PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Qu’est-ce que la bienveillance dans le champ éducatif et scolaire ? Ce concept émerge depuis la loi d‘orientation et figure explicitement dans la circulaire de rentrée 2014. Elle recouvre pourtant des initiatives et des pratiques diverses. Cette question de la bienveillance dans le système éducatif est appréciée différemment, qu’elle apparaisse primordiale, fondamentale, consubstantielle de l’acte d’enseigner ou cache-misère, concept mou des réformes éducatives. On peut aussi penser que cette notion reste largement à incarner.

Dans cet article, nous nous pencherons sur les critiques adressées au concept de la bienveillance. Un article détaillé du SNPI apporte sans doute une analyse critique des plus construites sur ce concept. Ce syndicat d’inspecteurs, par l’intermédiaire de son secrétaire général, nous invite ainsi à nous “méfier de l’usage si répandu de la notion de bienveillance”. Mais tout d’abord, afin de ne pas nous méprendre sur ses intentions, l’auteur, Paul Devin, précise bien le cadre de sa réflexion :

Je n’ai pas l’intention ici de contester que la qualité de la relation avec les élèves soit un objet de travail nécessaire et une condition de leur réussite. Je ne nierai pas non plus que la réflexion et la formation soient indispensables pour améliorer certaines pratiques professionnelles insuffisamment préoccupées de ces questions. Je voudrais juste interroger l’émergence subite et omniprésente de ce concept de bienveillance qui prétend avoir la vertu de pouvoir fortement contribuer à construire une réussite scolaire plus démocratique”.

Un champ de critiques (qui fait système)

  1. Pour l’auteur, la bienveillance est un concept mou, mal défini, “que chacun ajuste en fonction de ses représentations ou de ses considérations personnelles”, ce qui ne peut que le rendre inopérant.
  2. Ce concept est à la mode, notamment dans le monde de l’entreprise ou dans la développement personnel (coaching), mais ses finalités sont implicites.
  3. Ce concept inscrit la réussite éducative plus dans la capacité d’empathie, la qualité relationnelle, que dans l’élaboration didactique. Elle réduit la compétence professionnelle des enseignants.
  4. La bienveillance fait porter aux enseignants la responsabilité des échecs des élèves, en lieu et place des responsabilités institutionnelles (absence de moyens adéquats, absence de mixité sociale, etc.)
  5. Ce concept ne coûte rien à l’institution.
  6. La bienveillance est liée à l’individualisation de l’enseignement, où le maître doit trouver une réponse adaptée à chaque élève.
  7. Le discours sur la bienveillance jette le discrédit sur la profession : “ Il ne faut pas négliger comment ce leitmotiv de la bienveillance porte en creux celui d’une certaine inhumanité du fonctionnaire enseignant. De ce point de vue, il est particulièrement intéressant d’analyser ce qui s’écrit aujourd’hui sur la notation et les sanctions.”

La clé de l’analyse est donnée dans un sous-titre. Cette notion de bienveillance en éducation n’est-elle pas finalement qu’un nouvel avatar d’une politique néo-libérale de l’école ?

On retrouve ici une analyse systématique des politiques éducatives, plutôt bien rodée. Il s’agit d’abord de montrer les dangers du concept, sur le système éducatif et avant tout sur ses personnels, ici les enseignants qui seraient uniquement mis à l’index. La contextualisation permet de rattacher le concept au monde de l’entreprise, au néo-libéralisme. L’imprécision de certaines formulations laisse entrevoir toutes les dérives, sans jamais les expliquer, ni indiquer leurs origines :

  • Ne renouons pas, même sous une forme modernisée, avec les vieux fantasmes qui considéraient que, en définitive, l’essentiel serait d’aimer ses élèves.” La critique implicite des Bisounours bienveillants… ?
  • Il suffit de lire quelques prises de position pour se convaincre du leurre qu’apporte par exemple ce concept pour réfléchir la question de la notation ou de la sanction.” La critique des gommettes et des smileys… ?

On renoue ainsi facilement avec des formules toutes faites, appelant au bon sens, et qu’on retrouve par ailleurs :

  • “S’il suffisait de la bienveillance pour faire réussir les élèves…”
  • “Ce n’est pas le problème prioritaire…”
  • “Les profs n’ont pas attendu des consignes ministérielles pour être bienveillants avec les élèves…”
  • “parler d’école bienveillante, c’est laisser penser que les enseignants sont malveillants envers les élèves”

Un débat impossible ? De sérieux biais d’analyse…

Nous considérons que poser ainsi les termes du débat, c’est de facto le rendre impossible. C’est ouvrir un nouveau front dans une tactique qui consiste à ramener tout enjeu éducatif à des questions de moyens et au champ de la lutte sociale, et considérer que rien ne peut évoluer en dehors de ce prisme. Le SNPI dit bien que ce concept ”renforce l’idée d’une responsabilité des agents qui s’avère une condition nécessaire de la justification d’un choix politique de réductions des moyens.” Or, l’émergence de la bienveillance dans la loi et dans la circulaire de rentrée prend place dans une politique de “refondation”, que chacun peut apprécier et critiquer, mais qui a redonné des moyens budgétaires à l’éducation.

C’est aussi une façon pour ces organisations de maintenir un statu quo sur un certain nombre de questions éducatives, à commencer par l’évaluation des élèves, évoquée subrepticement dans l’article. Le SNES et le SNALC ont déjà dégainé contre l’évaluation bienveillante des élèves, opposée à une évaluation juste. Cette opposition est caricaturale. On peut être bienveillant et juste, on peut être bienveillant et exigeant, il y a même nécessité à articuler la bienveillance et l’exigence dans les pratiques quotidiennes d’évaluation. Mais là encore le problème n’est pas tant l’acte et la responsabilité individuels de l’enseignant qui évalue, que le système d’évaluation dans lequel cet acte s’inscrit. Pour donner un exemple du problème, combien d’élèves s’arrêtent à la lecture de la note et s’abstiennent de lire les commentaires associés à la copie ? Pourquoi ce phénomène constaté partout ? L’évaluation traditionnelle sert-elle vraiment les apprentissages, ou plutôt l’utilitarisme et l’intérêt à court terme des élèves ? Est-on vraiment exigeant avec un système qui moyenne tout ?

On peut parfaitement considérer que le terme d’évaluation bienveillante n’éclaire pas le débat sur l’évaluation. D’ailleurs, la conférence nationale sur l’évaluation des élèves ne l’utilise pas dans les cinq questions posées pour animer le débat. A-t-elle senti le chausse-trappe ?

Mais, si vous voulez éviter d’affronter ces questions posées sur l’évaluation, quelle meilleure méthode employer ? Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage.

Et pourtant un concept dont il faut se saisir

Or ce débat mérite d’être mené, le concept de bienveillance mérite d’être pleinement posé et interrogé. Tout d’abord concédons que ce concept pose question, et que oui, c’est un concept mou s’il ne remplit pas quelques conditions.

Parler d’école bienveillante, c’est considérer que l’école ne l’est plutôt pas de manière générale, tant pour ses élèves que pour ses personnels. Saisissons-nous du concept pour interroger les relations entre les questions éducatives et pédagogiques et les conditions de travail des élèves, certes, mais aussi celles des personnels.

Parler d’école bienveillante, c’est définir une exigence pour l’école. Ce n’est pas reconnaître une faute des enseignants, c’est reconnaître un système scolaire défaillant dans une mission essentielle, celle d’accueillir au mieux les élèves qui lui sont confiés, celle de leur faire acquérir réellement des savoirs et des compétences communs (qu’on pourrait appeler par exemple socle commun).

Parler d’école bienveillante, ce n’est pas opposer une politique néo-libérale aux valeurs de la république (comme le suggère l’article du SNPI). C’est peut-être même l’incarner : c’est le sens de la partie IV de la circulaire de rentrée (dont ne parle pas l’article) qui associe bienveillance et exigence, et qui évoque la lutte contre les discriminations, la promotion des valeurs de la république, la politique éducative sociale et de santé en faveur des élèves, les partenariats. Sur certains aspects, il est légitime et pertinent de se demander si l’éducation nationale a les moyens de ses ambitions.

Rejeter ainsi le concept d’école bienveillante, rendre impossible le fait de s’en saisir, sous peine d’être un idiot utile du néo-libéralisme, c’est bien aussi porter en creux une vision de l’école. Avatar d’une énième politique néo-libérale, nouvelle attaque contre le professionnalisme des enseignants, la bienveillance est en passe de devenir un chiffon rouge qui empêche de penser, comme il a été fait auparavant avec le concept de compétences ou de socle commun.

Références et lien vers les articles :

SNPI-FSU : méfions-nous de l’usage si répandu de la notion de bienveillance

http://www.snpi-fsu.org/IMG/pdf/2014-10-14_bienveillance_stage_fsu_bordeaux_oct2014_.pdf

Le SNES a peur de la note bienveillante

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/09/30092014Article635476577744316818.aspx

« L’école de la bienveillance » : vers une éducation pour la réussite de tous ou vers un abandon de l’exigence éducative ?

http://www.bordeaux.snes.edu/33/Rubriques/Actualites/Fichiers/fichier2014_2015/stage_bienveillance_octobre2014.pdf

La circulaire de rentrée 2014

http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=79642

La conférence nationale sur l’évaluation des élèves

http://www.conference-evaluation-des-eleves.education.gouv.fr/

Lire la suite : http://ecolededemain.wordpress.com/2014/10/22/la-bienveillance-a-lecole-un-concept-dont-il-faut-se-saisir/

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