins de choses, ce ne serait pas tirer vers le bas car les élèves apprendraient activement.

Sophie Pène : en France, il n’y a pas la notion de collectif d’enseignants, qui travaillent vraiment ensemble au sein d’un établissement. Au centre de recherches interdisciplinaires de Paris-Descartes, où je travaille, le mot d’ordre est d’« apprendre par la recherche ».

Maryline Baumard : L’apprentissage de l’écriture cursive a disparu du programme de certains Etats américains….

Sophie Pène : Je me demande si, finalement, le clavier ne va pas disparaître avant le crayon. On voit de plus en plus de palettes graphiques, ainsi que les logiciels de dictée à la voix. 

Son-Thierry Ly : Personnellement, j’ai tapé mes cours directement sur ordinateur à partir de la cinquième… Il faut faire attention : dire que tout se joue en maternelle et en primaire, c’est s’abstenir d’une réflexion et de réformes dans le secondaire, or tout doit évoluer ensemble. J’étais récemment dans une rencontre avec des chercheurs américains : ils posent des questions, interviennent souvent, se trompent. Alors qu’en France, on ne lève le doigt pour parler que quand on est sûr de ce qu’on va dire. Nous ne sommes pas dans l’apprentissage, utile, par l’essai et l’erreur. J’essaie de concevoir des jeux vidéos éducatifs, en partant vriament de ce qui fait un jeu. La conception est finalement proche de celle d’un cours : il faut que le niveau soit ni trop facile – ce ne serait pas drôle – ni trop difficile, car cela dissuaderait d’aller plus loin. 

[Les questions suivantes émanent du public de la table ronde] :

– Que changer dans la formation des enseignants ?

– Pourquoi faut-il de la peine pour apprendre ? Quand on introduit du jeu, les parents réclament du sérieux…

Son-Thierry Ly : Les parents demandent ça car ils n’ont connu que ça. Les élèves d’aujourd’hui sont tellement habitués à la contrainte que, si on les met en cercle pour créer et jouer, c’est vite le souk. Il y a une réflexion à avoir sur la formation des enseignants. Pourquoi ne pas prévoir le même dispositif que pour les médecins, avec beaucoup de temps sur le terrain, du primaire au lycée, pour qu’ils connaissent chaque niveau et pas seulement celui où ils enseigneront. Et prévoir qu’ils puissent regarder, et seulement plus tard participer ? [applaudissements nourris]

Sébatien Turbot : La question centrale est celle de la confiance au moment de la formation, dans les classes et avec les parents.

– Ne pourrions-nous pas donner plus de place au travail manuel dans l’enseignement ? J’ai moi-même enseigné dans un établissement privé où une grande place était donnée à la fabrication d’objets…

Son-Thierry Ly : Beaucoup de gens ont en effet un rapport paticulier à l’objet et comprennent mieux en manipulant. On pourrait, à l’école, ouvrir des temps dédiés à cela. Ne pas choisir une forme d’enseignement mais les ouvrir un peu toutes. Il existe à Barcelone une école des intelligences multiples, qui donne de très bons résultats.

Maryline Baumard : Je vous invite chacun à clore le débat en résumant d’une phrase ce que serait selon vous la mission de l’école de demain …

Sébastien Turbot : Mon fils est en deuxième année de maternelle et, déjà, il apprend à écrire. Je ne sais pas qu’en penser. A mon sens, l’école doit donner envie d’apprendre à apprendre.

Son-Thierry Ly : L’école ne doit pas être la seule à déterminer la place de chacun dans la société.

Sophie Pène : Il faut aller vers une école plus juste et plus créative.

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