PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Faut-il envisager une spécialisation des compétences des acteurs?

Lors de l’Université d’été 2008 :

Jean-Claude GUERIN, IGEN Honoraire, membre du bureau de PRISME

Antoine ANDERSON, Consultant en développement local, Professeur à l’Université Evry.

Danielle ZAY, Professeur émérite, sciences de l’éducation, Université Charles de Gaulle Lille 3

La gouvernance, enjeu majeur

La gouvernance me parait être un enjeu majeur [Antoine ANDERSON] ; En regard des politiques éducatives de la ville et agglomération, des choses majeures vont se jouer demain sur la mutualisation entre le niveau ville et agglomération.

Il y a une nécessité de faire évoluer les manières de gouverner afin de mieux répondre à une fragmentation de l’action publique très liée à la décentralisation. Il faut conjuguer les compétences des différents acteurs et organiser un mode de décision plus participatif. Dans ce processus de mutualisation, les collectivités prennent de plus en plus leur part. Les villes moyennes n’ont pas les mêmes enjeux que les grandes villes. Il faut aussi maintenir la coopération entre les acteurs, encore faible, prendre en compte les incertitudes liées à l’évolution rapide des institutions, comme celles liées à l˜accompagnement éducatif. Associer les citoyens à l’élaboration des décisions qui les concerne pourrait faire évoluer les choses.

Ce qui est en jeu :

– la capacité à porter le développement du territoire, en passant outre les clivages, pour avoir une objectivation de la situation locale. Comment se pose alors la question éducative ?

– la lecture globale de la question éducative sur le territoire portée par de nombreux acteurs.

– Si les villes se sont beaucoup saisies des procédures depuis 15 ans, elles n’ont pas siffisamment tenté de travailler le portage de projet sur le territoire.

– L’arbitrage des différents intérêts portés par les différents acteurs, et les intérêts du territoire dans son ensemble, par et dans le dialogue ouvert aux relations autres politiques publiques locales.

Pour appréhender le sujet, deux approches.

– La première de Pierre Calame : « C’EST L’ENSEMBLE DES REGULATIONS DONT S’EST DOTE LE POUVOIR LOCAL POUR GERER SES PROBLEMES ET ORIENTER SA DESTINEE. »

– La seconde de « C’EST LA CAPACITE A PRODUIRE DES DECISIONS COHERENTES, A DEVELOPPER DES POLITIQUES EFFECTIVES PAR LA COORDINATION ENTRE ACTEURS PUBLICS ET PRIVES DANS UN UNIVERS FRAGMENTE ».

Agissant dans un système de plus en plus complexe, le pouvoir local devra mettre en place :

– Des modalités de confrontation et d’arbitrage entre les conflits d’intérêts

– Des procédures par lesquelles les volontés individuelles s’expriment en choix collectif

– Des instances pour participer à l’élaboration de la décision publique de type conseil consultatif

Gouverner pour quoi faire ?

– Inscrire un espace de solidarité en vue d’élaborer et de conduire un projet commun en matière de politique éducative locale

– Participer à l’attractivité du territoire et contribuer à son devenir, dont la politique éducative joue un rôle de plus en plus important

– Mieux répondre aux besoins des habitants en matière d’équipements, de services éducatifs et d’enseignement

– Associer les différents acteurs dont les jeunes, les parents et leurs représentants

Qui dit expertise locale, dit Diagnostic et évaluation. Ces deux éléments ne sont pas réunis à l’échelle des territoires.
Il faut ensuite piloter à travers un dispositif de pilotage qui est politique et technique des commissions de travail.
Vient ensuite le suivi avec une équipe dédiée qui joue un rôle majeur pour jouer la transversalité, solliciter les différents services, donner de la cohérence au projet et mettre en place des outils de suivis. Le suivi comporte aussi une notion d’appel à projets et de soutien aux opérateurs.
Enfin, en ce qui concerne la concertation/participation, il faut associer les bénéficiaires sous des formes en amont du projet, à travers des enquêtes de satisfaction et des procédures d’évaluation.
Mais au début, il y a le projet c’est-à-dire des valeurs, des principes d’action, des orientations stratégiques et des objectifs et ses résultats attendus, le programme et le contrat. En général, cela est un peu en « vrac ».

Danielle Zay :
Ce que j’ai appris de l’expérience des autres est la définition du partenariat que le collectif a donné, de ses enjeux et de ses limites. On voit toujours le défaut des autres mais pas les siens, il est toujours plus facile d’accuser les autres. Quand je suis dans un milieu hors de l’éducation, je suis corporatiste comme tout le monde. Il y a quelque chose dont on n’a pas parlé : si on étudie l’étymologie du partenariat, on pense que l’on va être dans le consensus, or particio vient du latin : division, séparation.

Quand on cherche un partenaire, on cherche quelqu’un qui nous ressemble. Or nous sommes toujours avec quelqu’un d’autre que soi, de notre corporation ou pas. Lorsque nous sommes en dehors de l’éducation nationale, nous la défendons alors que lorsque nous sommes avec, nous la critiquons.

Tous les militants avec qui je me suis retrouvée ont très vite compris le système. Il n’est pas possible de changer la formation des enseignants car quand on veut changer le système, on heurte les corporatismes.
La compétence ne peut jamais s’exercer si elle n’est pas légitime. Il faut donc trouver la compétence, le milieu qui va nous légitimer par rapport au milieu où l’on va agir. Le problème est de savoir comment faire passer l’expérimentation où l’on sait qu’on va réussi la généralisation.

Danielle Zay :
Sur les relations fonctionnelles : qu’est ce qui change dans les relations entre école et partenaires extérieurs ?

Les thèmes traités dans cette Université d’été reprennent ce sur quoi s’est créé PRISME (Promotion des Initiatives Sociales en Milieux éducatifs), la prise en compte de facteurs autres que scolaires à l’école, l’irruption du social dans le monde scolaire, une évolution lente, déjà acquise dans d’autres démocraties occidentales, à savoir que l’école est une des parties prenantes de l’éducation des jeunes et qu’elle ne peut résoudre les problèmes scolaires sans en tenir compte.

Quand, en 1992, en tant que responsable extérieure d’une recherche à l’INRP, l’Institut National de Recherche Pédagogique, j’ai lancé l’idée, d’un colloque sur le thème « établissements et partenariats. Stratégies pour des projets communs » (1), les collègues de l’INRP qui la trouvaient bonne et moi-même étions tellement peu sûrs de réunir des chercheurs sur le thème, que nous avons prudemment commencé par lancer un séminaire de préparation avec des représentants des quelques équipes de recherche travaillant alors plus ou moins sur le sujet. Mon ami Dominique Glasman a bien résumé l’ambiance du séminaire en posant la question centrale pour beaucoup des participants : « A qui profite le crime ? ».

Nombre de mes collègues universitaires considéraient alors que je ne pourrai jamais faire une carrière scientifique en m’attachant à une notion, le partenariat, qui ne pourrait jamais devenir un concept – et pour beaucoup d’entre eux, qui évitent le terme, il ne le deviendra jamais. J’avais, d’ailleurs, moi-même découvert la naissance du phénomène par hasard, à l’occasion d’une commande du Ministère de l’Education, visant à analyser les « dérives » des écoles Normales par rapport au programme officiel qu’elles étaient censées suivre. En analysant les descriptifs de formation proposés par les professeurs d’EN en formation initiale et continue, notre équipe a découvert que les écarts des EN par rapport aux programmes nationaux venaient de ce qu’elles adaptaient les textes officiels pour répondre à des demandes de partenaires locaux (2 et 3).

Les esprits ont évolué, mais dans quelle mesure ? En dépit de tous les textes ministériels préconisant des dispositifs fonctionnant avec des partenaires extérieurs à l’école, ces dispositifs restent pour la plupart réservés aux élèves en difficulté, voire, étant déjà ailleurs pour avoir carrément décroché du scolaire. La loi d’orientation de 2005 a abrogé et renversé la tendance de celle de 1989, qui, pour la première fois, demandait aux enseignants des compétences concernant, non seulement la connaissance de leur(s) matière(s) d’enseignement, mais aussi la gestion des relations dans un groupe classe, et, la prise en considération du fait que l’école était insérée dans un environnement plus large.

Depuis que je fais des recherches sur le thème du partenariat, que ce soit dans ma première recherche (4) ou dans la dernière que j’ai publiée (5), je ne travaille que sur des expérimentations qui ne se généralisent pas. Le fil conducteur du rapport de recherche intermédiaire que je viens de remettre, pour la France, à la Commission européenne sur le thème des Stratégies d’aide aux établissements scolaires et aux enseignants pour promouvoir l’insertion sociale, reste.

« Comment faire pour que les méthodes pédagogiques des dispositifs ciblés sur des cas spécifiques ne se limitent pas à être des remédiations après coup ? Pourraient-elles être mises en place à titre préventif ? Sont-elles transposables à l’ensemble du système ? Comment ce système éducatif français dont les défauts semblent évidents – ne seraient-ce que par les résultats des élèves français comparés à ceux des pays relevant de l’OCDE – peut-il produire moins d’élèves « inadaptés » ?

Dans l’évaluation des mesures prises pour traiter des cas particuliers, de décrochage, d’échec scolaire et d’exclusion sociale par causes diverses : milieu familial défavorisé économiquement ou absent (population des jeunes assistés en institution), origine ethnique, linguistique, religieuse elles-mêmes, devons nous nous limiter à leurs effets dans les dispositifs destinés aux populations concernés ? N’y aurait-il pas à dégager à quelles conditions elles pourraient devenir, sinon inutiles, moins indispensables en grand nombre, car elles inspireraient la politique, les stratégies, les pratiques des établissements et des enseignants de telle sorte que le nombre d’inadaptés diminuerait sensiblement ? » (6).

Selon la vieille loi systémique, un système ne peut changer que sous les pressions de son environnement extérieur, …comme PRISME à de l’avenir !

2 – Faut-il envisager une spécialisation des compétences des acteurs ?

Sur la question des compétences, je serai aussi plus optimiste, car, en effet les gens apprennent sur les terrains, en se frottant les uns aux autres.

Je dirige une thèse sur les conventions entre lycées des ZEP (Zones d’éducation Prioritaires) et écoles d’enseignement supérieur. Les textes officiels, telle la Charte sur l’égalité des chances, prônent les bienfaits de cette ouverture pour faire accéder les élèves issus de milieux défavorisés à l’élite. Il y a eu un effet sur le milieu, puisqu’aussi bien les déclarations des responsables de Sciences Po., école qui a été à l’initiative de cette démarche, que le constat de ma doctorante enquêtant sur le terrain font apparaître qu’on a été obligé de vérifier le milieu social des candidats, parce que des parents d’élèves n’habitant pas en ZEP inscrivaient leur rejeton dans un lycée sous convention pour le faire bénéficier de conditions plus favorables d’accès à une grande école.

De l’autre côté, quand j’ai renouvelé mon inscription à la Bibliothèque de Sciences Po. en tant qu’ancienne élève, j’ai entendu la documentaliste me dire que cette admission d’étudiants nouveaux supposés avoir moins d’acquis que les autres avait enfin permis de faire reconnaître ses apports propres à la formation, la direction ayant généralisé à tous les élèves un dispositif dont, finalement, tous avaient besoin, à savoir apprendre les règles de la recherche documentaire.

Dans le domaine des compétences, on est donc dans la situation où chacun cherche un partenaire nouveau en ne le concevant que semblable et, souvent, en essayant de le rendre pareil à soi-même. Mais à partir du moment où on se rend compte que sa différence est le principal apport qu’il peut faire, alors le respect de la spécialisation de chacun est un apport d’intérêt général si l’on accepte, en parallèle, que chacun ait part aux décisions communes.

JCG
Sur la question du « comment diffuser ? » n’est-ce pas ceux avec qui nous commençons à diffuser qui seront diffuseurs ? La question de la tache d’huile… mais comment étendre la tache d’huile ? Cela me semble une interrogation très liée aux compétences (sur quoi s’appuyer) et à la gouvernance (comment mobiliser).

– Je voudrais relier la notion de légitimité avec celle d’unité de décision. Je ne comprends pas comment concevoir des politiques éducatives locales s’il n’y a pas un acteur en situation de décider, c’est-à-dire ayant une légitimité juridique, politique reconnue par l’ensemble des partenaires.

– Il faut voir comment, dans d’autres domaines, aucun acteur ne peut prétendre disposer de cette unité de décision et d’action. Il faut trouver des formes de gouvernance reposant sur des compétences et des légitimités qui ne sont pas organisées aujourd’hui. La décision ne peut être actée au niveau local, par contre il y a des processus à mettre en place, le premier étant la connaissance globale et complète de la situation. Il faut des lieux de débats et d’échanges.

En guise de conclusion:

Autour du mot « opérateur », il serait préférable d’avoir des partenaires plutôt que des opérateurs ; mais il y a une tendance des collectivités à considérer que ceux qui agissent pour elles sont ses opérateurs et ne les reconnait pas comme partenaires. La collectivité n’est plus un tout homogène, or aujourd’hui le décalage entre le politique et le technique s’accentue. Le technique est de plus en plus compétent et de mieux en mieux formé. C’est comme cela qu’on crée toutes les conditions d’une technocratie.

On peut se demander s’il ne faut pas des instances pérennes, quelque chose qui ne soit pas des commissions ad hoc qui risque d’être trop tenu dans le jeu de technocrate et de politique.
Nécessité d’un cadre, d’un périmètre d’action, d’un attendu, d’une mission et des personnes légitimées. C’est pourquoi, le conseil économique et social local, par exemple, pourrait jouer un rôle intéressant sur les projets locaux même s’il n’est que consultatif. Des règles du jeu sont énoncées dès le départ qui associent la société civile avec le pouvoir politique local. Il faut mettre en place des outils comme cela.

Le PET : Il n’est pas innocent que l’on ait parlé de projet éducatif territorial pendant ces deux jours et non plus de projet local : on prend (enfin ?) en compte la notion de territoire mais aussi celle d’éducation. Les questions d’éducation se posent localement sur un territoire humain donné, ce territoire étant à géométrie variable.

Du même coup, nous sommes passés de l’accompagnement scolaire (général) à l’accompagnement à la scolarité (locale) et non plus au scolaire, et maintenant nous élargissons encore plus en passant à l’accompagnement éducatif pour l’ensemble des fonctions éducatives. Mais si l’on ne relie pas au territoire, si on reste dans le cloisonnement, si l’on ne distingue pas les fonctions la confusion scolaire/éducatif demeure.

S’il y a eu un travail sur la prise de conscience de l’enjeu du territoire humain, construction humaine je pense que notre problème est de préciser davantage quels sont ces territoires. Quelques thèmes autour de la mise en réseau nous amènent à nous reposer les questions du partenariat, des coopérations et des outils.

Nous avons mieux cerné la notion de projet, je ne suis pas sûr que nous soyons allé jusqu’au bout. Le terme de construction est apparu dans le débat, nous sommes rentrés dans cette démarche. Le diagnostic partagé fait partie de l’élaboration du projet et des moyens par lesquelles nous pouvons amener à la participation des bénéficiaires. Nous avons mis en avant le fait qu’il faut étudier les besoins et les demandes.

En revanche le problème de la laïcité n’a pas été assez évoqué pendant ces deux jours. Ne faut-il pas organiser cela autour de l’éthique du débat et l’éthique des convictions dans l’espace public ? Il y a un mot qui a été peu utilisé, c’est le pluralisme. Il faudrait travailler autour de cela. Pluralisme est neutre mais fait référence en même temps aux individus eux-mêmes.

Le terme de fonction et de fonctionnalité ne sont plus des grossièretés dans notre langage commun. Le territoire administratif et les pouvoirs institutionnels qu’il y a derrière, se construisent et se déconstruisent par rapport aux besoins et donc aux fonctions.
Nous sommes aujourd’hui allés encore plus loin que la simple différenciation entre système éducatif et système scolaire.

Références de Danielle Zay

1 – Zay, D., Gonnin-Bolo, A. (éds.) (1995). établissements et partenariats. Stratégies pour des projets communs. Actes du colloque, 14, 15, 16 janvier 1993. Paris : INRP, 1995, 464 p., épuisé.

2 – Zay, D. (dir.). (1994). La formation des enseignants au partenariat.Une réponse à la demande sociale ? Paris : PUF, Coll. Pédagogie d’aujourd’hui, 352 p.

3 – Zay, D. (dir.). (1999). Enseignants et partenaires de l’école. Démarches et instruments pour travailler ensemble. Préface d’André de Peretti. Paris-Bruxelles : De Boeck, Coll. Pédagogies en développement, 3ème éd., 190 p. 1ère éd.: 1994.

4 – Zay, D. (1988). La formation des instituteurs. Paris : éditions Universitaires, Coll. Savoir et Formation, 235 p., épuisé.

5 – Zay, D. (dir.). (2005). Prévenir l’exclusion scolaire et sociale des jeunes. Une approche franco-britannique. Paris : PUF, Coll. éducation et formation/Aspects internationaux. Pédagogie comparée, dirigée par Gaston Mialaret, 326 p.

6 – Zay, D. (2008). Stratégies d’aide aux établissements scolaires et aux enseignants pour promouvoir l’insertion sociale. Rapport intermédiaire français, projet DOCA, Appel d’offres No EAC/10/2007: Education et Formation 2010: Trois études pour soutenir le développement de la politique scolaire, Lot 3.

Octobre 2008

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