PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In IFE – Observatoire de la Réussite Educative – 2014 :

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C’est à Seyssins, près de Grenoble, qu’avait lieu les 27 et 28 novembre derniers les 7es rencontres nationales de la réussite éducative organisées par l’ANARÉ (Association Nationale des Acteurs de la Réussite Éducative). Dans un contexte politique où le redécoupage – ou l’ « harmonisation » – de la géographie prioritaire prévu courant 2014 interroge notamment les professionnels de la réussite éducative, cette édition fut l’occasion de s’interroger sur l’avenir du dispositif PRE (Programme de Réussite Éducative) mis en place depuis 2005.
 

 

Seyssins, France

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Pour cette 7ème édition, les deux journées étaient construites autour de quatre moments principaux afin de permettre aux différents acteurs d’échanger, de s’informer. Au programme, des conférences en plénière, un temps participatif consacré au dialogue sur le PRE, des présentations d’études ou expériences, et enfin une série de mini-conférences au choix avant la table ronde finale. Face aux personnes présentes, majoritairement des coordinateurs de PRE et référents de parcours, trois conférences en plénière ont donc permis de rythmer les échanges. Celle de Françoise Lorcerie, directrice de recherche émérite au CNRS ( voir partie 2), venue aborder la thématique de « L’éducation au défi de la diversité », celle de Véronique Laforets, doctorante en sociologie au laboratoire LLS de l’Université de Savoie, sur « la production de l'(in)égalité de traitement dans la réussite éducative », et celle enfin, de Stéphane Kus, chargé d’étude au centre Alain Savary (IFÉ / ENS de Lyon), ancien enseignant et coordinateur ZEP, sur les évolutions de la gouvernance locale au gré des relations entre politique éducative et politiques des territoires prioritaires.

Mercredi, les deux premières conférences ont été prolongées par un moment d’échanges entre les participants. D’abord en binôme pour revenir sur les interventions, puis par petits groupes assis autour de tables devant répondre à une série de questions sur le PRE en se basant sur les expériences propres à chacun. Un moment dans l’ensemble bien accueilli par les personnes présentes permettant aussi d’apporter quelques suggestions personnelles en vue d’améliorer le dispositif. Certains coordinateurs ont ainsi pu dénoncer une logique de prestation de service grandissante à l’opposé de l’esprit du PRE notamment via l’automatisation des aides par informatique dans certains cas. La problématique de la gouvernance future du dispositif a ensuite été longuement abordée au cours des discussions. Si pour certains inclure le PRE dans les Projets Educatifs Locaux (PEL) reviendrait à en perdre son aspect innovant, d’autres insistent a contrario sur l’importance d’ancrer le PRE dans un territoire tout en se rapprochant des familles. La « sécurisation » du programme, dernière thématique discutée, a elle aussi monopolisé une grande partie des débats. Les réponses apportées furent cependant aussi diverses que les acteurs impliqués : un coordinateur a ainsi expliqué que selon lui si le dispositif était totalement inclu dans la politique de la ville sous la responsabilité de la collectivité, le problème du « financement fléché » pourrait vite se poser aux dépens du besoin de l’enfant et une logique de « servage » serait à craindre. De manière générale, pour les professionnels présents, il ne faut en aucun cas cloisonner le PRE, bien que le problème de sa gouvernance existe. Ce temps participatif permit donc de confronter les points de vue et expériences des acteurs impliqués, soucieux de l’avenir d’un dispositif qu’ils présentent tous comme innovant et auquel chacun espère apporter un ajout utile grâce à sa propre expérience.

Le lendemain matin, plusieurs discours ont précédé la troisième conférence plénière organisée. Après le président de l’agglomération de Grenoble-Alpes Métropole Marc Baïetto et le président du GIP « Objectif Réussite Éducative » Michel Baffert, la ministre déléguée à la réussite éducative Georges Pau-Langevin s’est exprimée, par support vidéo, sur l’importance de la complémentarité entre l’école et les différents acteurs du champ éducatif (dans l’idée d’une approche globalisante de l’éducation) avant d’aborder très rapidement la refonte de la géographie prioritaire. Une brève intervention suivie par le discours de Frédéric Bourthoumieu, président de l’ANARÉ, en faveur de l’introduction des PRE dans les politiques éducatives publiques ne se limitant plus aux quartiers prioritaires, et pensés comme espace de coproduction éducatif à l’encontre de ce qu’il a dénoncé comme une vision purement « financière » et restrictive proposée par le ministère de la ville.

La conférence plénière de Stéphane Kus a ensuite débuté. Selon lui, le PRE permettrait la création d’un espace de réflexion partenarial nécessaire à la coordination opérationnelle des acteurs du champ éducatif. Toutefois, celui-ci pointe également du doigt l’absence de possibilité de rencontres formelles entre coordinateurs, incitant ces derniers à la mise en place de réseaux informels pour optimiser l’efficacité de leur dispositif.

Neuf présentations d’expériences ou d’études étaient ensuite proposées dans l’après-midi aux participants sur des thèmes allant de la cohérence éducative (étude mandatée par l’ACSÉ) aux démarches de prévention de l’illettrisme, en passant par le rôle du langage dans la construction de soi chez l’enfant ou le PRE 16-18 ans. Enfin, huit mini-conférences ont été présentées par différents chercheurs sur des thématiques diverses telles que le raccrochage scolaire en classe relais, les ressources des acteurs de la réussite éducative, les enjeux du bilinguisme chez les enfants issus de l’immigration, ou encore les différends entre familles populaires et école. Deux moments qui permirent finalement aux différents professionnels présents de s’attarder sur des problématiques précises, souvent en lien avec celles rencontrées sur leur terrain.

 Dans l’ensemble, les travaux ont beaucoup plus porté sur le dispositif PRE. que sur la notion de Réussite éducative de demain et son élargissement tel qu’impliqué par la création du ministère délégué de même nom. Chaque acteur institutionnel semble défendre son propre point de vue ou champ d’action, ne permettant pas toujours la conciliation. Au niveau associatif, la question du dispositif comme espace d’échange permettant de reposer les bases de l’éducatif commence à se poser, notamment par rapport à l’individualisation des parcours globalement perçue comme une vertu par les professionnels présents. La tension, perceptible dans l’essence même du dispositif, induisant qu’un financement au parcours serait plus efficace qu’une aide plus globale et territorialisée, est accompagnée par d’autres combats déterminants pour l’avenir du PRE dont le problème de sa gouvernance. Les acteurs présents, dans une position parfois contradictoire, défendaient pour la majorité l’aspect « libre et innovant » du PRE tout en reprochant son manque de sécurisation institutionnelle… La position officielle de l’ANARÉ à ce sujet prône d’ailleurs un rattachement du dispositif aux politiques éducatives publiques, comme l’a rappelé son président.

Si la défense « concrète » du programme a été longuement abordée au cours de ces deux journées, les questions davantage éducatives ont elles été peu mises en avant. Il se pourrait que les incertitudes professionnelles et le souci de ce qui est présenté comme « sécurisation » du dispositif pèsent sur les débats. Le principe de l’individualisation des parcours n’est que peu questionné, de même que la complexité de la scolarisation. La vision « un enfant, un parcours, un destin » semble dès lors primer sur celle d’une génération à la socialisation commune, et la critique prégnante d’une école qui ne parviendrait pas, ou plus, à réaliser ses missions ne semble pas s’accompagner d’une réflexion sur la diversité des activités éducatives et leur nécessité pour le développement individuel et collectif.

 

Conférence plénière : « La Réussite éducative produit-elle de l'(in)égalité de traitement ? De l’intérêt de se poser la question », par Véronique Laforets

 

Véronique Laforets, doctorante en sociologie dans le laboratoire LLS de l’Université de Savoie était la seconde invitée de ces 7es rencontres nationales de la réussite éducative à Seyssins. Sur le thème « La Réussite éducative produit-elle de l'(in)égalité de traitement ? De l’intérêt de se poser la question », elle a entrepris de montrer aux personnes présentes la potentielle production d’inégalité de traitement induit par tout système d’acteurs dont la Réussite éducative fait partie.

 En introduction, la doctorante rappelle que le milieu éducatif est le terrain d’un entremêlement de « discriminations » systémiques multiples (financières, culturelles, de logement, d’emploi…) qu’il reste malgré tout difficile à identifier. De leur côté, les acteurs éducatifs seraient portés par « un idéal d’égalité, une philosophie de la République » rendant la question d’une éventuelle inégalité de traitement difficile à appréhender, ou même à accepter.

Le champ du « hors domaine de l’école » est lui aussi immense dans la production de l’inégalité de traitement. Cependant, selon Véronique Laforets, on y est peut-être un peu « handicapé » pour aborder le sujet en raison d’une idée répandue selon laquelle les temps non-scolaires pourraient avoir une « fonction réparatrice » de ce qui se joue à l’intérieur même du système scolaire.

« Combien de PEL ont pour objectif de lutter contre les inégalités ? » demande-t-elle. Il est difficile d’être à la fois aux côtés de l’école tout en se posant comme « réparateur » des inégalités scolaires. Une posture qui apparait de plus selon l’intervenante comme « une belle façon de ne pas regarder son propre fonctionnement » en matière de production de l’égalité. « Alors que rien ne garantit, a priori, que l’on soit plus juste dehors que dedans. »

À la fin de cette introduction, le propos s’éclaircit. Il faut observer non pas les intentions mais les pratiques réelles pour répondre à la question posée : la Réussite éducative fabrique-t-elle de l’égalité ? En guise de première réponse, « peut-être que oui, peut-être on n’en sait rien, et peut-être pas tant que ça ».

 Une première série d’observations en faveur du « oui » est exposée. Tout d’abord : la capacité de la Réussite éducative à créer du lien entre des « familles précaires, isolées, malmenées par la vie … » et les institutions éducatives. Ensuite, lorsque que l’on observe les professionnels agir, on constate cette volonté de constamment se poser des questions, réinventer des solutions adaptées et justes pour chaque enfant. Les acteurs de la Réussite éducative ont en effet ce « souci constant à mobiliser le droit commun, l’enfant est pris en charge et non pas considéré comme un « cas » » : accès au sport, à la santé par exemple. Cette « prise en charge » individualisée permet également de regarder ce qui se passe concrètement pour les enfants et les familles : « on échappe nécessairement au piège des généralités (…) la Réussite éducative a les yeux rivés sur les pratiques », sur « la réalité ». Enfin, toujours selon Véronique Laforets, l’un des autres facteurs de création d’égalité par la Réussite éducative se trouverait aux fondements du concept : si la collaboration entre professionnels est difficile, partager des points de vue permet tout de même une certaine « objectivation des situations», un « ajustement des subjectivités » de chacun.

En résumé : les liens avec les familles, les formes de prise en charge des parcours, la pluridisciplinarité des acteurs favoriseraient l’égalité.

 Cependant, la chercheuse émet rapidement plusieurs réserves quant à la capacité de la Réussite éducative à fabriquer de l’égalité : « faut voir ». Si dans le système scolaire les « discriminations » sont repérables en regardant par exemple l’orientation prise par les élèves, il apparait plus complexe de les déceler dans le champ de la Réussite éducative. Afin d’observer ses effets sur le droit commun, Véronique Laforets propose donc d’interroger la manière dont les enfants entrent et sortent du programme. Il faut observer les parcours, leurs ajustements, les articulations (des parcours et du programme) avec le droit commun.

Les critères convoqués pour repérer l’enfant, mis à part peut-être les résultats scolaires, sont « flous et fumeux ». Mais si la Réussite éducative fonctionne ainsi, ce serait justement parce qu’il y a subjectivité chez les acteurs, « il y a de l’humain ». Il faut « regarder et questionner la dimension humaine » : comment se déclinent les représentations des professionnels, par exemple pour renseigner la fiche de saisine, pour rencontrer la famille… Il faut interroger et analyser « la rencontre entre une situation singulière et un programme public ». « Comment ne pas penser que derrière les difficultés de comportement d’un enfant il y a le seuil de tolérances des éducateurs ? » questionne ainsi la chercheuse, prenant l’exemple d’une étude sur le renvoi d’élèves dans un établissement de la région parisienne où le proviseur reconnaissait lui-même que ces décisions étaient liées au seuil de tolérance des professeurs.

Mais les critères de sortie de programmes sont encore plus « flous » que ceux à l’entrée. Véronique Laforets cite alors un coordinateur qu’elle a rencontré pour appuyer cette affirmation : « les parcours, ils s’arrêtent tout seul, nous on ne les arrête pas ». Dès lors, comment être certain que l’on tient efficacement la relation avec les familles, comment juge-t-on de la mobilisation des familles ? Si elles le souhaitent, le programme s’arrête pour leur enfant. Pour la doctorante, un des enjeux prioritaires serait d’objectiver les entrées et sorties de parcours pour crédibiliser la Réussite éducative.

 Avant de conclure, Véronique Laforets choisit d’aborder le problème de la pression gestionnaire assez forte qui pèse sur les coordinateurs : évaluations qui se multiplient, calcul du coût moyen des parcours, du nombre d’enfants suivis par les référents. Une pression qui pousse à chercher à comprendre comment la Réussite éducative fonctionne en interne, comment elle s’articule avec le droit commun.

S’l s’agit bien d’un « formidable outil pour éclairer les failles du droit commun dans l’offre éducative qui existe sur le territoire », les inégalités de traitement dans le projet éducatif local, son lien avec le droit commun des collectivités induit aussi l’idée que les professionnels ne peuvent plus rejeter la faute sur l’extérieur. Quels sont donc les liens entre carences du droit commun et Réussite éducative ? Les mesures mises en place sont-elles un « coup de pouce ponctuel dans un programme ciblé » ou une prise en charge à long terme par la Réussite éducative de l’incapacité de prendre en compte tous les publics ? Par exemple, des places mises à disposition en centre de loisirs dans le cadre du programme restent « culturellement » inaccessibles à des familles (lieux d’inscription inconnus, démarches administratives compliquées, etc…). Le problème n’est dès lors pas l’accessibilité « financière » des familles aux programmes, mais la présence de « pré-requis culturels ou sociaux » pour accéder à ces services. Il y a donc ici échec du droit commun, et il faudrait traiter cela tant au niveau technique que politique. Pour Véronique Laforets, « c’est certainement la plus grande difficulté à la laquelle la Réussite éducative est confrontée. Agir pour que le droit commun soit plus juste. »

 Pour conclure cette intervention, la sociologue s’interroge finalement sur « l’intérêt de regarder la Réussite éducative sous l’angle de l’égalité ». Peut-être pour s’apercevoir qu’elle en fait déjà beaucoup dans ce domaine, mais « l’égalité est en quelque sorte son fonds de commerce ». Alors pourquoi ? Identifier les améliorations à faire, construire des arguments en interne comme en externe en sa faveur. Pour également comprendre les conditions de travail des acteurs du programme, « face à la misère sociale », dont les décisions envers les familles sont parfois difficile à prendre. Enfin, parce que « s’accrocher à la boussole de l’égalité » représente un bon moyen de réfléchir à son investissement.

Avant de clore sa conférence, Véronique Laforets rappelle finalement que tout un champ de la recherche reste à construire sur les liens entre égalité et Réussite éducative.

 Pourtant, sans jamais prononcer le nom du Programme de Réussite Éducative (PRE), l’intervenante n’aura finalement traité que de lui, sous l’appellation de Réussite éducative. Faut-il voir ici une appropriation du concept par le programme ? Et donc résumer son contenu politique et sociétal à son action ? La question est posée, alors que les acteurs présents à Seyssins étaient pour une large majorité coordonnateurs de PRE ou référents de parcours. D’autre part, on pourrait aussi s’attendre à voir ce concept d’égalité lui-même clarifié et précisé. Car de quelle égalité est-il finalement ici question : égalité sociale ? Égalité scolaire, et si oui, comment est-elle pensée, égalité d’accès ? de chances de réussite ?  Égalité éducative ? En référence à quel horizon d’attente, quelle figure de justice ? Quelle  conception de l’école et de l’éducatif  pour quels enjeux individuels et collectifs ? La seule référence à un enjeu dit « d’égalité », sans autre précision ne nous permet guère de saisir la nature des relations sociales ici engagées, comme la sociologie d el’éducation nous a appris à le reconaître, et finalement les possibes désirables, nécessaires ou souhaités que l’on voudrait voir se réaliser.

 

Evan Bouton, stagiaire chargé d’étude à l’Observatoire PoLoc

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