PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

« Jouons avec et sur les mots » : avec Jean-Claude GUERIN, IGEN Honoraire, membre du bureau de PRISME

Séquence collective autour du sens de quelques mots-clés et des représentations que nous véhiculons.

Animation Olivier MASSON, Chargé de mission secteur Education à la Ligue de l’Enseignement

Nous allons discuter sur le sens d’un certain nombre de mots, des significations qu’ils peuvent porter notamment pour ceux qui les entendent, pas forcement ceux qui sont ici mais dans les discours publics.

Plutôt que de partir sur tel ou tel mot, je voudrais dire pourquoi il me semble nécessaire de réfléchir sur les mots utilisés (et éventuellement ceux qui ne sont pas utilisés!), sur leur sens et leur signification Il faut réfléchir cela par rapport aux discours politiques mais aussi à la manière dont les récepteurs entendent et comprennent ces termes véhiculés voire assénés et repris sans explicitations par les médias.

On comprendra peut-être beaucoup de chose rétrospectivement sur certains échecs. Comment sont perçus par les divers interlocuteurs ces mots ? Quels en sont les sens pour eux ? A quoi font-ils référence pour celui qui les prononce mais aussi et surtout pour celui qui les reçoit ? Les termes employés intentionnellement par Nicolas Sarkozy pour qualifier les jeunes (et les banlieues), la racaille et les voyous, sont venus faire référence implicite et rappeler de façon « subliminale », dans la mémoire collective les « salopards en casquette qui profitaient dès 1937des congés payés » et qui déferlaient sur les plages de la côte d’azur, jusqu’alors protégées, ou encore la  » racaille qui venait bouleverser la tranquillité et l’hygiène des plages de la manche». Bon nombre de gens l’avaient oublié.

Pourquoi réfléchir sur les mots ? Trois raisons nous y obligent.
La première : dans ce que nous militants et associatifs, et les politiques veulent proposer et avancer, il y a nécessité de réfléchir sur le « comment être compris précisément dans ce qui est dit», dans le contexte des petites phrases ou des formules rapides. Par exemple on peut se demander ce que veut dire le mot République pour celui qui le prononce mais surtout ce qu’il signifie pour celui qui l’entend…. Tous les politiques qui parlent de pacte républicain ou d’Ecole de la République ont-ils la même conception, leur donnent –ils le même contenu?

L’autre mot sur lequel on devrait travailler est le terme de citoyen ou de citoyenneté. Mis à toutes les sauces (débat citoyen, pratiques citoyennes, responsabilité citoyenne…) n’est-il pas de l’ordre de l’exorcisme ou de l’incantation? Que veut-il dire en terme de responsabilité et de droits, comment est-il vécu dans la réalité quotidienne ? Comment faire que les administrés soient non seulement qualifiés de citoyens (quand cela arrange pour noyer le poisson) mais surtout considérés comme des citoyens avec leurs droits ?

Deuxième raison : l’urgence de reprendre pied sur le terrain idéologique et culturel. Reprendre pied c’est clarifier les termes que l’on emploie pour surmonter le brouillage actuel, savamment organisé dans une stratégie de communication. Ce qui n’empêche pas, sur un plan plus technique ou plus limité, d’analyser la rhétorique à l’œuvre, fondée en partie sur la compassion et l’émotion.

La troisième raison : depuis le club de l’horloge et diverses officines, le discours s’est progressivement réarmé et les idées contestant les évolutions issues des Lumières se sont développées et affirmées sous des arguments dérivatifs (par exemple l’équité venant remplacer le prétendu égalitarisme), la sécurité venant se substituer à la notion de sûreté, les moqueries sur le « droitdelhommisme » venant faire le lit de la peur de l’étranger et de l’autre…).

Face à ce réarmement moral, ne faut-il pas retravailler sur ce que veut dire réforme? Réformer, est-ce une conception de mettre à l’écart ou est-ce la conception militaire ? Jusqu’alors la conception de réforme était dite de gauche, sous tendue par une idée de progrès humain et social: aujourd’hui où est-elle ? N’y a t-il pas une analogie frappante entre la récupération de l’idée de révolution par la révolution nationale, de la justice par l’ordre et la récupération de la réforme par la déréglementation, la main invisible du marché? Sur ce plan, bien d’autres mots sont utilisés (pour ou contre d’ailleurs) mais qui n’ont n’a pas été définis: partenariat, coopération, accompagnement en sont quelques exemples. L’accompagnement, envisagé tout au long de la vie, ne serait-il pas en mesure de nous fournir un axe fort pour en décliner concrètement les différents aspects et donner du grain à moudre aux acteurs sociaux autant qu’aux politiques des collectivité?

Dans le même ordre de préoccupations un terme comme ceux de communauté et de communautarisme doivent être travaillés. Il y a en effet une ambiguïté fondamentale, quelles sont les différentes formes de communautés ? Ne parlons nous pas de communauté éducative, voire de communauté familiale, est-ce pour autant du communautarisme?

Interventions des participants

– La communauté et la ressemblance sont deux mots qui s’apparentent ; je fais communauté car je ressemble aux autres ou que je vois dans les autres ce qui me ressemble. Je me rassemble avec ceux qui me ressemblent, mais aussi au niveau du territoire du local.

– Dans communauté, il y a ce qui est commun mais aussi étymologiquement de ce qui est de l’ordre du commun, qui ne sont pas porteurs de quelque chose de supérieur. Le mépris que l’on a pour le communautaire a surement à voir avec le mépris pour les gens communs, qui ne sont pas experts !

– La question des universaux est aussi importante ; il y a des universaux que l’on retrouve partout. Il y a ensuite des spécificités qui émanent des territoires. Les spécificités sont donc contraintes pas les spécificités du territoire et non pas sur les cultures.

– Il faut accepter des identités multiples. Je suis dans l’identité de mon collectif de quartier, je suis sur un territoire qui fait sens et qui porte un sentiment d’appartenance. La notion de communauté large est importante. Si une communauté éducative est vivante, ou une commune où il y a un grand sentiment d’appartenance, c’est le meilleur élément contre des communautarismes de replis internes. La vraie question est l’acceptation d’identités multiples et le refus à quelques niveaux du repli.

– En France, le mot communauté est marqué négativement parce qu’il s’applique aux classes inférieures. C’est cela qui nous gène dans l’usage du mot communauté. Les communautés isolent car elles sont marquées négativement. Il y a une consolidation des personnalités individuelles à l’intérieur de la communauté car cela est une manière d’exister.

– Au sujet de réforme, un mot utilisé dans ce cadre est modernité. Ce qui est moderne est le retour à des législations du 19ème ou 20ème siècle. Comme cela est moderne, c’est censé faire passer la pilule. Lié à modernité, archaïsme. La modernité a changé de camp pour faire passer les réformes. L’important est de savoir quel est le contenu de cette modernité.

– A propos de repli, qui décide de ce repli ? Ce sont les gens eux-mêmes ou c’est moi de l’extérieur, du haut de mon expertise, de ma position hiérarchique qui décide du repli ? Pour parler de communautarisme, c’est toujours l’autre, c’est jamais moi.

– Avec partenariat, j’aimerais qu’on mette le mot contrat, qu’est-ce que cela veut dire en terme juridique ?

– La notion de contrat est très riche et très intéressante dans ces différentes utilisations notamment éducatives. La première approche est l’approche juridique qui est très limitée chez nous parce que pour qu’elle puisse avoir un sens, il faut que les entités soient capables de décider par elles-mêmes sans aucune pression extérieure et de conclure des accords réciproques et équilibrées, ce qui est rarissime dans le système éducatif.
Pas complètement puisqu’une partie de la réforme des universités et du supérieur va dans ce sens, en créant des collectivités autonomes. Le deuxième sens est éloigné du sens juridique et est le sens des pratiques de gestion. On ne peut parler de véritable contrat. La difficulté est qu’il n’y a pas d’engagements réciproques. Ce sont des contrats d’adhésion. C’est le cas de beaucoup de contrats signés entre les unités enseignantes (EPLE, autorité académiques)…

– La façon dont on perçoit le mot communauté est à prendre en compte. Il faut passer par la participation des habitants, recréer des communautés de développement. J’ai besoin d’expliquer ces démarches et dès que j’utilise le mot communauté, il y a des représentations négatives, qui influent sur la démarche. La question est de savoir si je dois continuer d’expliquer en utilisant d’autres termes.

– La réponse à la question est non, on n’élude pas les problèmes en changeant les mots. Le terme communauté est utilisé de plus en plus : communauté éducative, communauté de commune, communauté européenne même si elle n’existe plus. En France, le mot communauté est fortement connoté. Ce n’est pas le cas dans d’autres pays européens. Le mot communautaire, dans le travail social a été remplacé par travail collectif.

– Il faut partir du mot communauté avec une double précaution : percevoir tel qu’il est exprimé par l’émetteur et tel qu’il est reçu par le récepteur. Il faut tenir ces deux aspects en même temps. C’est un ensemble d’individus qui se sont fixé un certain nombre de règles ou de valeurs communes au groupe et avec lesquelles ils essaient de vivre, avec des objectifs divers. Il faudrait arriver à cerner, à la fois pour l’émetteur et le récepteur, quel est le pas à ne pas franchir, tant pour l’un que pour l’autre, pour ne pas passer de la richesse de la communauté y compris en terme d’insertion sociale, j’intègrerais ici la notion d’intégrité, pour ne éviter le passage du communautaire au communautarisme.

– Aujourd’hui, les politiques sociales et sanitaires s’attachent à l’individu et sortent du collectif, est-ce la volonté de sortir du communautarisme ? Les collectifs peuvent être aussi des collectifs d’opposition et de résistance. En renvoyant les gens à des individus, ils sont isolés.

– Une contradiction, à relever dans les médias et chez les hommes politiques, est la façon dont on parle de communauté juive, de communauté musulmane comme si c’était des groupes qui faisait unité alors qu’ils sont hétérogènes. On revient ici à la question de qui décide le repli.

– Le mot autonomie est intéressant. Regardez les arguments données pour l’autonomie des universités : il faut qu’elles soient de plus en plus fortes, de plus en plus appuyées sur des budgets solides, de plus en plus nombreuses, et on demande aux individus d’être autonomes en leur refusant les moyens d’être autonomes. Il y a deux discours sur l’autonomie.

– Philippe Meirieu parlait de Girondins, Jacobins. Il me semble que l’on est dans un faux débat. Si l’on raisonne Girondins contre Jacobins ou Jacobins contre Girondins, c’est d’une certaine manière la même chose que l’opposition entre Démocratie et République. C’est une nouvelle synthèse qui en elle-même contient sa contradiction. A travers la notion de contrat, on s’aperçoit qu’il fut un temps où la loi libérait alors que la liberté opprime. Aujourd’hui, la liberté libère parce que les individus négocient entre eux. L’idée de contrat est cruciale à condition de définir les règles.

Octobre 2008

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Categories: UNIVERSITES D'ETE

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